[Aloïse Sauvage est en couverture du magazine têtu· de l'été, à retrouver chez votre marchand de journaux] Elle chantait l’amour lesbien, elle célèbre maintenant le sexe saphique. Dans son nouvel album, Sauvage, Aloïse Sauvage n’y va pas de main morte pour affirmer ses désirs de femme(s).
Photographie Aurélie Chantelly
Stylisme Liam Derouiche
En 2019, Aloïse Sauvage balbutiait ses amours lesbiennes dans sa première chanson, “Jimy”. Son nouvel album, Sauvage, sorti cette année, se présente finalement comme un “deuxième premier album”, une renaissance. Le précédent, Dévorantes, embrassait son identité lesbienne, parlait d’amour, de ruptures, de caresses, et plantait la graine qui fait de Sauvage un arbre saphique aux fruits bien juteux. Peter Pan queer, Aloïse chante pour les enfants perdus de sa communauté, qui se reconnaîtront dans “Unique”. Désormais bien implantée dans son ter‑ter lesbien, elle se donne corps et âme (accessoirement) à son public. Flambeau militant s’épanouissant dans la nuit queer, responsable d’innombrables feux de brousse avec “Joli Danger”, Aloïse Sauvage est définitivement un “être charnel”, qui ne se prive pas de crier au monde le désir lesbien.
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Dis donc, pour les 15 ans de la Wet For Me, la soirée lesbienne parisienne, tu nous as offert un spectacle déconseillé aux enfants !
La Wet, c’était zinzin (voir p. 40). Les soirées queers donnent un sentiment de liberté incomparable – et c’est encore plus vrai quand elles sont en non-mixité. Voir autant de ferveur, ça m’a émue. Quelque part, en tant qu’artiste, j’ai encore l’impression d’être une “baby lesbian”. Mais voilà, je me suis sentie accueillie, alors je n’y suis pas allée de main morte.
Tu dis les termes, ma belle…
C’est clair, un moment d’anthologie. Le pire, c’est que rien n’était prémédité. Juste avant de monter sur scène, j’ai proposé à Mila Furie, Michelle et Xena Vineyard de m’accompagner. Sans elles, rien de tout ça ne serait arrivé. Moi, je suis une meuf de la journée, full sport, mais j’ai adoré cette connexion avec le monde de la nuit. Sur le coup, j’ai senti qu’on était en train de répondre à un besoin. Les lesbiennes visibles qui mettent en avant leur corps, leur sensualité, ça ne court pas les rues. À l’international, on a qui ? Notre queen Kehlani. J’aimerais pouvoir en citer d’autres, mais…
“Buée sur l’pare-brise, j’aime quand tu lâches prise, j’aime quand ta langue se balade.” Avec “Joli Danger”, tu signes ta chanson et ton clip les plus hot. Ça y est, c’est l’été ?
Clairement, et je pense qu’il y aura un avant et un après “Joli Danger”. C’est quelque chose qui était déjà présent dans ma vie intime, mais qui se traduit musicalement pour la première fois. J’ai franchi un cap, pas uniquement dans mes textes, mais aussi dans l’affirmation artistique d’une force et d’une sensualité queer. Cette année, je me suis beaucoup affirmée sur scène. Mon rapport au corps a pas mal évolué. Le mettre en scène – et pas juste en montrant mes abdos – m’a permis de renouer avec ma féminité, ma propre sensualité. Dans la vie, je me considère plutôt comme un baby boy [soft masc]. On ne va pas se mentir, c’est juste impossible de me confondre avec une hétéra. Et pourtant, je mets mon corps au centre de ma performance.
Pourquoi maintenant ? Qu’est-ce qui t’a décidée à mettre l’accent sur le désir lesbien ?
Parler de désir, c’est politique. Ça s’ancre dans une démarche d’affirmation, une volonté d’expansion, de verbalisation du désir lesbien, mais ça va aussi bien au-delà de ça. Quand tu fais des chansons fédératrices, des hymnes communautaires, on t’enferme vite dans cette figure d’artiste engagée LGBTQI+. Et j’ai senti chez moi une sorte d’essoufflement, à force de répondre aux questions des journalistes centrées sur mon féminisme, mon homosexualité.
