Que ce soit pour un voyage de noces ou une retraite ensoleillée, on devrait tous avoir le droit d’aller se prélasser dans les eaux bleues de la Polynésie française.
Tahiti est un bout de France où tout le monde se tutoie. C’est ce qui frappe d’entrée, après les colliers de fleurs. C’est notre vrai Finistère, la Polynésie, dernière pointe tricolore à l’ouest avant la ligne de changement de date. Ce qui rend le voyage moins fatigant qu’on pourrait l’imaginer, remarquez : départ le dimanche matin depuis Paris, pause clope à Los Angeles, arrivée le soir à Papeete (Air Tahiti Nui assure la liaison, en confortable classe Poerava Business). Une bonne nuit de sommeil et “ia ora na”, bonjour Polynésie ! À ce propos, si l’on vous gratifie en guise de bienvenue d’une fleur de tiaré à placer derrière l’oreille, ne vous trompez pas, il en va de la suite de votre voyage : elle est à mettre à gauche si votre cœur est pris, à droite si vous vous sentez l’âme aventureuse…
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Pour se figurer l’archipel polynésien, il faut imaginer que, si Papeete était située à Paris, ses 118 îles s’étendraient du Cotentin aux Pyrénées, et de la Bretagne jusqu’en Bulgarie. La plus ancienne présence humaine connue sur l’archipel remonte au 4e siècle ; en se voyant aujourd’hui géolocalisé sur Map au milieu de tout ce bleu, on pense à ces humains pionniers qui ont un jour tenté la traversée, depuis l’Asie, vers l’inconnu le plus total. Quant aux navigateurs européens qui ont redécouvert les lieux au 18e siècle, leur ténacité est également à saluer, même si leurs embarcations étaient plus conséquentes. “Essaie de te représenter comment ils se lançaient, sur leurs malheureux cotres, dans l’inconnu, ignorants de la route à suivre, perdus dans l’infini, sans cesse exposés aux souffrances de la faim et de la soif”, écrit Stefan Zweig en préambule de sa biographie de Magellan. Quant à nous, mieux lotis, et pour peu qu’on ne soit pas blasés par un excès de vains voyages, nous nous laisserons subjuguer par les paysages polynésiens, dont la beauté éperdue suscite immanquablement la sensation d’être un observateur privilégié...
À l’ombre du volcan
Ce sentiment d’avoir gagné à la loterie de la vie est d’ailleurs décuplé quand, après cinquante minutes de vol depuis Papeete, surgit de l’immensité océane un volcan endormi entouré de son lagon, protégé par son récif corallien, mirage vert et bleu… Si vous planifiez une lune de miel, ou projetez l’an prochain des noces d’étain mémorables, Bora Bora s’impose. L’hôtel InterContinental, qui a invité têtu· à vous faire découvrir la Polynésie, vous propose ici deux options, respectivement quatre et cinq étoiles : le Moana, qui borde l’une des plus belles plages de sable blanc au monde, et le Thalasso Spa, qui – comme son nom l’indique – propose massages et soins relaxants. Le personnel se mettra en quatre pour réaliser vos délires romantiques, du dîner aux chandelles sous l’éclatante Voie lactée au petit déjeuner livré en pirogue traditionnelle. Une fois terminées vos explorations en masque et tuba dans les profondeurs de l’aquarium tropical s’ouvrant sous votre bungalow monté sur pilotis, tentez une virée dans le lagon, où vous pourrez rééditer l’expérience avec des requins à pointe noire et la fameuse raie Manta, inoubliable compagne de nage.
Quand on n’a pas les moyens de passer tout son séjour dans de grands hôtels, une solution plus abordable est de mixer l’expérience pilotis – l’occasion d’une vie – avec un hébergement en pension de famille, pratique usuelle en Polynésie, et qui vous permettra de partager un barbecue avec vos compatriotes. En revanche, si vos témoins de mariage ont su correctement faire la promotion de votre cagnotte, à vous Tetiaroa ! Confidentiel, cet atoll n’est accessible que par un coucou privé vous déposant à l’hôtel The Brando Resort, nommé ainsi parce qu’un certain Marlon Brando fut le propriétaire des lieux – dont il tomba raide dingue après avoir tourné à Tahiti Les Révoltés du Bounty. Et Marlon n’avait pas qu’un marcel, il avait un cerveau : aussi, avant de mourir, en 2004, a-t-il laissé des instructions précises pour la construction d’un établissement écolo, gracieusement disséminé entre les cocotiers et les pandanus. On a fait le tour des installations, et la promesse est tenue : les exécuteurs testamentaires de l’acteur ont même inventé un système de climatisation naturelle puisant par capillarité de l’eau froide en profondeur. Ici, pas de plastique jetable, d’ailleurs tri et recyclage sont drastiques, et l’électricité provient à 70% de panneaux solaires.
