Le ministre de l'Intérieur a annoncé en ce printemps 2023 une série de mesures pour lutter contre les LGBTphobies, tandis que tous les indicateurs sont au rouge. Après les déclarations de Gérald Darmanin, têtu· est allé vérifier auprès de ses services ce qui était vraiment dans les tuyaux, et auprès des associations LGBT+ si elles étaient convaincues.
C'est un fait, depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir, l'augmentation des violences LGBTphobes est spectaculaire. Les actes anti-LGBT enregistrés depuis 2016 par le ministère de l'Intérieur ont ainsi augmenté de 129% en ce qui concerne les crimes et les délits, et de 115% s'agissant des contraventions. Une tendance corroborée par le dernier rapport de SOS homophobie qui signale une agression LGBTphobe tous les deux jours. Pour inverser la tendance, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a annoncé le 15 mai de nouvelles mesures aux associations concernées. Enfin nouvelles… certaines de ces annonces avaient déjà été faites en 2018. Pour d'autres, entre la parole du ministre et les détails livrés par son ministère, il y a quelques nuances. Décryptage.
Répondant à une demande de longue date des associations, Gérald Darmanin a promis de former à la lutte contre les LGBTphobies l'ensemble des forces de l'ordre. Actuellement, seuls les agents entrant dans le métier y sont en effet sensibilisés. "On a un très gros défi de formation de 250.000 policiers et gendarmes, on s'y engage pour cette année", a promis le ministre devant la vingtaine d'associations convoquées à son ministère. Formations qui devraient par ailleurs être rallongées : 2h30 pour la formation initiale, contre actuellement 1h30 pour les gendarmes et 2 heures pour les policiers. Dans une interview à La Voix du Nord, Gérald Darmanin a fait preuve d'un enthousiasme encore plus débordant, affirmant sa volonté que la formation de l'ensemble des agents dure "au moins une journée ou une demi-journée". Ce dernier engagement n'a toutefois pas été réitéré devant les associations.
LGBTphobies : la formation se fait attendre
Le ministère de l'Intérieur pourra-t-il comme promis changer d'échelle en un an ? Rien n'est moins sûr. Quelques jours avant la rencontre avec les associations, l'entourage de Gérald Darmanin assurait à têtu· qu'il ne faudrait pas s'attendre à ce que tous les agents soient formés d'ici à la fin 2023, mais seulement ceux au contact du public, dans un premier temps. "Sur les 130.000 policiers, cela représente entre 40.000 à 50.000 personnes formées et, à terme, l'ensemble des effectifs aura reçu une formation", nous précise-t-on. Aujourd'hui, Flag!, association des agents LGBT+ du ministère, qui réalise ces formations en école de police, sensibilise environ 7.000 personnes chaque année. Et si Gérald Darmanin a pris la parole au cours de l'assemblée générale de l'association pour promettre que "son budget sera doublé", la promesse ne concerne que la subvention du ministère, soit environ 24.000 euros aujourd'hui – pour comparaison, la subvention de la ville de Paris s'établit entre 15.000 et 20.000 euros.
"Nous devons avoir des référents dans chacune des brigades et pas seulement dans les grandes villes", a encore martelé Gérald Darmanin devant les associations. Ces agents seraient spécifiquement formés pour accueillir les victimes LGBTQI+, mais aussi pour rédiger les plaintes en connaissance des potentielles circonstances aggravantes qui les concernent. Mais là encore, les espoirs des associations ont été mis à rude épreuve. Ces référents avaient déjà été promis en octobre 2018, par l'ancien ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, sans devenir réalité. Dans plusieurs commissariats, les référents désignés n'étaient même pas informés de leur nouvelle fonction ! "Il ne vous a pas échappé que la phase de Covid n'a pas facilité les choses", a balayé Gérald Darmanin, prenant date avec les associations pour une réunion de suivi d'ici à la fin de l'année.
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Concernant les nouvelles missions de ces référents, "du temps leur sera dégagé, mais on est dans une logique d'adaptabilité aux besoins", précise à têtu· le ministère. Autrement dit, c'est au niveau de la brigade et non à l'échelle nationale que ce temps sera défini, avec le risque que des missions plus importantes balaient toute cette bonne volonté. Consigne a par ailleurs été donnée aux préfets pour qu'ils réunissent les associations de lutte contre les LGBTphobies : ces réunions, appelés "Corah", existent également depuis 2019. Enfin, une cartographie des atteintes LGBTphobes doit être établie, sur l'exemple de Lyon, afin d'y renforcer les patrouilles et systèmes de vidéoprotection.
Défiance envers Gérald Darmanin
Au bout du compte, les associations se divisent en deux camps : celles qui reconnaissent que Gérald Darmanin a fait siennes une partie de leurs revendications et qui attendent leur concrétisation, et celles, à l'image des Séropotes, qui ne considèrent pas "le ministère de l’Intérieur comme un allié crédible". Signalant que pour la première fois, des drapeaux arc-en-ciel flottaient sur la façade du ministère de l'Intérieur à l'occasion de la journée de lutte contre l'homophobie et de la transphobie, le 17 mai, Flag! se montre la plus optimiste : "On espère que cela fera prendre conscience à toutes les échelles de la hiérarchie que ces sujets sont une priorité".
L'Inter-LGBT s'est montrée plus méfiante au cours de la rencontre, pointant notamment une politique hostile aux personnes migrantes, travailleuses du sexe ou trans. "Nous ne sommes pas rassurés par certaines positions que vous avez prises et assumées. Vous vous revendiquez plus vite ennemi que la présidente d'un parti fondé par d'anciens Waffen SS. Permettez-moi de vous dire que nous avons de nombreuses raisons de ne pas avoir confiance en vous et en votre politique", s'est ainsi emportée sa coprésidente Elisa Koubi.
SOS homophobie se félicite néanmoins, à propos de son mea culpa récent quant à son opposition passée au mariage pour tous, que Gérald Darmanin reconnaisse pour la première fois qu'"à l'époque, nous n'avions pas mesuré collectivement à quel point nos paroles pouvaient avoir des conséquences dans la vie des gens". Coprésident de l'association, Joël Deumier développe : "Ce pas est fait, maintenant nous resterons extrêmement vigilants à l'exécution des mesures qui vont dans le sens de la lutte contre les LGBTphobies". Les assos ne croient que ce qu'elles voient, et elles ont bien raison.
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