sport"Pride Rugby Cup" : un tournoi contre l'homophobie en marge du Mondial 2023

Par Assia Hamdi le 17/05/2023
"Pride Rugby Cup"

Ce 17 mai, Journée mondiale de lutte contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie, les instances du rugby annoncent un tournoi anti-homophobie pendant le Mondial 2023 de rugby en France, cet automne. Une première.

En ce 17 mai 2023, Journée mondiale contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie, les instances du rugby s’unissent pour annoncer "Rugby is My Pride", un double événement qu’elles organisent dans le cadre du Mondial de rugby, qui aura lieu en France du 8 septembre au 28 octobre 2023, afin lutter contre les discriminations LGBTphobes. Un symposium international se tiendra le 11 octobre à Paris sur le libre-arbitre dans le sport, notamment les questions de mixité et de transidentité, et le 14 un tournoi inclusif, la "Pride Rugby Cup", aura lieu à Marcoussis, dans l’Essonne, siège de la Fédération française de rugby (FFR) et haut lieu des équipes de France.

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"C'est historique, se réjouit auprès de têtu· Jean-Bernard Marie Moles, président de la Commission anti-discriminations et égalité de traitement (CADET) à la fédération française. Jamais, au cours d'une Coupe du monde, n’ont été organisés des événements culturels et sportifs associés à la lutte contre les LGBTIphobies." Ce projet réunit la fédération internationale (World Rugby) mais aussi France 2023, la fédération française de rugby (FFR), la Ligue Nationale de Rugby (LNR) ainsi que les ministère des Sports et de l’Égalité, et enfin la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah).

Des "désaccords" jusqu’à la validation du projet

L’idée a été lancée par les Coqs Festifs et la Fédération française de rugby, plus précisément la CADET qui lutte depuis 2020 au sein de la FFR contre les discriminations dans le rugby. "Il y a certes eu des interrogations au sein de la fédération, développe Jean-Bernard Marie Moles. Mais nous avons été très pédagogues sur notre réglementation, sécuritaire et égalitaire. Et le consensus fut total." Avec les Coqs Festifs, club de rugby gay-friendly basé à Paris depuis 15 ans, la CADET a donc été solliciter World Rugby et France 2023, qui organise la compétition en France. Au départ, Michel Poussau, directeur exécutif de World Rugby, était "contre l’idée d’un tournoi mixte et avec des personnes transgenres", se souvient Jean-Bernard Marie Moles. La première réunion s’achève alors sur un désaccord. Mais le président de la CADET a ensuite envoyé un courrier à la ministre chargée de l’Égalité, Isabelle Rome, à la Dilcrah et à la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra : "Tous m'ont alors soutenu sans réserve".

Plus tard, lors d’une nouvelle réunion, le colloque et le tournoi sont enfin validés. "Le fait que les deux ministères soutiennent la démarche a convaincu World Rugby. La fondation FIER nous a aussi épaulés, ainsi que la fédération sportive LGBT+." L’organisateur du Mondial s’est aussi engouffré dans la brèche. "Dès le début, nous voulions faire bouger les lignes en se joignant à ce projet, développe Arnaud Breton, directeur Impact, héritage et famille du rugby chez France 2023. Nous voulions montrer qu’être LGBT est un droit en France. Ensuite, souligner que dans le rugby la différence est un atout car il faut tous les gabarits pour faire une équipe." C’est aussi ce que soutient Thomas Otton, directeur Communication et RSE de la Ligue nationale de rugby (LNR), lui-même ancien joueur des Coqs Festifs : "Le rugby est le sport dans lequel toutes les classes sociales se mélangent. Et le fait que les autres institutions se soient saisies du sujet autour du Mondial prouve qu’il n’y a finalement qu’un seul rugby."

