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gay"C'est réconfortant de se faire peur" : pourquoi les films d'horreur ont tant de fans gays

Par Florian Ques le 25/10/2023
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En vogue en cette période d'Halloween, le cinéma d'épouvante fédère un public gay passionné. Une fascination qui peut s'expliquer, à la fois par ses figures iconiques et ses correspondances avec le vécu queer.

Tout est parti d'un constat très personnel. Je suis gay et j'adore l'horreur. Pour preuves, l'édition collector Blu-Ray 4K du premier Scream qui trône dans ma bibliothèque, mes heures passées à échapper aux tueurs du jeu vidéo Dead by Daylight ou encore les multiples volumes de Chair de poule qui prennent la poussière dans le grenier de mes parents. Et au gré des discussions avec mes amis gays, force est de remarquer qu'eux aussi sont tout aussi friands d'œuvres horrifiques. "J'ai toujours aimé ça, confie Brice, 30 ans. C'est un peu paradoxal mais il y a quelque chose de réconfortant. Regarder un film d'épouvante me procure beaucoup plus d'excitation que les autres films."

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Bilan positif

Un intérêt d'autant plus légitime que le cinéma d'horreur fait depuis quelques années un virage queer. Rien qu'en 2022, la franchise iconique Scream a développé son premier personnage lesbien, la débrouillarde Mindy, campée par l'actrice ouvertement lesbienne Jasmin Savoy Brown. En parallèle, le truculent Bodies Bodies Bodies fonctionnait en partie grâce à son couple saphique pour le moins chaotique. Enfin, They/Them – tristement indisponible en France – s'imposait comme un long-métrage horrifique très singulier avec un camp de "thérapie de conversion" en toile de fond. Mais des efforts étaient déjà bien entrepris à la télévision, impulsés d'abord par les fictions de Ryan Murphy (American Horror Story, Ratched...) et confirmés par les adaptations de Chucky ou encore Entretien avec un vampire.

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Jasmin Savoy Brown dans Scream (2022) © Paramount Pictures

L'élève exemplaire est peut-être Evil Dead Rise de Lee Cronin, sorti en salles au mois d'avril. À l'écran, une mère possédée par un esprit malfaisant tente de zigouiller sa progéniture, dont deux ados : Danny, joué par le comédien trans Morgan Davies, et Bridget, dont le look androgyne et la personnalité laissent entrevoir une identité queer. "J'ai bien aimé ce film où les deux enfants jouent avec les codes du genre sans que ce soit véritablement explicité dans l'intrigue, appuie Anthony, 31 ans. C'est gênant quand les personnages LGBT sont considérés comme une caution inclusive à des fins marketing." Compréhensible. Pour autant, on se rappelle d'une période pas si lointaine où inclure des personn(ag)es queers n'avait rien de vendeur...

Amour à sens unique

Mais si les hommes gays sont nombreux à chérir le genre horrifique, ce fut pendant longtemps un amour à sens unique. L'histoire du cinéma d'épouvante prouve que ce dernier n'a jamais été très tendre avec ses personnages queers, peu creusés et surtout vite trucidés. Une pénible tradition qui débute dans les années 80 – on se souvient par exemple de Tenebrae, de Dario Argento, où deux lesbiennes sont brutalement assassinées à leur domicile – et se poursuit jusqu'en 2019, dans la scène d'introduction de Ça : Chapitre 2, où Xavier Dolan incarne un jeune gay victime d'une effroyable agression homophobe. L'état des lieux est vite effectué : dans l'horreur, les homos, quand ils existent, font partie des premières victimes.

"Le manque de représentation gay ne m'a jamais dérangé, confie Yann, 28 ans. Je ne cherche pas forcément une identification dans le sens où je n'ai pas envie de voir un gay se faire violenter, car c'est déjà ce qui arrive dans la vie de tous les jours." Et si les gays ne sont pas devant la caméra, on les retrouve toutefois souvent à l'écriture ou à la réalisation – d'où le sous-texte queer de pas mal de films. Des franchises mémorables comme Hellraiser, Chucky, Destination finale ou encore Scream n'auraient jamais vu le jour sans leurs créateurs gays. Tous n'étaient peut-être pas out à l'époque mais admettent l'impact de leur sexualité sur leurs œuvres respectives.

