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interview"J'ai appris à être une femme" : Santa, Révélation de l'année aux Têtu· 2023

Par Florian Ques le 21/09/2023
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[Retrouvez le palmarès complet des Têtu· 2023] Membre du groupe Hyphen Hyphen depuis 2011, Santa s'est lancée en solo avec son EP 999, où la chanteuse se frotte cette fois à la variété française. Et c'est réussi : elle est notre Révélation de l'année.

C'est d'abord en trio, à travers le groupe électro-pop Hyphen Hyphen, que Santa – de son nom complet Samanta Cotta – s'est fait connaître. Mais depuis le printemps 2022, elle arpente un autre chemin musical, en solitaire. Avec son premier projet solo, 999, l'artiste tout juste trentenaire chante la morosité du quotidien, l'anxiété face à un monde qui dérape, et l'amour queer, bien entendu. Parce qu'elle est l'une des grandes voix de sa génération, lui décerner le Têtu· de la Révélation de l'année 2023 était logique. En terrasse d'une brasserie du XIXe arrondissement, un coca zéro servi, la discussion peut commencer…

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Ça fait quoi d'être la Révélation de l'année de la première édition des Têtu· ?

C'est une grande fierté ! Déjà parce que c'est toujours agréable pour l'ego de recevoir un prix (Rires.), mais encore plus lorsqu'il vient de la communauté.

Le public te connaît grâce à Hyphen Hyphen. C'est pas un peu bizarre d'être une "révélation" ? Tu as l'impression de t'être présentée sous un nouveau jour ?

Clairement ! Je suis hyper contente d'être considérée de la sorte parce que c'était tout autant une révélation pour moi. Je n'avais jamais proposé de chansons en français. Et à partir du moment où j'ai décidé de les incarner, ce fut aussi une révélation pour le public, qui me redécouvre dans un autre registre musical. 

Tu as pris un virage plutôt variété française. Tu y pensais depuis un moment ?

En vérité, rien n'a été volontaire. J'ai été traversée, et c'est sorti comme ça. En plus, ça m'énerve quand je lis les interviews et que les artistes disent "non, la chanson est passée devant moi, je n'ai eu qu'à la capturer". Mais tais-toi ! (Rires.) Ça fait très pseudo génie mélancolique mais, mine de rien, c'est un petit peu ce qui se passe ! Dès que le projet s'est imposé à moi, j'ai senti comme un état d'urgence, pour une fois artistique et pas politique.

Se lancer en solo, c'est aussi être plus vulnérable. C'est facile pour toi ?

En l'occurrence, la chanson "Popcorn salé" était vouée à rester dans ma chambre. C'est Adam et Line qui m'ont dit qu'il fallait absolument que je la sorte, ou alors il la faisait fuiter. Chantage affectif mais d'amour. C'est à partir de là que j'ai vraiment considéré le fait de me lancer et de l'incarner à fond. Dans la scène française actuelle, surtout au niveau des artistes pop, je trouve qu'on se refuse encore pas mal de choses. On a peur de faire du grandiloquent et surtout de prendre le flambeau de Mylène, quoi ! 

Mylène Farmer, c'est ton influence principale ?

Je suis ultra-fan ! Mais aussi de tout un pan de la variété française – Berger, Balavoine, Sanson –, qui ont de grandes mélodies. C'était pour moi le moment où la musique ne se regardait pas dans cet espèce de miroir infini, comme de la masturbation faussement intellectuelle. Depuis cette période, on s'ennuie un petit peu. J'ai envie de retrouver de l'électricité. Le dernier spectacle que j'ai fait, c'était sur un piano à 40 mètres du sol suspendu à une grue. Personne n'y a vraiment cru. Mais j'avais envie de créer de nouvelles images et d'être une forme de liberté générationnelle.

Sur ta chanson "Popcorn salé", tu énonces clairement "j'éteindrai le chaos, tu seras ma femme". Tu as toujours voulu être aussi transparente ?

Du reste, je ne me suis jamais cachée. Mais tu vois, peu de personnes ont relevé cette phrase. En revanche en ce moment, j'ai réalisé que j'étais suivie par une tranche de population de survivalistes. (Rires.)

Ah c'est très niche !

Oui, très. Et eux, ils voient davantage le côté fin du monde que le côté amour queer. Comme quoi, chacun y trouve son compte ! (Rires.) En tout cas, mes chansons ne sont en aucun cas hypocrites. Je peux concevoir qu'un artiste craigne de s'assumer dans ses morceaux mais moi, ça ne me fait pas peur. Dans le pire des cas, je ne serai pas écoutée par une frange de la population que je méprise en retour. Enfin, en vérité je ne méprise personne. J'écoute les points de vue parce que ça m'intéresse, comme une forme d'anthropologue pour comprendre là où ça a merdé (Rires.)

