Abo

justice"Est-ce que sa vie ne comptait pas ?" Déception au procès en appel du meurtre de Vanesa Campos

Par Tal Madesta le 03/04/2023
vanesa campos,procès,justice,proces vanesa campos,transidentité,travailleuse du sexe,bois de boulogne

Cinq ans après le meurtre de Vanesa Campos, les juré·es de la Cour d’assises de Créteil ont rendu en appel un verdict moins sévère qu'en première instance. Celui-ci signe la fin d’un procès qui interroge la société sur la situation des femmes trans migrantes et travailleuses du sexe au Bois de Boulogne. 

L’ambiance est au chagrin et à la peur, chez les parties civiles, ce jeudi 30 mars à l’issue d'une ultime journée d’audience après deux semaines de procès devant la Cour d’assises de Créteil. Près de cinq ans après le meurtre de Vanesa Campos, travailleuse du sexe trans et péruvienne exerçant au Bois de Boulogne, le verdict est tombé en appel : 14 ans de prison pour Karim I. et 17 ans pour Mahmoud K., les deux principaux accusés. Des peines plus légères qu’en première instance, puisque les deux hommes avaient alors écopé de 22 ans de réclusion criminelle. 

À lire aussi : Découvrez le sommaire du têtu· du printemps

Le tribunal devait revenir sur cette funeste nuit du 16 au 17 août 2018, quand une dizaine d’hommes ont effectué une expédition punitive au Bois de Boulogne. “Ce soir, il y aura du sang”, a soufflé l’un d’entre eux. Quelque temps auparavant, pour se défendre face aux multiples vols d’argent et viols dont elles sont victimes de la part de la bande, les amies et collègues avaient décidé de faire appel à des protecteurs, une tentative d’auto-organisation que n’auront pas supporté leurs assaillants. Munis d’une matraque et d’armes blanches diverses, ils tiennent le pistolet de service dérobé une semaine plus tôt à un policier, client des travailleuses du sexe, qui l’avait laissé dans son véhicule. Ils se dirigent au hasard vers Vanesa Campos, une des principales meneuses de la révolte, la frappent et lui tirent une balle dans la clavicule. Elle mourra d’une hémorragie quelques minutes plus tard, après avoir crié son dernier mot : "Todas !" – "Toutes !" en espagnol, cri de ralliement décidé par les travailleuses en cas de danger.

Une décision qui plonge les parties civiles dans la peur

Du côté de l’association Acceptess-T, qui s’est constituée partie civile, la déception est grande : “On est déstabilisé·es par ce jugement, puisque le plus virulent des deux assassins, qui a agressé et violé continuellement nos usagères, a perdu huit ans sur sa peine initiale. La sœur et la mère de Vanesa sont choquées par ce verdict. Elles se demandent pourquoi un tel abaissement : est-ce parce que la vie de Vanesa ne comptait pas ?”. 

Pour Me Chirine Heydari, avocate de la famille de Vanesa, de ses collègues et d’Acceptess-T, cette décision est décevante mais pas surprenante : “Les peines requises lors de ce procès en appel étaient les mêmes qu’en première instance : 15 ans pour Karim I. et 20 ans pour Mahmoud K. Même si les peines prononcées lors du premier procès dépassaient largement les réquisitions, on se doutait du risque de voir les peines réduites en seconde instance. Ça a été malheureusement confirmé par la décision rendue”.

Même s’il indique que l’association “n’a jamais compté sur les peines de prison pour obtenir réparation”, June Lucas relate la terreur vécue par les collègues de Vanesa à l’annonce du verdict. “Leur première réaction a été de calculer la date de sortie de prison de leurs agresseurs. Elles sont déjà en train d’anticiper les violences et les représailles. Le premier message qu’elles m’ont envoyé a été [Karim I.] sort dans 9 ans : dans 9 ans il revient et il nous tue une par une, comme il l’avait promis en 2018 avant le meurtre de Vanesa’…”. 

