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interviewPaloma : "J'ai de la place pour d'autres couronnes"

Par Florian Ques le 06/09/2023
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[Retrouvez la rencontre avec notre Personnalité de l'année, Eddy de Pretto] La grande gagnante de la première saison de Drag Race France en 2022, Paloma a été tout au long de son règne une fière porte-parole de la communauté queer. Avec nous, elle évoque son nouveau spectacle, Paloma au pluriElles, et son prix de la Visibilité grand public à la première cérémonie des Têtu· de l'année.

C'est sur la terrasse d'un café du IVe arrondissement de Paris, avec vue sur la Bastille, qu'Hugo Bardin nous retrouve, délesté du maquillage et de la perruque iconique de Paloma, le personnage de drag queen avec lequel il a remporté la première saison de Drag Race France. À l'approche de son premier spectacle drag en solo, le trentenaire paraît étonnamment apaisé. "Il y aura des blagues fécales à un moment donné sinon ça ne va pas, précise-t-il en riant. C'est mon point Valérie Lemercier." Avec un lancement prévu dans sa ville natale de Clermont-Ferrand le 15 septembre – et dès le 18 à Paris –, Paloma au pluriElles s'inscrit dans une année menée tambour battant, à l'emploi du temps royal.

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Et bien qu'elle ait rendu sa couronne – Keiona, grande gagnante de la saison 2 de Drag Race France, siège désormais sur le trône –, Paloma continue sur sa lancée, qui l'a vue cette année occuper l'espace médiatique pour promouvoir l'art du drag et ses valeurs. Une responsabilité qui lui vaut de décrocher le prix de la Visibilité grand public au cours de la première édition de la cérémonie Têtu·.

Ton règne est désormais terminé. Comment tu te sens ?

Je suis de nature nostalgique, donc je suis toujours un peu triste que les choses s'arrêtent. Drag Race, c'était une année de fou qui est passée très vite. J'en ai profité sans vraiment en profiter. Je suis assez fière de ce que j'ai pu offrir en termes de représentation, j'ai vraiment été présente partout et mon planning est rempli jusqu'en...

Jusqu'en 2030 à peu près ?

Pas loin (Rires.) Enfin bon, je n'ai pas à m'inquiéter.

Tu es contente de passer le sceptre à Keiona ?

J'ai toujours voulu qu'elle gagne. Je suis un gros fan de Sara Forever, on est très amies, mais une partie de moi savait que Keiona allait gagner : c'est la suite logique. Elle apporte d'autres choses. On n'a pas le même profil, pas le même vécu. On se complète et on s'adore. C'est parfait.

Tu étais présente pour son couronnement. Vous avez pu discuter ensuite ?

Avec Keiona, on a parlé avant, pendant, après... On se connaît depuis très longtemps, et je savais qu'elle risquait d'être castée pour la saison 2. Je l'ai beaucoup conseillée, mais je l'ai fait aussi avec les autres. J'ai été présente avec toutes celles que je connaissais, les finalistes en particulier, parce que j'estimais que c'était mon rôle. Keiona, je lui ai conseillé d'être vulnérable parce qu'elle a tendance à être trop perfectionniste, au point d'en oublier de montrer Kévin. Sara, je savais qu'elle allait être dans sa tête, alors je lui ai dit de ne pas trop être dans le contrôle. Et Punani, je lui ai dit de se lâcher devant la caméra...

D'ailleurs, qu'as-tu pensé de son petit shade – "Palo-meh" – lors de la finale ?

Ma première réaction, ça a été de me dire qu'elle avait manqué une occasion de parler d'elle. Après, je l'ai vu comme un hommage. Punani, c'est une drag queen qui m'a donné envie de faire du drag. Elle était là avant moi. Son parcours dans Drag Race m'a vachement surpris.

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Drag Race, ça ne te manque pas trop en fin de compte ?

Quand on a terminé le tournage de la première saison, la Grande Dame et Soa étaient soulagées que ce soit fini. Moi, pendant qu'on rangeait nos affaires, j'étais déprimée. Je voulais continuer de vivre dans Drag Race, parce qu'on ne l'a tellement pas vécu comme une compétition. La compétition, on l'avait avec nous-même. Si tu me dis que je dois retourner dans l'atelier demain, j'y vais direct. J'ai de la place pour d'autres couronnes (Rires.) Je veux bien être la Jinkx Monsoon française.

Certains t'ont reproché d'être trop piquante avec Cookie Kunty dans ton émission Drama Queens...

Je ne vais pas me cacher derrière le montage parce que j'assume tout ce que j'ai dit. Là où c'est frustrant, c'est que Cookie et moi, on se connaît depuis longtemps. On est amies, on travaille ensemble, on s'adore. Disons que tout le monde en a pris pour son grade : l'idée, c'est de faire rire et d'avoir des réactions spontanées. Si on doit surjouer des choses, on le fait. C'est le principe de l'émission.

Donc rassure-moi : tout va bien entre Cookie et toi ?

Je la connais très bien. C'est quelqu'un de perfectionniste qui prend le drag très au sérieux et qui a une grosse réputation dans le milieu. Je pense que ça a été très difficile pour elle de se retrouver dans une compétition où elle devait être jugée au même titre que les gens qu'elle a vu naître. Il y a eu des moments où elle a dû être très vulnérable, et elle ne l'a pas montré pour garder la face. Dans ces moments-là, j'étais agacée parce que je voulais qu'elle montre ses faiblesses. C'est humain !

Tu as beaucoup pris la parole après ta victoire en défendant l'importance de l'émission concernant la mise en lumière des vécus queers...

