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InterviewPaul B. Preciado : "Pourquoi les fascistes ont-ils si peur de nos corps, de notre désir ?"

Par Cy Lecerf-Maulpoix le 30/12/2022
Paul B. Preciado par Pierre et Gilles

[Interview à retrouver dans le magazine têtu·] Dans son nouvel essai, Dysphoria Mundi, le philosophe Paul B. Preciado part de la pandémie de covid pour décortiquer l’ordonnancement du monde à l’ère de l’enfermement numérique.

Portrait d'illustration par Pierre et Gilles

Paul B. Preciado remonte dans ses souvenirs, la première fois qu’il entend le mot “virus”, nous sommes en 1982. À la télé, on parle d’un “cancer gay”, il a 12 ans et vit son enfance dans la ville très catholique de Burgos, dans le nord de l’Espagne. Dans son nouveau livre, Dysphoria Mundi (Grasset), sorti simultanément en France et en Espagne, le philosophe écrit, quarante ans plus tard : “Le virus était ça : la mort qui traquait les homosexuels et mangeait leur peau. 'C’est ce qui arrive aux dégénérés', a dit mon père.”

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Dégénérés, donc infectés : ce spectre de la mort et de la maladie, physique ou mentale, qui colle à la peau des existences queers, n’est évidemment pas nouveau. Depuis plusieurs décennies, le philosophe le déconstruit, l’exorcise et le politise. Dans son premier livre, le Manifeste contra-sexuel, éloge du désir et des sexualités dissidentes publié par l’ami Guillaume Dustan en 2000, la maladie, plus lointaine, semblait une ombre portée sur quiconque désirait autrement et incarnerait la résistance contre-sexuelle à venir. Dans Testo Junkie, où il décrivait sa prise de testostérone, le choc érotico-amoureux de sa rencontre avec Virginie Despentes et la mort de Dustan, la maladie devient un diagnostic, un verdict clinique dans lequel son propre processus de transition se voit enfermé : celui d’une “dysphorie” de genre ou d’une addiction au Testogel. Dans Je suis un monstre qui vous parle, publié à partir d’une conférence donnée en 2019 devant un parterre de 3.500 psychanalystes, la dysphorie venait hanter le terme même de “monstre” pour dire l’incapacité de la psychanalyse à s’émanciper du régime de la différence sexuelle et de la transphobie encore inhérente à ses théories....