EXCLUSIF. En marge d'un déplacement au centre LGBT d'Orléans, la Première ministre Élisabeth Borne nous a accordé un entretien. L'occasion de revenir sur ses annonces récentes, ainsi que sur plusieurs sujets brûlants...
À l'occasion des 40 ans cette année de la dépénalisation de l'homosexualité, Élisabeth Borne le reconnaît : ces condamnations passées "sont un traumatisme". Répondant à l'appel de têtu·, le gouvernement souhaite "réparer ce qui peut l’être". La Première ministre s'engage à faire aboutir cette proposition "dans les prochains mois". Par ailleurs, elle détaille son ambition pour le poste d'ambassadeur dédié aux questions LGBTQI+ et annonce élargir la vaccination contre le monkeypox au-delà des médecins. Entretien.
Vous avez souhaité prendre la parole à l’occasion des 40 ans de la fin de la répression pénale de l'homosexualité en France. Qu’avez-vous envie de dire aux personnes condamnées jusqu'en 1982 ?
Élisabeth Borne : Dans un contexte particulier, celui du régime de Vichy, une loi discriminatoire a été adoptée et il a fallu attendre 1982 pour qu’elle soit enfin abrogée. C’est une faute d’avoir maintenu cette disposition pendant aussi longtemps. Il y a nécessairement une attente de réparation, il faut que nous soyons à l’écoute des personnes concernées.
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Une réparation qui pourrait être financière, comme l’envisage une proposition de loi du groupe socialiste au Sénat ?
Nous devons avancer dans les prochains mois pour réparer ce qui peut l’être sur la base de dispositions qui restent à définir. Ces condamnations pénales sont un traumatisme et aujourd’hui encore, on en voit les conséquences : le rejet, la violence et l’exclusion. Dans certains collèges, entreprises ou dans certains milieux, les LGBTphobes sont ceux qui se font entendre, c’est insupportable. C’est inacceptable. C’est pourquoi nous allons doter un fonds de 3 millions d’euros pour permettre la création de 10 nouveaux centres LGBT+ et renforcer les budgets des 35 centres existants. Il y a la loi et l’effectivité de la loi. Notre devoir est de soutenir les associations qui se battent pour le respect de ces droits.
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À l’école, la loi n’est pas appliquée puisqu’elle prévoit deux séances de sensibilisation à la vie sexuelle et affective, qui sont rarement données...
Le ministre de l’Éducation devra s’assurer que la loi soit respectée et appliquée partout. L’école est un endroit crucial pour faire évoluer les mentalités : c’est le moment où l’on se forge des convictions, où l’on crée son identité, où l’on apprend la différence. C’est à ce moment qu’il faut agir. Le travail que font les jeunes qui se rendent dans les écoles pour sensibiliser à la discrimination est salutaire et il faut leur rendre hommage.
Dans sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron affirmait à têtu· que "toute parole publique (...) doit être très claire. Pas de place aux discriminations contre les personnes LGBT+ dans la République". Quand vous évoquez les propos de Caroline Cayeux, vous dites qu’ils étaient "maladroits" : est-ce que l’on n’est pas bien en-deçà du niveau promis par le président ?
Caroline Cayeux a tenu des propos malheureux qu’elle regrette profondément. J’en ai parlé avec elle et elle m’a dit être absolument désolée d’avoir tenu des propos qui ont pu blesser. La ligne du président de la République, la mienne et celle du gouvernement, est très claire : nous ferons avancer les droits des personnes LGBT+ et réduirons les discriminations. C’est déjà ce qui a été fait sous le précédent quinquennat avec le vote de la PMA pour toutes les femmes, la fin des thérapies de conversion ou encore la suppression de toute référence à l’orientation sexuelle dans les dons du sang. Caroline Cayeux partage cette intention et agira en ce sens.
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Pourquoi ne pas dire que ces propos étaient homophobes ?
Ces propos maladroits peuvent faire écho à des visions homophobes. Caroline Cayeux n’avait pas l’intention d’injurier les personnes LGBT+. Son expression a été malheureuse et elle le regrette sincèrement.
Lorsque vous l’avez embarquée dans votre gouvernement, que vous avez souhaité "allié des LGBT+", vous êtes-vous assurée qu’elle avait évolué sur le mariage pour tous ?