Chaos en salle d’audience

De fait, les accusés se sont montrés violents au cours du procès : cris, insultes homophobes et transphobes, pertes de contrôle poussant certains à se frapper la tête, menaces de mort proférées en pleine audience, intimidations de témoins… Une histoire qui se répète : “L’année dernière, il y avait eu des signes d’égorgement envers les filles, un accusé avait baissé son pantalon et montré ses fesses pendant les réquisitions de l’avocat général. Je pense que les juré·es n’avaient jamais vu ça. Quand on voit ce type de comportement dans un box en assises, on se dit : qu’est-ce que ça donne quand la personne règne en maître sur ce qu’elle considère être son territoire ? Ça fait froid dans le dos”, souffle Me Chirine Heydari. Le comportement transphobe des accusés sera par moments insoutenable au point qu’il poussera les parties civiles à quitter l’audience en plein milieu du procès.

Dans cette perspective, June Lucas insiste sur l’importance de ne pas voir dans le meurtre de Vanesa Campos “un cas exceptionnel de crime qui survient entre deux mondes marginalisés qui se rencontrent”.  Pour le juriste, “ce n’est pas une bande de voleurs contre une bande de prostituées. C’est la législation autour du travail du sexe, du droit des étrangers, la transphobie systémique et la négligence de la police qui ont permis que tout cela arrive. C’est le message qu’on a fait passer durant ce procès”.

Lutter contre la rhétorique abolitionniste

Une petite victoire pour l’association, dont la constitution en tant que partie civile avait été déboutée en première instance, mais acceptée en seconde. Au-delà de l’accompagnement de la famille et du rapatriement du corps de la victime au Pérou, dont s’est chargée l’équipe, l’enjeu clé demeure de ne pas laisser les mouvements abolitionnistes instrumentaliser le meurtre de Vanesa Campos. 

Et pour cause, sur le banc des parties civiles se trouve également le Mouvement du Nid, association abolitionniste du travail du sexe. June Lucas reconnaît la difficulté de se retrouver sur le même banc en tant que structure d’accueil et d’accompagnement ayant “une grille d’analyse radicalement différente”. L’objectif pour Acceptess-T : sensibiliser les magistrat·es et juré·es aux dommages causés par la loi de pénalisation des clients de 2016. June Lucas dénonce, à l’origine de cette loi, des “arguments à côté de la plaque, étrangers à la réalité du terrain” et défend “l’adoption d’une position sans jugement et d’accueil inconditionnel, qui ne sont pas déterminés par un contrat moral qui oblige l’arrêt du travail du sexe”. Une posture qui, selon le juriste, permet aux victimes de parler de leurs conditions de travail tout en ayant la possibilité de dénoncer les violences vécues. 

Un procès qui interroge la société

Bien que le verdict n’ait pas retenu la transidentité de Vanesa comme un des motifs du meurtre, c’est pourtant bien le procès de la marginalisation de la victime qui s’est tenu. Comme l’explique Me Chirine Heydari, “les facteurs de vulnérabilité qui font que les filles se sont retrouvées route du Pré Catelan [ndlr : zone du bois particulièrement isolée et dangereuse] incluent la transidentité, mais aussi l’exil, la situation administrative irrégulière, le travail du sexe… Tous ces facteurs se cumulent et impliquent une surexposition aux violences”. Elle invite la société “à ne pas détourner le regard” et espère que la fin de ce procès “ne signera pas encore plus l’oubli des conditions dans lesquelles les filles exercent au Bois de Boulogne”. 

C’est à ce travail que continuera de s’atteler Acceptess-T : du lobbying en faveur de la décriminalisation totale du travail du sexe, d’une véritable prise en compte des plaintes par l’institution policière et d’une régularisation de la situation des sans-papiers. June Lucas conclut : “Sans ces avancées, le cycle des violences et de la mort perdurera”. 

À lire aussi : Journée du souvenir trans : "Ma fille s’est suicidée à cause d’une société transphobe"

À lire aussi : En Grèce, la justice libère l'un des assassins de Zak, un militant LGBTQI+

Crédit photo : Estelle Ruiz/NurPhoto via AFP