Abo

magazine"Les personnes trans ont toujours existé" : rencontre avec Kim Petras, libre et fière

Par Florian Ques le 07/07/2023
kim,petras,chanteuse,trans,transidentité,feed the beast,Slut pop,kim petras tetu,kim petras,chanteuse trans,kim petras trans,magazine tetu,tetu magazine

[Kim Petras est l'une des stars en couverture du magazine têtu· de l'été] La sale gosse à gloss revient avec un nouvel album, Feed the Beast. Kim Petras a grandi : fini les histoires d’adolescente en chaleur, place aux featurings de poids, et aux odes aux gorges profondes.

Le 5 février, euphorie sur la scène des Grammy Awards, à Los Angeles. Toute de rouge vif vêtue, de sa courte robe à sa voilette de mariée, glamour et sexy, en passant par une paire de talons démesurés, Kim Petras devient à 30 ans la première chanteuse ouvertement trans à remporter un prix à cette cérémonie, en l’occurrence celui de la meilleure performance pop pour un duo. Récompense qu’elle partage avec Sam Smith et qui vient consacrer “Unholy”, un morceau dance-pop hyper lubrique. Son discours, alors rempli de fierté, est également marqué par l’émotion. “J’avais écrit un speech, nous confie-t-elle. Il était radicalement différent de celui que j’ai prononcé. Au dernier moment, j’ai décidé de parler avec le cœur, et je ne regrette pas. C’était bien plus honnête.”

À lire aussi : Aloïse Sauvage : "Mettre mon corps en scène m'a permis de renouer avec ma sensualité"

L’artiste a doublé la mise début mai avec une autre collaboration de poids, “Alone”, un hit très pop aux accents eurodance contrebalancés par un couplet rappé par Nicki Minaj. Ces featurings, prestigieux, font aujourd’hui exploser la notoriété de Kim Petras, qui compte bien confirmer l’essai avec Feed the Beast, un troisième album qu’elle décrit comme beaucoup plus tapageur et “davantage taillé pour les clubs” que ce qu’elle a fait jusqu’ici. “C’est un concentré de tout ce que j’écoutais quand j’étais plus jeune : de la house, de la techno et de la musique rave 100 % européenne”, explique la chanteuse allemande. Exit donc les bluettes crypto-sensuelles qui marquaient ses débuts, sa musique s’affirme et s’accompagne désormais de paroles carrément décomplexées.

kim,petras,chanteuse,trans,transidentité,feed the beast,Slut pop,kim petras tetu,kim petras,chanteuse trans,kim petras trans,magazine tetu,tetu magazine

Le tournant "Slut Pop" et l'idole Madonna

Dès ses débuts, la popstar avait imposé une ambiance éperdument chaude et sexy, lascive ; dans son EP Slut Pop, sorti en 2022, elle évoque… non, elle célèbre la jouissance, la pénétration musclée et les gorges profondes tout en suppliant d’être “traitée comme une traînée” dans “Treat Me Like a Slut”. Dans “Throat Goat”, des bruits de succion accompagnent sa revendication du titre de meilleure suceuse (vantarde…). Et quand on lui fait remarquer que c’est tout de même un peu osé, elle ne peut retenir un rire, et en profite pour replacer la barrette qui retient ses longs cheveux blond platine. “J’avais surtout envie de parler de sexe sans honte, souligne-t-elle. Mais plus que tout, je voulais que mes fans puissent écouter cet EP avant d’aller en date ou dans la voiture avec leurs potes. Je voulais que ce soit le disque que tes parents ne veulent pas que tu écoutes, un peu comme Lil’ Kim ou les Pussycat Dolls quand j’étais ado.”

On discerne vite un penchant pour la provocation, qui rappelle Madonna, son idole – ado, Kim se dandinait sur les tubes de Confessions on a Dance Floor –, qu’elle n’a pas manqué de remercier lors de son discours aux Grammy. “C’était quelqu’un qui me comprenait, confie-t-elle. Elle s’est constamment battue pour ne pas être censurée et pouvoir s’exprimer librement. Ça a vraiment été l’une des premières célébrités à s’investir à fond pour dire que c’était OK d’être LGBTQI+. Sans elle, je ne serais pas là, et plein d’autres popstars non plus.” En guise de consécration, la Material Girl a d’ailleurs choisi de présenter la performance live de Sam Smith et Kim Petras aux Grammy Awards.

