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mondeMariage, lutte contre les discriminations : le Japon renâcle à protéger ses LGBT

Par Tessa Lanney le 14/06/2023
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Alors que le débat sur l'ouverture du mariage aux couples homosexuels patine au Japon, sur le plan des discriminations ses députés viennent d'approuver une loi qui "promeut la compréhension" des personnes LGBTQI+. Un texte bien loin de ce qu'espéraient les militants…

Le soft power japonais pourrait facilement nous laisser croire que l'archipel asiatique est un havre de paix pour les LGBTQI+. Dans le genre mondialement connu du manga fleurissent ainsi des histoires d'amours homos plus mignonnes les unes que les autre, ou du sexe gay crû et sans tabou. Mais lorsqu'il s'agit de promulguer des lois réduisant concrètement les inégalités, le Japon est à la traîne. Ce mardi 13 juin, après des mois de débats sur la lutte contre les discriminations LGBTphobes, la Chambre des représentants du pays (l'équivalent de notre Assemblée nationale) a approuvé une loi visant à "promouvoir la compréhension" des personnes LGBTQI+, sans plus. Inutile de dire que, loin de provoquer l'effervescence chez les militants, le texte final, qui a longtemps stagné dans la chambre basse du Parlement où les élus conservateurs étaient contre l'introduction d'une clause anti-discrimination, fait l'effet d'un pétard mouillé. À ce jour, donc, comme par exemple en Italie, aucune loi nippone n'interdit les discriminations envers les personnes LGBTQI+. Le Japon est en outre le seul pays du G7 à ne pas reconnaître les unions entre personnes du même sexe, et l'un des deux derniers à ne pas autoriser le mariage, à nouveau avec l'Italie.

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Pour vider le texte de sa substance, les conservateurs ont largement appuyé sur l'esprit de cohésion encensé dans la culture japonaise : une clause anti-discriminations aggraverait la division au sein de la société, en plus de générer des procédures en justice. Résultat, la loi votée comporte bien une clause, mais interdisant uniquement toute "discrimination injuste" à l'égard des minorités sexuelles. L'histoire ne dit pas ce que serait une discrimination juste… "Nous condamnons fermement [cette loi] dont le contenu est à l'opposé de ce que nous avions réclamé", s'est insurgée l'organisation LGBTQI+ japonaise J-ALL dans un communiqué, dénonçant une "trahison" des personnes concernées en raison de la "considération" montrée envers les auteurs de discriminations. Bien que la loi doive encore être votée par le la Chambre des conseillers (l'équivalent de notre Sénat) pour être définitivement adoptée, la coalition conservatrice au pouvoir y détient une large majorité et ne devrait pas rencontrer de difficultés.

Le Japon long à venir sur le mariage

Si les conservateurs au pouvoir prennent la peine de faire passer un texte sur le sujet, c'est notamment sous la pression exercée sur le pays actuellement à la tête du G7, le groupe réunissant les principaux pays industrialisés du monde. Le Parti libéral-démocrate (PLD) du Premier ministre Fumio Kishida, représentant une droite conservatrice et nationaliste, se devait de donner des gages. En février dernier, le débat avait été relancé lorsque le chef du gouvernement avait limogé l'un de ses secrétaires après que ce dernier eut tenu des propos homophobes. Un mois plus tard, l'opposition avait remis au Parlement une proposition de loi pour légaliser le mariage pour tous, dans l'espoir de faire évoluer la position du gouvernement avant le sommet du G7 qui s'est tenu, en mai, à domicile dans la ville d'Hiroshima. La majorité des Japonais s'est alors montrée favorable à la réforme proposée par le Parti démocrate constitutionnel (PDC) : selon un sondage réalisé par le Nihon Keizai Shimbun, 65% de la population la soutient. Le 8 juin, le tribunal de Fukuoka, sur l'île de Kyushu dans le sud du pays, a d'ailleurs estimé que l'inégalité face au droit au mariage était une "situation inconstitutionnelle". Cette déclaration n'est pas sans importance mais le chemin à parcourir vers une loi est encore long.

Le PDC n'en est pas à sa première tentative. En 2019, le parti de centre-gauche avait fait une proposition similaire, qui n'avait même pas été débattue au Parlement. Au moins de mars, alors que la question était de nouveau soulevée, le Premier ministre avait estimé que ne pas reconnaître le mariage des couples de même sexe n'était en rien discriminatoire ni anticonstitutionnel. Les conservateurs se réclament en effet du premier paragraphe de l'article 21 de la Constitution japonaise, qui énonce : "Le mariage est fondé uniquement sur le consentement mutuel des deux sexes, et son maintien est assuré par coopération mutuelle, sur la base de l’égalité de droits du mari et de la femme". Un texte qui date de 1947. En face, les seize couples qui depuis 2019 se sont lancés dans des poursuites judiciaires afin de contester l'interdiction du mariage homosexuel se réfèrent à l'article 14 de la loi fondamentale : "Tous les citoyens sont égaux devant la loi ; il n’existe aucune discrimination dans les relations politiques, économiques ou sociales fondée sur la race, la croyance, le sexe, la condition sociale ou l’origine familiale". Égalité !

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