Il y a des opportunités que j'ai refusées. J'ai décliné Touche pas à mon poste. Tous les trucs où je savais que je ne serais pas là pour débattre mais pour être l'objet du débat.

En tout cas, ce n'est pas pour rien qu'on te décerne le Têtu· de la Visibilité grand public. Ce n'était pas trop lourd comme responsabilité à porter sur ses épaules ?

Quand on m'a mis la couronne sur la tête, j'ai réalisé que j'allais devenir une personnalité queer, et que j'aurais un écho. Il était très clair que je n'allais pas parler que de mes perruques et de mon maquillage. Je pense que d'une certaine manière, Keiona ressentira un peu moins la pression parce que j'ai occupé ce rôle-là. Peut-être qu'elle pourra parler d'autre chose. J'espère qu'elle aura une parole quand même politique, car ce qu'elle est est politique. Il y avait des sujets, comme la transidentité ou le racisme, auxquels je m'interdisais de répondre parce que je ne suis pas concernée directement. Je n'étais pas légitime.

Quelle est la remarque la plus pénible qu'on t'ait faite sur le drag ?

Ce qui m'agace, c'est quand on me demande si je suis en Hugo ou en Paloma quand je rentre chez moi. Le nombre de journalistes qui m'ont demandé si je dormais avec ma perruque... Je me dis qu'ils n'ont rien compris. Moi, tu ne verras jamais sortir en boîte de nuit en Paloma sans raison. C'est mon art, c'est mon travail et c'est surtout d'un inconfort absolu. Et puis je suis très content d'être Hugo. Paloma n'est pas un substitut à mon bonheur.

Quel est le meilleur souvenir de ton année de règne ?

La tournée, c'était assez fou. Quand tu montes sur scène et qu'il y a une standing ovation de vingt minutes, tu te demandes ce que tu as fait pour mériter ça. Mais ça reste aussi un souvenir incroyable parce que je suis tombé amoureux durant la tournée, qui a bouleversé ma vie sur tous les plans.

Penses-tu que ton drag a évolué depuis ta victoire dans Drag Race ?

On m'a fait remarquer que Paloma était devenue sexy depuis Drag Race. Avant, je m'interdisais un peu d'être sexy car je trouvais que ça ne servait à rien. En fait, je me suis dit que j'avais le droit, que ça m'amusait, et les gens me disaient que ça leur faisait plaisir de me voir comme ça.

Tu t'apprêtes à lancer ton premier seul-en-scène. Tu nous mets un peu l'eau à la bouche ?

Je crois qu'il y a sept personnages en plus de Paloma, dont un tout nouveau qui est une reine de France... L'idée, c'est que le spectacle évolue et qu'il y ait des changements au fil des représentations. Je me connais, je ne vais pas pouvoir garder le truc intact. Je dirais que c'est une collection d'histoires, de moments de vie de femmes. Elles sont toutes dans une période de crise, ou alors elles ont toutes quelque chose de concret à gérer. En fait, c'est très Valérie Lemercier. Je ne peux pas mieux présenter ce spectacle. 

Et j'ai cru comprendre qu'il n'y aurait pas que de l'humour...

La surprise, c'est qu'il y aura de la chanson. Je vais présenter en final du spectacle la chanson que je viens d'enregistrer avec Rebeka Warrior. Après le concert hommage à Mylène Farmer qu'on a fait ensemble, elle m'a dit qu'elle voulait qu'on bosse ensemble. Deux semaines après, elle m'appelle pour me dire qu'elle m'avait écrit une chanson. J'ai pleuré en lisant les paroles. Elle a sondé mon âme. Les paroles sont émouvantes mais la chanson est un putain de tube. En parallèle, je suis aussi en train de préparer mon album à moi...

Du stand-up, une tournée, un plateau télé, un passage devant la caméra... Tu as un peu tout essayé.

La musique, c'était clairement pas un truc que j'avais prévu dans ma carrière. Jamais de ma vie je ne me serais autorisée à faire de la musique en Hugo. Aussi, je n'ai pas encore fini de tourner la saison 2 de la série The Walking Dead: Daryl Dixon. Quand vous allez voir la série, vous allez très bien comprendre pourquoi il y a une drag queen. (Rires.) Mais c'est vrai que c'est le crossover inattendu. 

Comment tu ne vrilles pas avec tout ce qui se passe ?

Parce que ça fait tout de même dix ans que je bosse. Et j'ai galéré ! Tu ne sais même pas ce que j'ai fait dans ce métier. Je me suis retrouvé à laver les slips de certains acteurs, j'ai nettoyé les cheveux gras de certaines chanteuses super connues... J'ai été dans des positions humiliantes. J'ai cru que ça n'allait jamais fonctionner pour moi. Pour la faire simple, j'apprécie tout ce qui m'arrive, mais je garde vraiment la tête froide.

Tu penses retourner vers ton premier amour, le cinéma ?

J'ai très envie de réaliser. C'est en projet mais ça prend du temps parce que je suis très sollicitée en tant que Paloma. Je pense qu'on va encore beaucoup me voir cette année.

Tu te vois un jour dire adieu à Paloma pour prioriser Hugo Bardin ?

On me pose souvent cette question ! Et c'est légitime. Je t'avoue qu'il y a des matins, quand je dois me maquiller, où j'ai envie de dire stop. Mais j'aime trop ça. Quand je pars en vacances trois semaines, ça me manque. J'aime faire du drag quand il y a une vraie démarche artistique. Mais je ne sais pas à quel point les gens ont envie de me voir vieillir avec ce personnage. Est-ce qu'il y a un moment où je vais devenir ringarde ?

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Crédit photo : Ranobrac