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politique"Bien sûr qu'il pense à Matignon" : Darmanin et les LGBT, coulisses d'une mue politique

Par Nicolas Scheffer le 12/06/2023
Gérald Darmain

Dix ans après avoir fait partie des voix de la droite qui ont soutenu la Manif pour tous dans la bataille contre l'ouverture du mariage aux couples homosexuels, promettant même qu'en tant que maire il ne respecterait pas la loi Taubira, Gérald Darmanin multiplie désormais les signes à l'endroit de la communauté LGBTQI+. Un changement de pied qui n'est pas dénué de sens politique, celui du vent ayant changé depuis lors pour le ministre de l'Intérieur…

Est-ce le même Gérald Darmanin qui, il y a seulement dix ans, qualifiait le mariage pour tous de "néfaste réforme de société" ? En ce lundi de mai 2023, le voilà ministre de l'Intérieur et qui commence sa semaine en recevant, salon Érignac à Beauvau, un parterre d'associations LGBTQI+ venues lui présenter leurs revendications et réagir à son annonce de mesures de lutte contre les LGBTphobies. À peine Gérald Darmanin lève-t-il un sourcil lorsque l'Inter-LGBT lui reproche de faire la course à l'échalote avec le Rassemblement national, "un parti fondé par d'anciens Waffen SS", insiste Elisa Koubi, coprésidente de l'inter-associative. Patiemment, le ministre écoute, se défend poliment lorsqu'il le faut et, comme nous le fait valoir son conseiller, reste le double du temps programmé à son agenda, quitte à ce que son directeur de cabinet le presse à plusieurs reprises. "La politique est un art de l'adaptation. Il faut être prêt quand l'occasion se présente", écrivait Gérald Darmanin en 2017 dans son livre Chroniques de l'ancien monde. Aujourd'hui, le ministre de l'Intérieur se prépare.

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Le voyage à Canossa du néo-repenti commence fin avril, à quelques jours de la date anniversaire de l'adoption de la loi Taubira, dans La Voix du Nord, journal régional couvrant sa terre d'élection. "Gérald Darmanin était particulièrement inquiet de vidéos qui rappelleraient ses positions passées à l'occasion de l'anniversaire des 10 ans du mariage pour tous", nous glisse un proche d'Emmanuel Macron. Lors d'une courte interview, le ministre prends les devants, reconnaissant s'être "trompé" en votant en 2013 contre le mariage pour tous. "Si c'était à refaire, je voterais le texte", assure le ministre qui avait pourtant été jusqu'à déposer un recours devant le Conseil constitutionnel afin de censurer la loi sur le mariage pour tous. Il avait même juré, en campagne à Tourcoing (Nord) pour les municipales de 2014, que s'il était élu il ne célèbrerait pas de mariages homosexuels. Puis encore promis, la même année en tant que porte-parole de Nicolas Sarkozy pour la présidence de l'UMP (ex-LR), que "la loi Taubira sera abrogée, réécrite profondément". Le même aujourd'hui, la main sur le cœur, devant nos confrères des Hauts-de-France : "Dix ans après, j'ai pu constater que le mariage homosexuel, comme l'adoption par les couples homosexuels, ne changent rien et que les craintes qui avaient été exposées par la droite, et notamment dans ma famille politique, étaient infondées". Sans blague… Allez, tout est pardonné ?

Darmanin le tacticien

L'ancien maire de Tourcoing a soigneusement préparé son changement de pied. Quelques jours avant l'interview, il se renseigne auprès d'un militant de la majorité dans le Nord : "Il faut vraiment que je rencontre Flag! ?", demande-t-il à propos de l'association d'agents LGBTQI+ du ministère de l'Intérieur, qu'il n'a alors jamais reçue depuis sa prise de fonctions, il y a trois ans. "Oui, et que vous fassiez des propositions pour les personnes LGBT+", lui conseille le militant. Réponse du ministre, comme à regret : "Ah, il faut que j’aille plus loin...".

De fait, dans La Voix du Nord, Gérald Darmanin énumère des mesures pour lutter contre les LGBTphobies, quitte à ce que certaines aient déjà été annoncées au cours du premier quinquennat Macron. Ce faisant, le ministre prend tout le monde de court. Selon nos informations, c'est via ses tweets que la Dilcrah, institution interministérielle pourtant chargée de coordonner la politique du gouvernement de lutte contre les LGBTphobies, a été informée de ces annonces. Plus humiliant encore pour l'instance, elle les a apprises alors qu'elle réunissait les associations LGBT+ pour justement réfléchir à ce sujet…

"On n'est pas dupes de l'opportunisme de Gérald Darmanin qui se réveille allié des personnes LGBTQI+ parce qu'il y trouve son compte électoralement."