Je ne peux pas vous dire que j’ai eu l’occasion d’en parler avant avec elle. C’est quelqu’un que je connais bien, je n’ai jamais perçu la moindre trace d’homophobie. Laissons-lui l’occasion de le démontrer dans son action. D'ailleurs, en 2019, elle a déclaré que si elle avait été sénatrice elle aurait voté la loi bioéthique.
Emmanuel Macron avait annoncé dans nos colonnes la création d’un poste d’ambassadeur dédié aux questions LGBT+. Vous avez indiqué qu’il serait nommé avant la fin de l’année. Quelle sera sa feuille de route ?
C’est effectivement la concrétisation d’une promesse de campagne du président de la République. Il devra porter la dépénalisation universelle de l’homosexualité et s’assurer qu’on inverse la tendance à l’échelle de la planète, qui n’est pas du tout favorable à l’heure actuelle.
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Quand la France reçoit en grande pompe le prince consul d'Arabie saoudite, où la peine de mort est appliquée aux personnes homosexuelles, cela ne sape-t-il pas les velléités d’une diplomatie favorable aux personnes LGBT+ ?
Il est nécessaire de parler à tout le monde, sans naïveté et en portant nos valeurs, c’est ce que fait le chef de l’État. Avec le contexte international, et notamment celui de la guerre en Ukraine, il est nécessaire de ne pas s’isoler.
Sur le vaccin contre la variole du singe, on est prêt à vous croire lorsque vous dites qu’il y a suffisamment de doses. Mais pourquoi donc est-il si difficile de se faire vacciner ?
Je vous assure que le pays est prêt en termes de doses. Il se trouve que le vaccin ne peut pas circuler n’importe comment car il se conserve dans des conditions à basse température. On monte en puissance jour après jour. J’entends des personnes qui indiquent qu’il n’y a pas de créneau sur la plateforme Doctolib. Mais tous les créneaux ne sont pas sur la plateforme. Sur sante.fr, chaque centre est recensé et certains ont fait le choix de ne pas passer par Doctolib.
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N’est-il pas temps de donner la possibilité aux pharmaciens de vacciner ?
Modulo le circuit de conservation et les précautions à prendre avec les vaccins, on n’a aucune raison de ne pas permettre aux professionnels de santé mobilisés dans la vaccination contre la Covid de vacciner contre le monkeypox. On a les doses, on est en train de mettre en place la logistique, on mobilisera les professionnels de santé. Chacun pourra accéder rapidement à la vaccination et j’invite chaque personne qui a un risque de contamination à se faire vacciner.
À l’Assemblée, le Rassemblement national est l’un des groupes politiques qui a envoyé, en proportion, le plus de député gays. Est-ce que vous comprenez que des personnes LGBT+ aillent vers l’extrême droite ?
Je ne crois pas deux secondes que le Rassemblement national soit un parti progressiste. J’invite chacun à méditer sur les positions des partis d’extrême droite au pouvoir. Personne ne peut soutenir que les droits des personnes LGBT+ progressent dans des pays qui ont à leur tête l’extrême droite. Que ces électeurs regardent si les personnes LGBT+ sont protégées dans la Hongrie de Monsieur Orban.
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Pendant la campagne, il n’a quasiment jamais été question de GPA. N'est-il pas regrettable que le débat n’existe même pas sur ce sujet ?
Le sujet n’est pas balayé, on a agi pour protéger les droits des enfants nés à l’étranger de GPA en facilitant la procédure d’adoption. Le président et moi-même sommes contre l’idée qu’on ouvre la porte à la marchandisation du corps humain.
Certains de vos ministres nous disent qu’ils sont LGBT+ mais n’osent pas le révéler publiquement, non pas pour protéger leur vie personnelle mais en raison du regard que pourraient porter leurs électeurs. Qu’est-ce que vous leur dites ?
Cette position me surprend énormément. Ce sont des préventions qui, je l’espère, sont infondées.
Certaines rumeurs prétendent que vous auriez été en couple avec une femme. Comment réagissez-vous ?
Si c’était le cas, je ne vois pas pourquoi je ne l’aurais pas dit. D’ailleurs, j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer mon compagnon.
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Crédit photo : Yann Morrisson pour têtu·