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Les Cenobites de la saga Hellraiser © Splendor Films

"J'ai grandi dans le Kentucky et j'ai fait face à beaucoup de racisme et d'homophobie, raconte Jeffrey Reddick, à l'initiative de Destination finale, dans une interview pour Entertainment Weekly. J'aurais pu intérioriser tellement de choses qui auraient fait de moi une personne pleine de rage… J'ai l'impression que l'horreur a été un vrai exutoire pour moi. Elle me permettait de me débarrasser de ma peur de façon saine, en criant et en exorcisant beaucoup de choses." Kevin Williamson, scénariste du premier Scream, donne un avis similaire à The Independent en 2021 : "On regarde cette fille essayer de passer la nuit et de survivre au traumatisme qu'elle endure. Inconsciemment, je dirais que les films Scream font vraiment écho à la survie gay."

Identification double

La notion de traumatisme est d'ailleurs inhérente au genre horrifique. Une composante-clé qui permet de refléter le vécu gay de deux façons différentes : à travers la figure du survivant et celle du monstre. Le premier parallèle parle presque de lui-même, puisqu'être queer implique d'affronter l'extérieur pour exister, mais aussi de lutter contre ses propres démons pour parvenir à s'aimer. La franchise Les Griffes de la nuit, avec son tueur aux mains d'acier qui s'incruste dans les rêves des gens pour les massacrer, a pris cette expression au sens littéral. Dans le documentaire Never Sleep Again : The Elm Street Legacy (2010), l'actrice Heather Langenkamp (qui incarne le personnage de Nancy Thompson) évoque les nombreux fans gays qui se sont retrouvés dans son personnage de survivante.

"C'est libérateur de voir un personnage faire ce que j'ai parfois fantasmé de faire à ceux qui m'ont malmené et insulté."

Les gays peuvent également se retrouver dans l'antagoniste du cinéma horrifique. "En tant qu'homo, t'es souvent discriminé, tu es celui qui pose problème, avance Yann, 28 ans. C'est libérateur de voir un personnage faire ce que j'ai parfois fantasmé de faire à ceux qui m'ont malmené et insulté. Un peu comme si je faisais ressortir mon côté monstrueux de façon inoffensive." Le jeune homme, également drag, s'inspire d'ailleurs beaucoup de l'horreur – son nom de scène, Cyrcé Loomis, est une référence à Billy Loomis, tueur du premier volet de la saga Scream. "Quand je m'appuie sur des tueurs de films d'horreur, c'est pour montrer un côté badass, explique-t-il. Comme pour se réapproprier une force que l'on ne montre pas forcément mais qu'on a au fond de soi."

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Sissy Spacek dans Carrie au bal du diable (crédit photo : Splendor Films)

Il n'y a d'ailleurs meilleur exemple que Carrie au bal du diable de Brian De Palma pour illustrer cette analogie. "J'ai une affection pour cette anti-héroïne qui peut en un sens représenter la communauté LGBT, puisqu'il s'agit d'une fille rejetée pour sa différence et harcelée durant son adolescence", explique Anthony, qui n'a pas hésité à se déguiser en Carrie White lors d'un récent Halloween. La figure du monstre, que l'on parle d'un serial killer, d'un vampire ou d'un esprit vengeur, semble donc fondamentalement queer.

Pour l'amour du camp

Enfin, pour comprendre pourquoi les gays affectionnent l'horreur, on peut avancer la piste suivante : l'horreur, c'est camp. Les looks léchés des méchants – on pense aux Cenobites des films Hellraiser, dont l'esthétique s'inspire des tenues SM de certains clubs gays –, les cris exagérés et la surenchère des victimes, les mises à morts toujours plus kitsch... Même quand il est abordé avec sérieux, le genre horrifique conserve un je-ne-sais-quoi de fun et de décomplexé. Ce n'est donc peut-être pas pour rien que la célébration d'Halloween est devenue aussi populaire chez de nombreux homos : ne serait-ce pas un peu un Noël gay ?

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Crédit photo : Metropolitan FilmExport