Fais comme les tortues
Outre ses touristes, Tetiaroa accueille des équipes de scientifiques, lesquelles n’ont pas chômé puisqu’elles ont mis au point une méthode d’éradication des rats – qui font des ravages sur les populations nicheuses – introduits par les navires occidentaux à leur arrivée dans le Pacifique sud il a 500 ans. La disparition des nuisibles a permis l’épanouissement de l’île aux Oiseaux, “tapu” aux humains, c’est-à-dire interdite – le mot a donné “tabou” en français. Le sable fin de Tetiaroa sert quant à lui de nid aux tortues marines, qui viennent ici pondre après avoir fait bon usage de leur spermathèque – elle a tout compris, la tortue, avec cet organe dans lequel elle conserve pendant des années le sperme de ses accouplements précédents, ce qui lui permet de féconder ses œufs quand bon lui chante, le tout sans les congeler !
Si vous êtes là au bon moment et que vous en autorisez la réception, celle-ci vous réveillera au cœur de la nuit pour assister à leur éclosion. Et c’est bien là le luxe ultime des lieux : pas de réveil dans ce confinement paradisiaque, sauf peut-être pour l’appel des tortues. Au bout du monde, à la maison. La France est un archipel.
>> Tahiti queer ?
La succession de peuplements contradictoires a produit en Polynésie une culture dont les contrastes ressortent aigus lorsqu’il s’agit des questions LGBTQI+. On a beaucoup tergiversé – et peint, coucou Gauguin – sur le “troisième genre” polynésien, incarné par les “rae-rae”, qui sont des femmes trans, et les “mahu”, qui sont des hommes efféminés. Leur visibilité, toujours forte dans la société polynésienne, serait due à une acceptation familiale ancestrale permettant qu’un garçon identifié comme tels soit élevé comme une fille. Mais entre cet héritage et notre époque, le christianisme s’est amarré à l’archipel, les évangélistes en tête. En plus de l’exotisation attachée à la tradition, rae-rae et mahu souffrent donc, comme toute la communauté LGBTQI+, d’une sacrée couche de conservatisme. On a pu le voir en 2013 quand le député de Polynésie Édouard Fritch s’est opposé à l’application du mariage pour tous : “En Polynésie française, nous n’avons pas la même espèce d’homosexuels qu’en métropole, nous avons nos rae-rae, nous avons nos mahu, mais ce ne sont pas les mêmes homosexuels.” Depuis, il est devenu président de la collectivité d’outre-mer.
Partant de tels postulats, les pouvoirs publics demeurent réticents à mener des actions en faveur des LGBTQI+, et Cousins Cousines, seule association communautaire de Tahiti, est également seule pour faire face à un concentré de problèmes : souvent rejetées par leur famille, les jeunes rae-rae se retrouvent fréquemment à la rue et ont recours au travail du sexe, tandis que nombre d’homos se cachent pour ne pas être assimilés à des mahu. “La semaine dernière encore, j’ai compté deux suicides de jeunes mecs, souffle Karel Luciani, son président. Il y a 30 à 50 suicides par an, autant que pour les accidents de la route, mais la question LGBTQI+ n’est pas prise en compte.” Lui œuvre entre mille tâches à recueillir autant de personnes qu’il peut afin de les aider à prendre un nouveau départ. Pour la première fois, le ministère des Outre-mer a lâché, en 2021, 14.000 euros de financement à Cousins Cousines. Si Karel Luciani ne s’en est pas plaint, on peut signaler pour lui à nos autorités qu’on est très loin du compte… Ne cherchez donc pas de Marais à Papeete, vous n’y trouverez que quelques établissements friendly, comme le Malabar : passez-y prendre un verre, en soutien !
Crédit photo : Intercontinental Tahiti