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sportLes Coqs festifs, le club de rugby LGBT qui fait bouger les lignes

Par Assia Hamdi le 19/09/2023
Les Coqs festifs

Créé en 2006 à Paris, ce club de rugby LGBT-friendly ouvert à tous sensibilise à la lutte contre les LGBTphobies. Dans le cadre de la Coupe du monde 2023 de rugby organisée en France, les Coqs festifs sont les partenaires de diverses actions anti-homophobie.

"Allez, voilà, c’est ça, à gauche, la balle aux rouges !" En ce samedi matin, on se motive et on s’applaudit sur le gazon du stade Pershing, dans le bois de Vincennes, à l'est de Paris. Malgré le début des vacances d’été et le temps menaçant, une quinzaine de joueurs de rugby sont là, avec leurs chaussettes arc-en-ciel. En milieu de séance, une soudaine averse ne suffit pas à briser leur détermination. Débutants, confirmés… les Coqs festifs, l’un des quatre clubs de rugby gay-friendly de France, se veut ouvert à tous. "Dans certaines structures, on requiert un niveau minimum, explique Pascal Bougault, secrétaire général de l’association. Mais chez nous, on peut s’initier à 20 ans comme à 40."

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Ce matin, pendant que les habitués s’entraînent au rugby touch, du rugby sans plaquage, deux débutants suivent une initiation dans un coin du terrain. Le but : apprendre à lancer la balle, à bien l’attraper, bref, se familiariser avec le sport. Chez les Coqs, on n’accueille pas que des gays. "Certains joueurs de l’équipe viennent à nos événements avec leurs femmes." Passée de 8 à 120 adhérents en quelques années, l’association entretient son ADN fêtard. "C’est notamment par l’événementiel, à la Pride par exemple, qu’on se fait connaître et qu’on recrute des membres", rappelle Pascal Bougault.

Très actifs sur Twitter et Instagram, les Coqs festifs se sont aussi rendus fin avril à Birmingham (Angleterre) pour la Union Cup, une compétition où s’affrontent les équipes LGBT-friendly européennes. Quelques semaines plus tard, ils se sont retrouvés au Portugal pour le Pitch Beach, tournoi international de rugby sur herbe et sur sable. Ce samedi matin, Anja, qui est arrivé au club il y a douze ans, transpire à grosses gouttes dans son maillot du XV de France. "À l’époque, je ne connaissais personne à Paris. J’avais toujours eu envie de faire du rugby, mais je n’avais jamais osé sauter le pas." Les Coqs sont ainsi devenus sa deuxième famille. "Je n’avais pas confiance en moi, et le fait de me battre pour mon équipe m’a donné de l’assurance. Cela m’a aussi appris à être présent pour les autres."

Rugby et coming out

C’est en 2006, à la suite de son départ des Gaillards, le premier club de rugby LGBTQI+ (qui fait l'objet d'un reportage dans le magazine têtu· de l'automne), que Gilles Delos fonde les Coqs festifs. Les premières années, le club tâtonne, peine à recruter. Après avoir longtemps pratiqué du rugby loisir (sans compétition), les Coqs rejoignent le championnat de la Fédération française du sport d’entreprise (FFSE). "On avait cette envie de faire davantage de compétition", souligne Pascal Bougault. Année après année, les licences se renouvellent. Le club se structure, trouve des sponsors, mais développe aussi une envie d’aller plus loin. Et puis est arrivé le covid : les clubs historiques arrêtent, de nouvelles équipes rejoignent le championnat…

"En FFSE, les nouvelles équipes, quel que soit leur niveau, devaient passer par le niveau le plus bas, décrypte Alban Vandekerkove, président des Coqs festifs. On a donc dû affronter des équipes très fortes, de niveau semi-professionnel. Mais on s’est rétamés." Au fil des ans, les entraînements augmentent. Et puis, en 2023, les Coqs prennent une décision : intégrer le championnat départemental francilien de la Fédération française de rugby (FFR). Un système qui leur convient pour l’homogénéité entre les équipes. "En 2022-2023, on s’est testé contre certaines formations, et on n’était pas trop ridicules, résume Pascal Bougault. Alors on s’est lancé cette année !"

