17maiSOS homophobie rapporte une agression anti-LGBT tous les deux jours

Par Nicolas Scheffer le 16/05/2023
SOS homophobie, rapport 2023

[Interview] Dans son rapport annuel 2023, SOS homophobie alerte sur la nette hausse des agressions physiques anti-LGBT, violences qui ciblent en premier lieu des hommes gays et de plus en plus les lesbiennes et personnes trans. Co-présidents de l'association, Véronique Godet et Joël Deumier répondent aux questions de têtu· à la veille du 17 mai, journée de la lutte contre les LGBTphobies (IDAHOBIT).

En 2022, l'association SOS homophobie a recensé 184 victimes LGBT d'agressions physiques en France. Soit une tous les deux jours. Dans son rapport annuel 2023 sur les LGBTIphobie, l'association, qui a reçu l'an dernier 1.506 témoignages, fait le constat de l'ancrage des menaces physiques pesant sur les personnes LGBTQI+. Si les hommes gays représentent toujours une majorité des victimes (64% des témoignages et 68% des agressions), les témoignages d’actes de transphobie ont augmenté en un an de 27% et ceux de lesbophobie de 14%. Au total, les témoignages d'agressions physiques ont augmenté de 28%.

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Face à cette montée inquiétante, SOS homophobie exhorte les pouvoirs publics à mettre en place des politiques efficaces. L'association plaide pour amplifier les formations sur le sujet, notamment dans la police et à l'école. Également un souhait de l'association, une campagne de communication devrait selon nos informations être annoncée le 19 juin dans le prochain plan triennal du gouvernement sur les LGBTphobies. Dans les établissements scolaires, après les suicides récents de Lucas et de Dinah, le ministre de l'Éducation Pap Ndiaye doit également faire diffuser des affiches dans tous les lycées et les collèges ce 17 mai, journée mondiale de la lutte contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie (IDAHOT, IDAHOBIT). Un an après l'arrivée d'Élisabeth Borne à Matignon, le gouvernement, dont la Première ministre avait promis qu'il serait "l'allié des personnes LGBT+", peine donc à faire reculer ce fléau. Véronique Godet et Joël Deumier, revenus à la co-présidence de SOS homophobie il y a un mois, développent le contenu de leur rapport.

SOS homophobie fait état dans son rapport 2023 d'une augmentation des violences physiques contre les personnes LGBTQI+. De quelle nature sont-elles ?

Véronique Godet : Ces agressions sont très violentes, et nous recensons quelques cas de viols et de meurtres. Elles sont principalement commises par des hommes, souvent en groupe. Dans 38% des cas, elles sont commises dans des lieux publics, et s'accompagnent de coups et blessures dans 69% des cas. Elles s'accompagnent aussi d'insultes et, dans un tiers des cas, les violences s'ajoutent à du harcèlement.

Joël Deumier : Le phénomène des guets-apens homophobes est ancien, mais l'hyperviolence de ces actes, qui sont très souvent prémédités, est aujourd'hui insupportable. Cela prouve l'ancrage de l'homophobie dans l'ensemble de la société puisque ces traquenards ciblant des gays ont souvent lieu en groupe, et les auteurs de ces actes s'en vantent parfois sur les réseaux sociaux. Face à ce phénomène, la réponse pénale est insuffisante.

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Dans les commissariat de police et de gendarmerie, l'accueil des victimes s'est-il amélioré ?

Joël Deumier : Plusieurs témoignages font part d'officiers qui minorent les agressions, conduisant les victimes à ne pas porter plainte voire à subir des refus de plainte. Cela montre l'importance de la formation aux LGBTphobies, essentielle au bon déroulement des enquêtes et ensuite de la procédure judiciaire. Si l'on veut être efficace dans la lutte contre les LGBTphobies, c'est par là que cela doit passer.

Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a annoncé des mesures pour lutter contre les LGBTphobies : une meilleure formation des agents au contact du public, des référents dans tous les commissariats... Cela vous paraît-il satisfaisant ?

Joël Deumier : Ça va dans le bon sens, mais tout cela avait déjà été annoncé en 2019 et ce n'est toujours pas effectif. Nous demandons que ce soit réellement appliqué, que les référents soient réellement nommés et formés.

Véronique Godet : On a un sentiment d'instrumentalisation des questions LGBTI à des fins de communication. Moi qui me suis battue pour le mariage pour tous, je ne crois pas au mea culpa que Gérald Darmanin a formulé. J'y vois du pinkwashing et s'il veut présenter des excuses, il devrait le faire devant l'Assemblée nationale, plus que devant ses électeurs de La Voix du Nord.

Joël Deumier : Ces excuses sont néanmoins indispensables pour reconnaître que ces positions ont conduit à une augmentation de la violence homophobe, en donnant une légitimité à des propos et des actes anti-LGBTQI+. Il faut se souvenir de la violence des propos que Gérald Darmanin tenait. Il a le droit de changer d'opinion mais maintenant, il doit prouver dans les actes qu'il est de notre côté.

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Le ministre de l'Éducation Pap Ndiaye a également fait connaître sa volonté de rendre effectives les trois séances prévues d'éducation à la sexualité. Vous lui donnez le point ?

Véronique Godet : Cela aboutira peut-être dans une dizaine d'années, quand les enseignants seront sensibilisés et formés. Ces trois heures peuvent être prises par n'importe quelle discipline. Mais je ne sais pas dans quelle université les futurs enseignants l'apprennent. Peut être qu'il faudrait surtout revoir les manuels, repenser des ABCD de l'égalité à l'école primaire, et puis sensibiliser à l'autre dès la crèche en adaptant notre discours à chaque âge. D'une manière globale, si on veut être pleinement efficace, il faut revoir la manière d'enseigner à l'école et de former les enseignants. -

Joël Deumier : C'est important que les militants comme ceux de SOS puissent faire ces interventions. Nous avons l'expertise pour parler aux jeunes et certains enseignants ne sont pas à l'aise pour évoquer les sujets LGBTI avec leurs élèves. Il y a également une spécificité de ces séances, nous souhaitons libérer la parole des élèves sans jugement. C'est lorsque que la parole est libérée qu'on peut la déconstruire.

Véronique Godet : Aussi, la personne concernée qui intervient peut faire son coming out. Par exemple, lorsqu'un élève se fait agressif, montrer qu'en tant que lesbienne, je suis heurtée par ses propos, cela rend l'insulte concrète et c'est très efficace. Pour les élèves qui s'interrogent, il est également fondamental d'avoir en face d'eux des personnes qui ne sont pas des victimes mais qui sont bien dans leur peau.

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Vous êtes de nouveau co-présidents de l'association après l'avoir déjà été entre 2017 et 2019, pourquoi avoir voulu reprendre cette direction ?

Joël Deumier : On constate que les discours LGBTphobes s'organisent en France, en Europe et dans le monde. On constate que la progression de nos droits n'a pas tari la haine à notre égard. En France, la Manif pour tous, qui se renomme Syndicat de la famille, prétend avoir le monopole de la famille. Aux États-Unis, de nombreux États adoptent des lois contre les personnes LGBTQI+... Si on n'a pas de parole politique ferme face à ces discours réactionnaires qui s'organisent, ils se transformeront très rapidement en actes de violence.

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Crédit photo : SOS homophobie