Abo

interviewLoreen : "Comment peut-on dire non à l'amour juste à cause d'étiquettes ?"

Par Florian Ques le 23/06/2023
loreen,loreen interview,eurovision,musique,pop,popstar,tattoo,amour

Le 13 mai dernier, la chanteuse suédoise Loreen a enflammé la scène de l'Eurovision 2023, dont elle est repartie victorieuse pour la deuxième fois. Elle s'entretient avec têtu· pour faire le point et parler art, amour et astro...

Il suffit d'une écoute pour avoir la mélodie de "Tattoo" en tête pendant des heures. En proposant ce titre pour la 67e édition du concours Eurovision, Loreen – qui avait déjà conquis le jury comme le public en 2012 avec "Euphoria" – ne se doutait peut-être pas qu'elle deviendrait la première femme à remporter deux fois la victoire. Plusieurs semaines après son sacre à Liverpool, l'artiste suédoise ne chôme pas et écume les plateaux télé, donnant des interviews à tour de bras pour défendre son morceau. Sans oublier de préparer sa tournée européenne, qui commencera la rentrée prochaine.

C'est lors de son passage à Paris que nous avons rencontré la chanteuse bisexuelle de 39 ans, et plus précisément dans un petit salon d'un hôtel du XVIIe arrondissement, où nous l'avons rejointe peu avant l'heure du déjeuner. "J'en avais besoin, tu vas voir que ça va donner un coup de pep's à cette interview", nous dit-elle, avec son regard vif et son sourire généreux, après avoir croqué dans une barre chocolatée. Rencontre.

À lire aussi : Nabil Harlow : rencontre avec un garçon déter

Je t'ai surprise en arrivant en train de parler d'astrologie. Tu penses que tu peux deviner mon signe ?

Je pense avoir une bonne intuition, mais il faut d'abord que je discute un peu avec toi.

On en reparle en fin d'interview alors !

Peut-être même que j'aurai deviné au milieu ! Mais je prends le pari.

Tu as remporté l'Eurovision il y a environ un mois pour la deuxième fois. Comment te sens-tu maintenant que toute la pression est redescendue ?

C'est encore surréaliste. Enfin, tout le monde me rappelle que c'est la deuxième fois que je remporte la victoire, mais je suis davantage contente que le public et mes fans aient apprécié le fait que je n'aie pas fait de compromis. Que je gagne ou que je perde, ce qui comptait pour moi, c'était de proposer ma vision à moi. Je tenais surtout à connecter avec les gens.

Cette deuxième participation a-t-elle été différente pour toi ?

Oui, énormément. La première fois, je fonctionnais à l'intuition. Tout était nouveau pour moi. Mais cette fois, c'est l'amour qui m'a guidée. Je n'ai jamais expérimenté quelque chose d'aussi fluide et évident. J'ai tout fait au nom de l'amour collectif, je tenais à créer une expérience vraiment fédératrice.

Tu gardes contact avec d'autres participants ?

Avec certains, oui ! On s'envoie souvent des textos avec Käärijä, et l'on n'arrête pas de se dire qu'on doit prendre un café ou un verre dès que l'un est dans la ville de l'autre. Je prends aussi des nouvelles de Blanca Paloma de temps à autre. Je me suis beaucoup reconnue en eux. Il y a dans ce concours une énergie si intense. Je pense que ça peut provoquer un choc.

Je ne sais pas comment vous faites. Toute cette préparation, physique et mentale, pendant des mois...

C'est pesant ! Ça demande un réel engagement. Mais par-dessus tout, ça demande une raison. Si la raison est juste de décrocher la victoire, alors toute cette expérience sera douloureuse. C'est trop calculé. Quand les gens ne se retrouvent pas dans ta chanson ou dans ta performance, c'est souvent à cause de l'intention qu'il y a derrière. Les gens ont besoin de ressentir l'art dans sa forme la plus sincère. La musique a besoin de vérité.

En parlant de musique, ça fait pas mal d'années que tes fans demandent un troisième album...

Oh purée, ne m'en parle même pas... Mais il va y avoir pas mal de nouveauté cette année, peut-être trois ou quatre morceaux ! L'album sortira l'année prochaine. On va essayer de le terminer en septembre, mais je préfère prendre le temps avant de tout dévoiler. Je veux pouvoir laisser ce disque respirer.

"Je suis le genre de personne qui participe à des retraites spirituelles. Je ne parle pas, je n'écris pas, je ne m'active pas. Je médite, et je me balade dans les bois."

Et quand tu n'es pas en train de composer, tu t'occupes comment ?

Je suis capable de ne faire absolument rien. Je suis le genre de personne qui participe à des retraites spirituelles de 30 jours, et qui ne fais rien du tout. Je ne parle pas, je n'écris pas, je ne m'active pas. Je médite, et je me balade dans les bois. (Rires.) C'est fou.

Tu dis "fou", je dirais plutôt "impressionnant". Je ne pense pas que j'en serais capable.

(Rires.) Dis-toi que tu n'as même pas le droit de regarder les autres gens dans les yeux, c'est une expérience vraiment à part. On est tellement stimulés au quotidien qu'on ne prend pas le temps de se poser et de gérer son flot de pensées. Donc, pendant ces retraites, les premiers jours sont difficiles parce que ton cerveau s'ennuie profondément. Tu vas au lit à 19 heures et tu te dis "eh mais pourquoi je suis pas en train de boire des coups à cette heure-là ?"