Le rapprochement entre les Coqs et la FFR va au-delà du gazon : l’équipe est un partenaire majeur des instances du haut-niveau sur la question de lutte contre l’homophobie. Il y a trois ans, les Coqs ont collaboré avec la Ligue nationale de rugby (LNR) dans le cadre du programme Plaquons l’homophobie. La Ligue avait alors réalisé un sondage auprès des joueurs pros : 75% d’entre eux considéraient qu’il pouvait être compliqué de faire son coming out. Une ligne arc-en-ciel avait donc été tracée sur la ligne des 75 mètres.

"Des présidents d’autres associations sportives regrettent le fait que leurs fédérations demeurent très frileuses sur la question de l’homosexualité, rappelle Alban Vandekerkove. De notre côté, on trouve que la LNR et la FFR sont très engagées sur ce sujet." Directeur communication et RSE de la Ligue, Thomas Otton adoube le travail des Coqs. "Passer de 35 à 120 licenciés en quatre ans, c’est quand même fort. Et puis, c’est un club qui fait bouger les lignes."

Coupe du monde 2023

Cet automne, l’implication indéniable des Coqs sera mise en lumière en grande pompe à l’occasion de la Coupe du monde 2023 de rugby organisée en France. Le 14 octobre, ils organisent ainsi un tournoi LGBT-friendly à Marcoussis, au Centre national du rugby, opposant des équipes LGBT-friendly françaises et étrangères. Le club s’associe aussi, deux jours plus tôt, à un colloque contre les LGBTphobies réunissant à Paris les officiels du rugby et des experts de la question dans diverses tables rondes.

"C’est un projet dont on est fiers, sur lequel on a travaillé dur, se réjouit Alban Vandekerkove. Aujourd’hui, la lutte contre les LGBTphobies s’avère d’autant plus nécessaire dans le rugby, où la diversité est de mise pour constituer une équipe forte. L’orientation sexuelle fait partie de nous. On a vu beaucoup de sportifs bloqués et se sentir libérés par le coming-out." À leur petit niveau, les Coqs ont aidé certaines langues à se délier. "Une année, quatre mêmes potes ont rejoint l’équipe, se remémore Pascal Bougault. Et au bout de quelques saisons, l’un d’entre eux a fait son coming out auprès de ses trois amis. On pense que notre équipe l’a aidé à assumer cela."

Les Coqs dans un clip sur la transidentité

En intégrant une joueuse trans, Inès, à leur équipe, les Coqs festifs sont aussi devenus un interlocuteur phare des instances du rugby sur la transidentité. "On s’est beaucoup interrogés sur la façon dont elle allait être accueillie, se souvient Pascal Bougault. En fin de compte, c’est passé tout seul." Les Coqs festifs ont profité de l’intégration d’Inès pour alerter la fédération sur une situation complexe que peuvent vivre d’autres pratiquantes. "Sa demande de changement d’état civil est en cours, mais sur ses papiers, Inès est encore de sexe masculin, développe Alban Vandekerkove. Or, dans le rugby loisir, on ne peut pas jouer en équipe mixte. Donc, bientôt, elle ne pourra plus jouer avec nous. Le hic, c’est qu’elle veut vraiment rester dans l’équipe." En novembre 2022, un clip sur la transidentité réalisé par les Coqs a été diffusé lors d’un test match entre le XV de France et le Japon à Toulouse, face à 30.000 spectateurs.

Et cet automne, un film réalisé par les Coqs doit également être diffusé dans les stades du Mondial. "Tout le monde n’est pas sur la même ligne, concède Alban Vandekerkove. Mais le rugby est un sport de gentlemen. Alors l’important, c’est au moins d’en parler et de s’écouter." Anja, lui, achève son ultime saison chez les Coqs, qu’il quitte à son corps défendant, après 12 ans de bons et loyaux services. "A cause de mon travail, je ne pouvais plus participer aux entraînements. Donc j’ai dû faire un choix." Mais il n’est pas du tout inquiet pour l’avenir des Coqs, qui ne peinent plus à recruter. "Ces dernières années, on n’arrivait même pas à aller à l’Union avec une équipe entière, se remémore Alban Vandekerkove. On était obligés de solliciter des joueurs d’autres équipes. Mais cette fois, on était si nombreux qu’on y est allés avec deux équipes."

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Crédit photo : Les Coqs festifs