Aux côtés de Ben Wishaw et Adèle Exarchopoulos, l'acteur allemand Franz Rogowski confirme dans Passages, le nouveau film d'Ira Sachs, le talent qu'on lui avait connu dans Happy End, de Michael Haneke, et plus récemment dans Great Freedom de Sebastian Meise. Interview.
C’est le comédien allemand dont tout le monde parle. Découvert en 2017 dans Happy End de Michael Haneke, Franz Rogowski s’est depuis illustré en homosexuel emprisonné dans Great Freedom et, cette année, en légionnaire-danseur dans l’atmosphérique Disco Boy. Dans Passages, premier film "parisien" du réalisateur américain Ira Sachs (Keep the lights on, Love is Strange, Frankie…), il campe Tomas, un metteur en scène qui met en péril son couple avec Martin (Ben Wishaw) en rencontrant Agathe (Adèle Exarchopoulos). Pour la sortie du film en France ce mercredi 28 juin, il revient pour têtu· sur ce personnage d’homme bisexuel, fan du combo crop top/cycliste, mais pas forcément aimable…
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Comment décririez-vous Tomas, le personnage central de Passages ?
Franz Rogowski : Clairement un personnage compliqué ! Il est en recherche d’amour, comme nous tous, mais il est surtout en recherche d’un foyer. Il a beaucoup de problèmes d’amour-propre et cela participe de la douleur qu’il est capable d’infliger aux autres. Tomas est toxique mais ce n’est pas la seule façon de le voir, c’est un réalisateur un peu torturé qui a une vraie capacité à créer des moments d’intimité avec les gens, à les embarquer dans des aventures. Je me suis beaucoup demandé de quelle façon je pouvais être proche de lui, de sa façon de fonctionner, et je pense que je peux parfois être comme lui mais comme je peux souvent être plus proche des personnages de Ben ou d’Adèle ! D’ailleurs, travailler avec Ben Wishaw et Adèle Exarchopoulos était une expérience vraiment puissante.
Est-ce que ce personnage représentait un challenge particulier pour vous ?
Le plus gros challenge, c’est que j’ai eu très peu de temps de préparation car je sortais à peine du tournage de Disco Boy. Je savais que cela serait complexe de passer d’un Russe à la masculinité toxique à un personnage queer, transparent et narcissique ! Mais Ira Sachs n’était pas inquiet, il m’a conseillé de ne rien préparer et était persuadé qu’on trouverait le personnage ensemble sur le plateau. Le scénario était à la fois drôle et dramatique, il y avait beaucoup d’émotions et c’était très inspirant. J’aime beaucoup la façon qu’a Ira de construire ses personnages, c’est très personnel et sa fantaisie m’a inspiré. Il n’y a rien de froid, de sec, de conceptuel. Plus je le connais, plus je me sens proche de lui, et nous avons découvert Tomas ensemble.
Comment avez-vous travaillé avec Ben Wishaw pour construire votre couple ?
On s’est rencontré pour la première fois dans un bar et Ira nous a dit : "Ok, je m’en vais et je vous laisse tous les deux !". J’ai beaucoup d’admiration et de respect pour Ben et nous nous sommes retrouvés très timides l’un face à l’autre, alors que nous savions que nous allions vivre ensemble des scènes fortes : des séquences de sexe intenses, des ruptures… Tout s’est fait naturellement, Ben est un acteur incroyable, qui est capable de tant de gestes si précis, et j’adore sa façon d’incarner un texte.
Le fait qu’un homme en couple avec un homme le trompe avec une femme, c’est une vision queer et moderne du classique triangle amoureux, mais pas seulement…
Lors de la présentation du film à Berlin, une grande partie du public regrettait même que cette histoire à trois ne fonctionne pas vraiment, car le personnage de Tomas est trop égoïste. L’histoire ne colle pas aux récits contemporains qui réinventent les formes de famille, queer ou pas, parce qu’ici ça ne fonctionne pas, il n’y a pas l’équilibre requis. Le but du film n’est pas de donner des réponses aux conservateurs qui contestent ce genre de famille mais de mettre en scène une histoire d’amour, de vie, qui soit singulière. Ce qui fait la beauté et la modernité de Passages, c’est qu’il ne juge jamais ses personnages. Et j’aime aussi que le film joue aussi sur l’esthétique, les costumes, les cadres, sans s’appesantir sur la psychologie.
>> [Vidéo] La bande-annonce du film Passages :
Crédit illustration : Franz Rogowski dans Great Freedom, Paname Distribution