Tout ce temps en solitaire, ça doit être un peu éprouvant, non ?

C'est un peu comme faire une désintox : après trois jours, il y a un déclic. Dès le quatrième jour, tu commences à davantage ressentir davantage ton corps, tu peux déceler des douleurs que tu n'avais jamais pris le temps de conscientiser. C'est vraiment une méthode pour contrôler ton esprit. Pendant un certain laps de temps, la seule information que je me donnais, c'était "tu es la meilleure, tu es forte, tu es belle". Deux semaines plus tard, j'y croyais.

Tu as toujours été aussi spirituelle ?

Depuis que je suis toute petite. Je viens d'une grande famille où il se passait toujours quelque chose. Malgré le bruit – nous étions six enfants à vivre avec notre mère –, je trouvais le moyen de m'évader. Je parlais aux arbres, à la nature…

La religion a-t-elle occupé une place dans ta vie plus jeune ?

Non. Ma mère avait 16 ans quand elle m'a eue. Elle a fui le Maroc à l'âge de 14 ans, et a tout construit sans l'aide de personne. Mais la religion et la spiritualité sont deux choses très différentes. Avec elle, je pouvais parler de tout, il n'y avait de sujet tabou. Pas de filtre. Donc je lui posais tout le temps des questions.

Quel regard portes-tu sur la pop aujourd'hui ?

Je pense surtout qu'on ne saura bientôt plus ce qu'est la pop tellement elle est mélangée à d'autres genres. Prends Rosalía : on se dit que c'est de la pop, mais c'est infusé avec tellement d'autres sonorités. Ce qui compte, c'est la vision de l'artiste. Si tu jettes un coup d'œil aux artistes internationaux qui cartonnent, comme Kendrick Lamar ou Billie Eilish, leur point commun est qu'ils partagent leur vérité. Est-ce que c'est de la pop ? Je m'en fiche. C'est de la bonne musique avant tout.

J'ai vu ton TikTok à New York, où une drag queen s'est inspirée de toi. Comment es-tu tombée devant ce show ?

(Rires.) Honnêtement, il y a des endroits où je me sens comme à la maison. Je suis très sensible aux énergies, et dès que je me rends dans un club gay, je me sens instantanément à ma place. Je me dis que tout va bien et que je peux être moi-même. C'est un peu ma famille.

"J'ai réalisé que oui, j'avais déjà aimé une femme et que j'en aimerais sans doute d'autres."

Tu as fait ton coming out bi il y a plusieurs années de ça.

Je l'ai fait à une période où je me posais tellement de questions. Qu'est-ce que l'amour ? La sexualité ? Que veut dire être un homme, une femme ? Je me suis alors dis : "Mais comment peut-on dire non à l'amour juste à cause d'étiquettes ou d'idées de ce qui est acceptable ou non ?" C'est une perte de temps. Et là, ça m'a ouvert les yeux. J'ai réalisé que oui, j'avais déjà aimé une femme et que j'en aimerais sans doute d'autres.

J'ai l'impression que dès que tu questionnes les normes de genre, ta vision de la sexualité change aussi.

C'est complètement ça. Les concepts d'homme et de femme, c'est comme le yin et le yang. Ce sont deux énergies qui existent au sein de chaque individu. Il y a des périodes où je me sentais plutôt masculine, et d'autres plus féminine. L'important, c'est la vérité. Les gens qui arrivent à s'amuser avec ces deux énergies sans se sentir limités sont ceux qui, à mes yeux, sont les plus heureux. Je suis très positive quand je vois la direction prise aujourd'hui sur ces sujets-là.

En France, on a un diction qui avance "jamais deux sans trois"...

Oh je sais où tu veux en venir, toi !

Participer à un troisième Eurovision, ça te semble envisageable ? Peut-être dans dix ans ?

Dix ? Dans dix ans, j'habiterai au sommet d'une montagne. Tu me rendras visite dans mon ashram pour faire une séance de méditation. (Rires.) Plus sérieusement, je mentirais si je te disais que non. Si l'univers me dit que c'est la voie à suivre et que je ressens une énergie positive, alors, bien sûr, j'y participerai.

Et une édition spéciale avec uniquement des gagnants qui s'affrontent ? Comme les saisons All Stars de RuPaul's Drag Race. Je sais que des fans évoquaient cette piste sur les réseaux sociaux.

Mais vous êtes fous ?! (Rires.) En vérité, ce serait une sacrée compétition. Si tous les artistes s'unissent avec la volonté de faire un incroyable show collectif, alors je serai totalement partante.

On arrive à la fin de cette interview. Alors, t'as deviné mon signe astro ?

(Elle hésite.) Je dirais que tu es un signe de Terre ou d'Air car tu as une énergie apaisante.

Je peux te donner un indice : c'est bientôt mon anniversaire.

Tu n'es pas Lion, fuck it ! (Rires.) Tu es Cancer. Mais je te trouve très calme pour un Cancer, il faut que tu vérifies ton thème astral car tu as l'air d'avoir beaucoup de Terre en toi. Et si les retraites spirituelles où je suis allée t'intéressent, je peux te transférer quelques recommandations !

À lire aussi : The Aces exorcisent leur enfance mormone et queer dans un nouvel album plus rock

Crédit photo : CharliLjung