Sa transition médiatisée à l'âge de 12 ans

De Madonna, elle retient peut-être surtout la liberté souveraine de faire ce qu’elle veut de son corps. Au-delà de sa discographie de plus en plus désinhibée, vous l’aurez compris, Kim Petras s’amuse autant avec sa sexualité qu’avec sa féminité, que ce soit dans ses clips ou sur Instagram. “Quand j’étais plus jeune et peu sûre de moi, je tentais de compenser en étant la plus féminine possible, raconte-t-elle. Comme pour essayer de convaincre les gens que j’étais bel et bien une fille.” Native de Cologne, grosse ville d’Allemagne de l’Ouest, elle participe dès l’âge de 12 ans à un reportage sur sa transition de genre. “Je suis devenue la risée de tout le pays, se remémore-t-elle avec un ton factuel, presque froid. On se moquait de moi, on utilisait mon deadname en direct à la télévision…” Cet acharnement pousse la jeune femme, alors en pleine puberté, à vivre de plus en plus recluse, jusqu’à ce qu’un déménagement aux États-Unis lui permette d’aller de l’avant – avec l’aide de quelques années de thérapie.

"Tout ce que j’ai fait, c’est ajuster mon enveloppe extérieure à la façon dont je me suis toujours sentie à l’intérieur de moi.”

Aujourd’hui, Kim Petras pose un regard détaché sur cette époque de sa vie : “J’ai conscience que certaines personnes ne comprendront jamais la transidentité et ne rencontreront jamais de personnes trans, ce qui ne les empêchera pas d’avoir une opinion tranchée en dépit de leur ignorance. Personne ne se réveille un beau jour en souhaitant être du genre opposé. C’est un conflit interne qui est là dès le départ. Tout ce que j’ai fait, c’est ajuster mon enveloppe extérieure à la façon dont je me suis toujours sentie à l’intérieur de moi.” Aujourd’hui, la popstar jubile quand elle voit les succès de Teddy Quinlivan, la première mannequin ouvertement trans embauchée par Chanel, d’Hunter Schafer, l’actrice révélée dans la série Euphoria, ou encore d’Ethel Cain, prodige musical qui pioche autant du côté de la folk et du gospel que du rock. “C’était dur d’être une des seules meufs trans dans le game, lâche Kim Petras. Heureusement, on est désormais de plus en plus nombreuses, et ça fait plaisir !”

"Certains veulent réécrire l’histoire, mais les personnes trans ont toujours existé et elles continueront d’exister."

Car la chanteuse se révèle à présent bien plus militante – une valeur elle aussi héritée de la Madone. En milieu d’interview, dans un salon très cosy des bureaux londoniens d’Universal Music, elle paraît un brin fatiguée – “Désolée, le jetlag commence à se faire sentir”, s’excuse-t-elle – avant qu’un regain d’énergie ne la parcoure à l’évocation de la transphobie. “Les meurtres transphobes sont encore une réalité. Brianna Ghey avait 16 ans quand elle s’est fait poignarder en février au Royaume-Uni, rappelle-t-elle. Il y a énormément à faire sur ce sujet. Je peux encaisser toutes les attaques qu’on m’envoie tant qu’on laisse tranquille les ados qui essaient de comprendre leur identité. Certains veulent réécrire l’histoire, mais les personnes trans ont toujours existé et elles continueront d’exister.”

kim,petras,chanteuse,trans,transidentité,feed the beast,Slut pop,kim petras tetu,kim petras,chanteuse trans,kim petras trans,magazine tetu,tetu magazine

Kim Petras a bien conscience qu'elle ne fait pas juste de la pop, que le combat est plus large qu'elle. “Aujourd’hui, si j’aime autant jouer avec ma féminité, c’est aussi pour déranger les plus réactionnaires, ajoute-t-elle. Parfois, j’ai juste envie de me comporter comme une sale gosse dans une tenue rose bonbon et de me pavaner sous leur nez !” Mais en plus d’être trans, elle est aussi une femme travaillant dans la musique, ce qui l’expose au regard critique du public – comme lorsque Madonna a subi des attaques misogynes et sexistes après son discours aux Grammy. Lovée dans un sofa depuis le début de notre rencontre, Kim Petras se redresse et adopte une attitude plus sérieuse : “En tant que chanteuse pop, je me dois de dénoncer le traitement abject dont Madonna est victime sur les réseaux sociaux. Ça va inévitablement m’arriver à un moment donné. Une fois que tu atteins un certain âge dans cette industrie, tu es réduite à ton apparence, peu importe les combats que tu as pu mener ou les barrières que tu as pu briser, parce que tu es une femme et que le monde est misogyne. On a encore du boulot.”

À lire aussi : Loreen : "Comment peut-on dire non à l'amour juste à cause d'étiquettes ?"

À lire aussi : Nabil Harlow : rencontre avec un garçon déter

Photographie : Dana Boulos