L’étape suivante, c’est finalement de parler de désir et de montrer – dans les paroles, dans les clips, sur scène, etc. – que nous sommes des figures incarnées, sexualisées, et pas juste des porte-drapeaux. Après tout, l’invisibilisation du lesbianisme passe aussi par celle de nos désirs. Askip, les lesbiennes ne feraient pas l’amour. Alors qu’on n’arrête pas de nous fétichiser ! Offrir une représentation du désir lesbien, c’est reprendre le pouvoir.
Comment tu t’y es prise pour ne pas verser dans les clichés justement ?
Dans les représentations de sexe lesbien, on a souvent des visuels soft, quelque chose de très poétique, de l’ordre de la fantasmagorie. De mon côté, pour le clip de “Joli Danger”, je voulais quelque chose d’assez cash, parler de désir de manière frontale, ne pas rester en surface. Ça fait du bien d’avoir quelqu’un qui dit haut et fort “je te prends sur le capot” sans y aller par quatre chemins. Comme j’avais peu d’exemples lesbiens, j’avais peur de tomber dans quelque chose d’hétéronormé, avec une masculine “bad boy” statique et une meuf féminine objectifiée qui lui grimperait dessus.
Pendant le tournage du clip, la danseuse, Romane, et moi avons cherché un équilibre. Ce sont nos deux corps, nos deux énergies qui s’imbriquent, sans qu’aucune de nous prenne l’ascendant. Certains hommes ont du mal à comprendre qu’on puisse se réapproprier notre pouvoir érotique en dehors de leurs modèles, de leurs propres pratiques. Dans leur esprit, si c’est excitant, c’est qu’il y a forcément un rapport de domination. Ils ne parviennent pas à comprendre les rapports de force qui se jouent entre deux femmes. Même lorsqu’il s’agit d’une performeuse comme Mila Furie, ils ne voient pas forcément que le pouvoir est partagé.
"Quand tu es lesbienne, tu provoques chez l’autre un sentiment d’incompréhension, d’étrangeté. Je voudrais que chacun puisse se reconnaître dans ma musique, qui s’efforce d’être la plus inclusive possible."
C’est plus dur de parler de cul avec un langage cru quand on est une femme, qui plus est une femme lesbienne ?
C’est sûr qu’on cumule. Dès qu’une femme détient une forme de pouvoir, on a tendance à la stigmatiser comme étant une casse-couilles. De la même manière, on s’attend à ce que l’on parle de sexe de façon lisse, sans faire de vagues. Quand tu es lesbienne, tu provoques chez l’autre un sentiment d’incompréhension, d’étrangeté. Je voudrais que chacun puisse se reconnaître dans ma musique, qui s’efforce d’être la plus inclusive possible. Mais lorsque j’exprime du désir, il est forcément lesbien. J’aimerais qu’un homme puisse s’identifier à ce que j’exprime, mais je sais que certains gars se sentiront forcément exclus, car pas directement concernés. Dès lors qu’on ne les invite pas à nous désirer, qu’on ne les désire pas nous-mêmes, ça nous rend moins baisables, et donc moins intéressantes.
C’est quoi ta recette secrète pour un son hot ?
Souvent, ce qui rend une chanson sexy, c’est une certaine nonchalance, pleine de charme, à laquelle on va ajouter une rythmique langoureuse. “Joli Danger”, c’est un morceau que j’ai abordé différemment des autres. Vocalement, il est moins articulé, plus susurré. L’effet aurait été fondamentalement différent si je l’avais saccadé, comme je le fais dans certains poèmes. Il ne faut pas chercher à ce que le son soit efficace, avec un couplet et un refrain mainstream. Quand c’est sexy, tu le sens.
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Crédit photo : Aurélie Chantelly