Tandis qu'une vidéo montrant l'agression violente d'une femme trans à Tahiti est devenue virale en Polynésie française, l'association LGBTQI+ de l'archipel du Pacifique pointe la récurrence des actes LGBTphobes et appelle le gouvernement à ne pas oublier la collectivité d'outre-mer dans sa politique de lutte contre les violences homophobes et transphobes.
"Ce que l'on m'a fait, c'est intolérable." Maëva, femme trans vivant à Tahiti, a été victime le 5 mai d'une agression aussi inattendue que violente. Filmée, la scène a donné lieu à une vidéo choquante, devenue virale en Polynésie française. Sur les images, rapportées par la télévision TNTV, on voit la victime sortir d'un restaurant de rue quand un homme non identifié lui décoche, de la jambe droite, un violent coup de pied au visage.
Selon le récit de la victime au média polynésien, avant l'agression, Maëva avait été prise à partie verbalement par cinq jeunes en voiture, qu'elle aurait ensuite recroisés au restaurant. "En les voyant, ça m’a dérangée et je me suis permise d’aller les taquiner […] mais sans insultes", explique-t-elle. Mais alors qu'elle s'apprête à quitter l'établissement, la bande l'attend à la sortie, et l'un des jeunes lui assène le coup.
L'association polynésienne de défense des LGBT+ Cousins Cousines est rapidement parvenue à identifier Maëva afin de l'accompagner. Elle a ainsi porté plainte le 9 mai. "C'est lâche et scandaleux. En plus, on voit qu'il y a préméditation, car une personne est postée pour filmer", dénonce Karel Luiciani, président de l'association, auprès de TNTV. Si la victime n'a aucune séquelle physique, l'atteinte psychologique est bien évidemment présente. "J'avais peur. Personne n'est venu me voir", se souvient-elle. C'est l'ampleur qu'a prise la vidéo, et le soutien de ses proches, qui ont poussé Maëva a dénoncer la violence qu'elle a subie : "J'espère que l'agresseur assumera ses actes. C'est aussi pour défendre la cause des transgenres que je veux aller au bout de ma plainte".
La Polynésie en retard sur les questions LGBT
Karel Luiciani pointe la récurrence des actes LGBTphobes en Polynésie. "Il y a deux semaines, j’ai eu une personne transgenre de Punaauia qui souhaitait aussi porter plainte car elle est harcelée dans son quartier", témoigne le responsable associatif, qui alerte de longue date sans avoir toujours l'impression d'être entendu depuis Paris. Car si les femmes trans sont traditionnellement visibles en Polynésie, où elles sont appelés "rae-rae" (ou "raerae"), leur acceptation reste ambiguë.
"Le poids de la religion est très fort. En général, les personnes qui sont mises à la rue par leur famille le sont au motif de la religion", explique auprès de têtu· le militant qui constate que la Polynésie est en retard sur les questions LGBTQI+. Il dénonce aussi "l'hypocrisie" qui règne : "On parle souvent de la coutume et de la tradition des rae-rae, mais beaucoup de personnes trans ne sont pas soutenues par leurs parents et se retrouvent à la rue, la seule solution pour elles c'est la prostitution."
Quant à l'homosexualité, elle reste encore largement taboue sur l'archipel, y compris au sein de la classe politique. On avait pu le voir en 2013 quand le député de Polynésie Édouard Fritch s’était opposé en ces termes à l’application du mariage pour tous : "En Polynésie française, nous n’avons pas la même espèce d’homosexuels qu’en métropole, nous avons nos rae-rae, nous avons nos mahu [hommes efféminés, ndlr], mais ce ne sont pas les mêmes homosexuels." Depuis, il est devenu président de la collectivité d’outre-mer en 2014. L'élection du 30 avril dernier a cependant placé en tête le parti indépendantiste, porté par l'actuel député Moetai Brotherson, qui devrait donc lui succéder. En 2018, il avait participé à un rapport parlementaire sur la lutte contre les discriminations anti LGBT dans les Outre-mer, et le programme de son parti prône l'éducation contre l'homophobie.
Un courrier à Gérald Darmanin
Ce changement à la tête du gouvernement polynésien est porteur d'espoir pour Karel Luiciani, même si la route est longue : "Je pense qu'il y a encore de l'homophobie dans la justice et dans les autorités locales, ça reste un sujet sensible dont on ne parle pas". Il reste, par exemple, difficile de faire reconnaître le caractère LGBTphobe de certaines agressions ou de mettre en place des ateliers en milieu scolaire. "On me reproche de contacter des chefs d'établissement alors qu'en métropole, ce sont les académies qui contactent les associations, développe Karel Luiciani. C'est un problème qu'on retrouve dans le domaine de la santé, etc. On m'a déjà répondu plusieurs fois qu'un service public ne faisait pas d'idéologie…"
À l'approche du 17 mai, journée internationale de lutte contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie, le président de Cousins Cousines prévoit d'adresser un courrier à Gérald Darmanin pour lui demander de réaffirmer l'action outre-mer du ministère de l'Intérieur en matière de lutte contre les LGBTphobies. "Quand on voit Élisabeth Borne qui s'engage à défendre les droits de la communauté LGBT, c'est un engagement qui nous donne de la visibilité mais il faudrait que cela soit aussi le cas localement, soulève Karel Luicinani. Notre gouvernement local peut s'engager et les ministères parisiens peuvent appuyer ces changements."
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Crédit photo : capture d'écran TNTV News