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cinémaCannes 2023 : cinéaste gay et paysan, rencontre avec l'auteur d'"Un Prince"

Par Franck Finance-Madureira le 23/05/2023
Pierre Creton présente son film "Un prince" à la Quinzaine des cinéastes du Festival de Cannes 2023

Pour la 76e édition du Festival de Cannes, têtu· est allé faire le guet sur la Croisette afin de repérer les sorties cinéma queers à venir. Aujourd'hui, rencontre avec le réalisateur Pierre Creton, qui présente Un Prince à la Quinzaine des cinéastes. 

Pierre Creton creuse depuis de nombreuses années son sillon singulier. La proximité entre les êtres à la campagne, une vision bienveillante et politique du monde, une homosexualité assumée qui se moque des âges. Un Prince, présenté à la Quinzaine des cinéastes du Festival de Cannes 2023, est une tentative d’autobiographie qui vogue entre souvenirs fondateurs et fantasmes, avec pour fils conducteurs les plantes et le sexe. Rencontre avec le réalisateur jardinier normand.

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Comment Un Prince s’inscrit-il dans votre filmographie, quel en a été le point de départ ? 

Le point de départ, c’est que je me suis retrouvé pendant le confinement avec mon ami Vincent Barré, qui a écrit le film, et avec un jeune homme, Mohammed Samoura, qu’on a accueilli pendant deux ans et demi pour l’aider, en télétravail, à suivre son apprentissage en boulangerie. Cela m’a replongé dans mon propre apprentissage, il y a 40 ans. J’ai eu envie de revisiter, de déplier cette période de ma vie. Et j’ai fait appel à Vincent Barré, Cyril Neyrat et Mathilde Girard pour m’aider à écrire d’abord un texte. Je ne commence jamais par écrire un scénario, je commence toujours par une forme littéraire. Je n’écris jamais pour un film, j’écris pour écrire. Et donc c’est à partir des monologues, parce que chacun a écrit la voix d’un des personnages, que j’ai écrit ces séquences.

Et les voix off sont tirées de ces monologues ? 

Oui c’est ça, les voix off sont précisément de fragments des monologues qui étaient beaucoup plus longs. Après, c’est au montage que les monologues sont découpés et imbriqués les uns les autres. 

Comment avez-vous choisi vos acteurs et comment s’est passé le tournage ?

C’est la rencontre entre Antoine Pirotte et le personnage de Pierre-Joseph, qu’il interprète, qui a un peu tout déclenché. C’était très compliqué de trouver quelqu’un pour m’interpréter jeune. J’avais rencontré un jeune homme mais ce n’était pas du tout une bonne piste. Et puis j’ai été invité à la Fémis en mars l’année dernière et il y avait dans la salle ce jeune homme, Antoine, en dernière année. Et en le voyant j’ai tout de suite su qu’il serait très bien. Je l’ai interpellé et je lui ai demandé s’il accepterait le rôle. Et il est venu avec moi jardiner lors d’un stage que la Fémis a validé. Dans le film, toutes les maisons et les jardins sont des lieux que je connais. C'était bien parce que le tournage s’est fait avec peu de moyens et nous avons filmé des lieux qu’on avait déjà appréhendés. 

Ce film c’est un autoportrait ? 

C’est tellement imbriqué, donc il faudrait revenir scène par scène pour savoir ce qui est vrai ou pas, mais oui c’est en grande partie très autobiographique. Mais il y a aussi ce qui est de l’ordre du fantasme, qui devient fantastique…

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Pierre Creton

Ce sont des images qu’on a très peu vues, cette sexualité-là, la façon de vivre une osmose rurale, avec des corps qui ne sont pas habituels du cinéma, c’est aussi un acte très fort dans le film, n’est-ce pas ? 

Oui. Enfin, en tout cas ce qui était important aussi pour moi c’est la durée. Quand on passe à Pierre-Joseph adulte, on voit que la sexualité, l’amour a continué. Ça c’est quelque chose qui a été très fort dans ma vie et pour laquelle j’avais envie de trouver une forme. Après c’est vrai que c’est plus un choix de vie qu’un choix de cinéma. Après avoir fait des études d’art, je voulais vivre ma sexualité où je voulais, même si c’était sûrement l’endroit le moins facile et c’est ce choix de vie qu’on retrouve dans le film. 

Et en même temps ça n’a pas l’air difficile dans le film. Il y a une volonté de rendre les choses plus fluides, plus faciles ?

Certaines choses sont plus légères, oui, mais pas forcément la sexualité. Les rapports avec l’éducation ou avec les parents sont plus légers et même peut-être un peu drôles. Pour la sexualité, je ne l’ai pas rendue plus légère, je suis resté assez fidèle : c’est une vision épanouie.

On pense parfois à Alain Guiraudie qui a exploré l’homosexualité dans le contexte ouvrier, quelque chose qu’on ne montrait pas du tout non plus. Est-ce que vous vous sentez en correspondance avec son travail ? 

D’un point de vue d’une représentation de l’homosexualité, je m’en sentirais plutôt assez proche. Sur l’esthétique je ne crois pas, on ne recherche pas du tout la même chose. 

D’où vient l’idée du titre, Un Prince ? 

Le titre est venu tout de suite. Au départ le film devait s’appeler "Un Prince ou la vraie vie non vécue", tiré d’une phrase de Levinas qui était à l’origine "La vraie vie qui est absente", à propos du romanesque. C’est une phrase que je me suis tellement appropriée, et je ne me suis pas rendu compte que je l’avais transformée avec le temps. Et puis pour moi, le prince, c’est vraiment la voix institutionnelle donc c’est intéressant par rapport au fait de savoir où est la souveraineté, qui est souverain. Et je pense que dans mon film, tous les personnages le sont.  

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Et c’est même politique de vouloir anoblir la paysannerie. Il y a un lien avec l’histoire…

Oui avec l’Histoire avec un grand H, complètement. 

C’est une ligne directrice dans votre travail de mettre en valeur cette paysannerie, ces communautés qu’on voit très peu représentées ?

C’est là où je vis, c’est ce que je vis de l’intérieur. D’ailleurs c’est en tournant un de mes premiers films, Secteur 545, pour lequel j’ai filmé beaucoup d’éleveurs beaucoup, que j’ai eu le statut de quelqu’un venant du monde agricole, pas celui d’un cinéaste. C’est en même temps un statut privilégié. 

Justement c’est quoi la vie d’un cinéaste qui vit dans cet univers ? Comment on arrive à articuler les phases de création, les différents métiers ? 

D’abord je crois que c’est un équilibre, que c’est une chose qui nourrit l’autre. Bon maintenant, je suis jardinier, c’est un espace dans lequel je peux réfléchir à mes films, trouver mes acteurs, trouver mes lieux. C’est une sorte de terreau fertile pour le cinéma. Et puis c’est une activité que j’aime.

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Crédit photos : JHR Films