Pour peut-être réparer ?

Réparer, je ne sais pas. C'est cassé. Je pense à tous ces enfants qui étaient sur les épaules des gens de la soi-disant "Manif pour tous" et qui se sont révélés gays. Mais il ne faut pas baisser les bras. Je suis clairement de ceux qui se battent.

On te sait militante. Ça a toujours fait partie de toi ?

En tant que groupe, on a commencé à se politiser parce qu'on voulait que ça bouge. Pour nous, les choses allaient aller mieux en grandissant, c'était comme tacite. Aujourd'hui, j'ai l'impression que l'on est dans un entre-deux, où les passéistes vont s'attacher à leur traditionalisme et être dans le rejet d'un nouveau monde parce que ça va trop vite pour eux, et où les humanistes, comme nous, subissent. Il y a une bonne partie de la population qui lutte pour conserver des inégalités, et ça, ça me rend dingue. J'essaie de calmer cette haine qu'il m'arrive de ressentir...

C'est un sentiment qui te traverse souvent ?

Clairement. C'est une catastrophe. Donc j'en fais des chansons, des manifestes et des débats. Dans le meilleur des mondes, je n'aurais pas à être aussi politisée, mais il le faut. C'est un devoir de faire avancer les choses ou, au moins, d'empêcher qu'elles ne reculent. 

Sur ta chanson "Qui a le droit", tu dis "il n'y a rien de manqué dans le garçon en moi". On t'a souvent qualifiée de garçon manqué plus jeune ?

Déjà, jeune, j'avais signifié que je ne voulais pas qu'on me décrive comme fille ou garçon. Et ce carcan du genre m'a socialement perturbée. J'ai subi une forme de violence, méchante comme peut l'être l'imbécilité enfantine. Tous les jours, on me demandait si j'étais un garçon. Je n'avais du tout envie de me définir et j'étais forcée de le faire. Cette phrase, "garçon manqué", c'est le début de la différence.

Ton rapport au genre a-t-il évolé aujourd'hui ?

Je sens que j'ai appris à être une femme. Je n'aime pas trop encore. Pas fan. (Rires.) Ça dépend des jours. Le corps féminin fait que tu le subis, ne serait-ce qu'à cause des règles qui te rappellent que tu es une femme et que tu es conditionnée par tes hormones. Parfois, si je pouvais devenir un homme, je le ferais.

Ce serait pratique si on pouvait faire comme Mystique dans les X-Men.

J'adore ! Franchement, s'il y a des mutations génétiques, allez-y, les gars ! (Rires.) 

Quelle image as-tu du milieu lesbien ?

La communauté lesbienne est un espace qui permet de déconstruire plus rapidement, parce que plus radical. Les femmes subissent énormément d'injonctions quant au physique, à la manière d'être... et je trouve que ce sont des codes qui, dans ces clerces-là, sont vite brisés, ce qui fait qu'on n'est pas qu'un corps. Je ne peux pas dire que je fais partie d'un noyau très radical, mais en tout cas ce milieu me fait réfléchir plus vite sur ma condition et sur ce qui me dérange. En clair, je suis "Wet for Me" à fond ! (Rires.)

Pomme, Suzane, Angèle, Hoshi, Aloïse Sauvage... Il y a aujourd'hui une vague d'artistes lesbiennes et queers qui prend d'assaut la scène musicale francophone.

J'en suis trop contente ! Voir Angèle qui parle librement de ça dans "Ta Reine", je me dis que ça aide plein de gens. Mais ce n'est pas pour autant que je ne comprends pas les artistes des générations précédentes qui ont gardé un flou dans leurs paroles, parce que les mentalités étaient autres. En tout cas, je ne ferai pas partie des gens qui se cachent, car je n'ai rien à perdre, mais tout à gagner à être moi-même.

C'est quoi le truc le plus lesbien chez toi ?

(Elle réfléchit.) Je suis une championne de judo et je suis aussi plutôt forte au tennis. 

T'es végétarienne aussi peut-être ?

Je suis végane. (Rires.) Allez, c'est la totale.

Comme tu es la révélation de l'année, tu peux nous faire une dernière révélation ?

Les plus grandes révélations arrivent dans mes prochaines chansons, dont l'album sortira en 2024 !

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Crédit photo : Matthis Van der meulen