Un tournoi organisé par les Coqs Festifs

Partenaire-clé de la lutte contre l’homophobie dans le rugby en France, le club des Coqs Festifs a travaillé sur le projet pendant un an et demi. "La sexualité c’est du privé, mais l’orientation sexuelle fait partie de nous, souligne Alban Vanderkerkove, responsable communication des Coqs. On essaye d’expliquer que beaucoup de sportifs ont été bloqués puis se sont sentis libérés par le coming out." Début 2020, les Coqs Festifs et la LNR ont déjà été partenaires dans le cadre du programme "Plaquons l’homophobie" dont têtu· s’était fait l’écho. À cette occasion, la LNR avait réalisé un gros sondage auprès des joueurs professionnels, où 75% affirmaient qu’il pouvait être compliqué de faire son coming out. La ligne des 75 mètres avait alors été repeinte aux couleurs de l’arc-en-ciel. La Ligue, elle, soutient les Coqs via son fonds de dotation depuis la saison 2021-2022. Aujourd’hui, les 80 licenciés des Coqs sont la cheville ouvrière de la CADET, qui n’a pas les bénévoles pour organiser ces événements. "On avait déjà encadré la Festive Rugby Cup en juin 2022", rappelle Alban Vanderkerkove, un événement qui s’est tenu un an après le premier coming out d’un joueur pro, Jérémy Clamy-Edroux. "À la suite de ce premier tournoi, on s’est dit qu’on allait faire ça pour le Mondial."

Le 14 octobre 2023, huit équipes se rendront ainsi à Marcoussis, dont quatre étrangères. Le tournoi ne sera pas mixte car organisé sous l’égide de World Rugby, qui l'interdit. En guise de compromis, la CADET a souhaité qu’il y ait un match de rugby loisir féminin, lequel opposera des sélections d'Île-de-France et de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Trois jours plus tôt, les fédérations des autres pays de rugby seront invitées au symposium pour échanger en compagnie d’un certain nombre d’acteurs du rugby, de sociologues et de personnalités engagées. Parmi les défis lancés, se pencher sur ce qui se fait ailleurs, notamment sur la transidentité puisqu’en Australie, les athètes transgenres sont autorisés. "Chaque fédération devrait avoir une commission comme la CADET pour lutter contre toutes les formes de discrimination", estime Jean-Bernard Marie Moles.

Des avancées espérées sur la transidentité

Du côté du ministère des Sports, le conseiller d’Amélie Oudéa-Castéra, David Foltz, fait valoir auprès de têtu· que "les grands événements sportifs sont l’occasion de faire évoluer le débat" et surtout que le ministère souhaite "changer de braquet" sur les LGBTphobies : "On souhaite des sanctions systématiques et un engagement sur la question de la transidentité". Sur ce dernier point, il reste beaucoup à faire. En effet, le règlement de World Rugby interdit la mixité sur le terrain après l’âge de 12 ans, or en loisir il n'y a pas d'équipes sénior féminines (les sélections du tournoi de Marcousis seront composées avec des filles jouant habituellement en mixte). "World Rugby affirme que cela n’empêche pas les filles de jouer en rugby loisir, mais il n’y a pas d’équipe à XV en rugby féminin. Alors elles font comment ?", interroge Jean-Bernard Marie Moles.

Les personnes transgenres restent pour l'heure exclues des compétitions organisées par World Rugby. La France s’est distinguée en mai 2021 en devenant la première fédération sportive hexagonale à inclure les athlètes transgenres, sans distinction, dans son règlement, contredisant ainsi l’instance du rugby mondial. Mais des blocages persistent. "On a une joueuse trans, Inès, qui est devenue ambassadrice sur ces questions-là, reprend Alban Vanderkerkove. Sur ses papiers, son état civil est encore masculin et sa demande de changement est en cours de traitement. Mais quand il sera modifié, elle ne pourra plus jouer pour nous…" Se disant "hyper fiers" que ce projet "Pride Rugby Cup" aboutisse, les Coqs concluent : "Le fait que cet événement se fasse sous l’égide de grosses institutions, c’est immense". Assez pour faire vraiment bouger les lignes ? "Si cela peut changer la vie ou d’un jeune gamin gay ou l’aider à se sentir mieux… on ne l’aura pas fait pour rien."

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Crédit photo : France 2023