Mais alors, d'où vient ce revirement surprise ? Évidemment, il n'a pas échappé au politique que le vent a tourné depuis 2013 : dix ans après les débats sur la loi Taubira, si la Manif pour tous poursuit sous un autre nom son combat contre les droits LGBTQI+, nombre de ses soutiens de l'époque, notamment en politique, sont bien obligés de faire le constat qu'ils se sont placés du mauvais côté de l'histoire, et que le mariage pour tous est aujourd'hui largement considéré comme une avancée sociétale majeure, ainsi que le montrent tous les sondages. "On n'est pas dupes de l'opportunisme de Gérald Darmanin qui se réveille allié des personnes LGBTQI+ parce qu'il y trouve son compte électoralement", remarque Jean-Loup Thevenot, président d'honneur de LGBT+66, association basée à Perpignan, qui faisait partie des collectifs réunis à Beauvau. "On ne se laissera pas berner par un mea culpa sans lui demander des comptes", renchérit Catherine Michaud, présidente de GayLib, association politique LGBTQI+ de centre-droit.

La leçon de Vautrin

Gérald Darmanin a également pu constater à quel point le soutien passé à une discrimination homophobe fait tache aujourd'hui sur un CV politique, en particulier au sein d'un gouvernement autoproclamé, par Élisabeth Borne lors de son arrivée à Matignon, "allié" des personnes LGBTQI+. "Nous ferons avancer les droits des personnes LGBT+ et réduirons les discriminations", a même promis la nouvelle Première ministre dans têtu·. Caroline Cayeux, éphémère ministre déléguée aux Collectivités territoriales, a néanmoins fait le choix de maintenir en 2022 les propos homophobes qu'elle avait tenus lors des débats sur le mariage pour tous, provoquant un tollé et une pétition sur le site de têtu·. Elle est restée moins de six mois en poste. Christophe Béchu, lui aussi nommé malgré son opposition passée au mariage pour tous, choisira prudemment, comme Gérald Darmanin, le mea culpa.

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Un autre cas parmi ses anciens camarades anti-mariage pour tous a servi de signal d'alarme à Gérald Darmanin. En mai 2022, Emmanuel Macron, tout juste réélu, a en tête le nom d'une femme pour le poste de cheffe du gouvernement, mais ce n'est pas celui d'Élisabeth Borne. C'est avec Catherine Vautrin, présidente (LR) de la Communauté urbaine du Grand Reims, que le président déjeune. Pendant plus de trois heures, rapporte le journaliste Ludovic Vigogne dans Macron : les secrets d'un passage à vide, les deux discutent architecture gouvernementale, nomination d'un directeur de cabinet et, à la fin du repas, Brigitte Macron suggère même à la Première ministre pressentie de se rapprocher du Mobilier national pour décorer son appartement de fonction. Las, le bruit court publiquement de sa nomination imminente, créant rapidement une levée de boucliers jusqu'au sein de la majorité. Plusieurs figures macroniste qui ont défendu la PMA pour toutes lors du premier quinquennat se cabrent notamment, refusant d'avoir pour cheffe quelqu'un qui avait combattu la loi Taubira en considérant qu'elle "n'était qu'un cheval de Troie pour la PMA et la GPA qui se profilent derrière". Résultat, Catherine Vautrin a vu Matignon lui passer sous le nez.

"Bien sûr que Gérald Darmanin alimente une ambition personnelle, et qu'il pense à Matignon, analyse une députée de la majorité présidentielle. Mais il faut aussi faire de la politique, et en profiter pour obtenir le maximum d'engagements de sa part !" Le ministre ne prend en effet guère la peine de cacher ses vues. Ces dernières semaines, il défie d'ailleurs de plus en plus ouvertement Élisabeth Borne, à laquelle il claque toutefois ostensiblement la bise… en sachant très bien que sa patronne déteste cela. "À tous les points de vue, il cherche à l'emmerder et c'est de plus en plus explicite", remarque un de ses collègues. Or le tout juste quadragénaire le sait désormais : s'il veut à son tour choisir des meubles pour Matignon, il doit s'éviter le destin de Vautrin, et défricher le terrain en amont, lui dont la carrière politique a commencé comme collaborateur de feu le député Christian Vanneste, ouvertement homophobe. Sa conversion tardive au mariage pour tous a-t-elle convaincu auprès de ses collègues du gouvernement ? "L'homophobie de Darmanin était davantage liée à sa beauferie qu'à un véritable conservatisme, souffle l'un d'entre eux auprès de têtu·. Elle servait son ambition politique et aujourd'hui, sa conversion le fait tout autant. Il la met en scène avec sa méthode gros rouge qui tache, mais avec une certaine habileté."

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Crédit photo :  Emmanuel Dunand / AFP