Dans la famille cinéma, on oublie souvent de parler des distributeurs, dont le travail est pourtant essentiel pour que des œuvres comme Sublime, film indépendant argentin sur l'histoire de deux ados gays, arrivent jusque dans nos salles. En marge de l'ouverture du Festival Cannes 2023, Thibaut Fougères et Diego Carazo-Migerel nous racontent les coulisses du travail d'OutPlay, leur société spécialisée dans les œuvres queers.
Manuel et Felipe ont 16 ans et sont les meilleurs amis du monde. La vie de ces deux adolescents argentins va prendre un nouveau tournant quand naissent entre eux des désirs nouveaux. C’est le point de départ relativement classique de ce doux film sur l'adolescence qui, à sa façon, raconte aussi l’évolution du monde dans ce qu’il décrit des relations gays/parents. Et si ce film indépendant argentin s’est frayé un chemin jusqu’aux salles de cinéma françaises, c'est grâce au travail d’OutPlay, l’un des rares distributeurs spécialisés dans les œuvres queers.
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La vie commerciale d’un film commence, dans la majorité des cas, par sa présentation dans un festival. Thibaut Fougères et Diego Carazo-Migerel, à la tête d'OutPlay, en savent quelque chose puisqu’entre leurs activités de distribution en France et de vente internationale, ils passent une bonne partie de leur temps à explorer ces grands rendez-vous des professionnels du cinéma, partout dans le monde, pour y découvrir des films. C’est sur son propre territoire qu'ils ont découvert Sublime en décembre 2021 : "C’est au festival de Ventana Sur, le plus important pour le marché sud-américain et qu’on fréquente régulièrement, que nous avons découvert le film, il a tout de suite retenu mon intérêt, se souvient Diego. Les droits de ventes internationales venaient d’être acquis par l’un de nos confrères et nous l’avons immédiatement contacté pour acheter les droits pour la distribution en France."
Sublime, dans la Gen Z du film gays
Le film tape ensuite dans l’œil des programmateurs de Générations, la section de la Berlinale dédiée aux découvertes. "Le film a donc été programmé à Berlin en février 2022, puis à San Sebastian en septembre, poursuit Diego, ce sont des festivals importants qui apportent beaucoup de visibilité sur la marché." Cela reste toujours un pari lorsque se décide l’acquisition, comme l’explique Thibaut : "On ne sait jamais avant ce que le film va donner dans le circuit, alors ces sélections dans des festivals importants donnent un bon signal pour sa carrière". Parfois, les sociétés de distribution prennent même le risque de signer un film avant le tournage, sur l’unique base d’un scénario : "C’est le coup de cœur qui nous guide, c’est quitte ou double mais il faut faire ce genre de pari", reprend Thibaut.
Petite société, l’équipe d’OutPlay se considère comme des artisans du cinéma et se focalise sur une douzaine de films par an, la moitié en ventes internationales et l’autre pour une distribution dans les salles françaises. Une fois le film acquis, comment prépare-t-on la sortie d’un petit film queer comme Sublime sur les écrans français ?
"Quand les films sont queers et d’auteurs peu connus, cela demande de mettre les bouchées doubles pour atteindre les résultats d’un film qui n’est pas LGBT, relève Diego. Au vu de notre ligne éditoriale, nous sommes habitués à devoir batailler, à ne pas faire des sorties massives. Il faut comprendre les exploitants de salles et s’y adapter. On a beaucoup travaillé en contact direct avec le réalisateur, notamment sur l’affiche, l’identité visuelle. On était au départ sur une affiche plus claire et, en échangeant avec le réalisateur, on est convenu d’aller sur quelque chose d’un peu plus orageux. Sur les sujets LGBT+, il faut connaître un peu les codes de chaque pays, il faut être fin, on ne peut pas se dire distributeur engagé et faire n’importe quoi, il faut savoir de quoi on parle et à qui."
Thibault enchaîne : "Avec une affiche il ne faut ni trahir le film, ni le spoiler. Dans Sublime, l’homosexualité n’est pas vue comme un problème, ni pour le protagoniste principal ni pour ses amis et encore moins pour ses parents. C’est une nouvelle tendance qui est très récente, qui a trait à une forme de normalisation de l’homosexualité. On ne voyait pas ça il y a encore cinq ans. C’est encore un peu moins fréquent en Europe, mais on le voit de plus en plus dans le cinéma latino. Même chose sur les films concernant la non-binarité ou l’identité de genre. Il nous faut donc accompagner ça dans la communication mise en place autour du film, il fallait une touche de modernité, de naturel."
Sortir pendant le Festival Cannes
Le cinéma reste malgré tout un business relativement fragile, d'autant que dans le cinéma indépendant queer, il n’y a pas vraiment de recettes duplicable. Sublime débarque donc un 17 mai, date symbolique mais que se disputent peu les distributeurs puisque le Festival de Cannes vampirise quelque peu les pages cinéma des grands médias.
L’équipe d’OutPlay, justement tout juste arrivée sur la Croisette, se montre optimiste : "Sur ce film, développe Thibaut, on espère avoir autant qu’avec Je tremble, ô matador, le film chilien que nous avions sorti en juin 2022. L’objectif est donc d’avoir entre 45 et 50 salles, ce qui est beaucoup. Mais on aime travailler sur la durée, ce qui compte ce n’est pas combien on a de salles en première semaine, mais quelle sera la vie du film sur le long terme, comment aussi il sera accompagné par les scolaires, puisque nous avons fait tout un travail d’accompagnement des enseignants". Conclusion du distributeur : "On a attendu ce qu’on estimait être la meilleure fenêtre, maintenant on croise les doigts !"
>> [Vidéo] La bande-annonce de Sublime :
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Crédit photo : OutPlay