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culture"Entretien avec un vampire" : comment les buveurs de sang sont sortis du placard

Par Marion Olité le 06/12/2022
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Film crypto-gay des années 1990, Entretien avec un vampire a ressuscité en 2022 à travers une série du même nom. L'occasion de voir comment cette œuvre a évolué au fil du temps. Et c'est une très bonne surprise.

Des créatures de la nuit qui vivent en marge de la société, restent éternellement jeunes, possèdent une sexualité libre et une garde-robe impeccable… Au sein du bestiaire fantastique, la figure du vampire s’avère une métaphore en or pour symboliser la queerness. Neil Jordan, qui a réalisé en 1994 le film Entretien avec un vampire, l’a bien compris. Au scénario, l’écrivaine Anne Rice adapte à l'époque le premier tome de sa saga littéraire Chroniques des vampires, paru en 1976. Comme le livre, le film adopte le point de vue de Louis de Pointe du Lac (Brad Pitt), vampire torturé qui, interviewé par le journaliste Daniel Malloy (Christian Slater), raconte l’histoire de sa relation intense et toxique avec Lestat de Lioncourt (Tom Cruise), son créateur.

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Pour commencer, la scène de la transformation vampirique est nimbée d’homoérotisme. Lestat mord le cou de Louis – le fameux "baiser du vampire" –, puis les deux s’envolent au sommet du mât d’un bateau. La symbolique phallique est alors à son comble ! En position bottom, le vampire en devenir prend visiblement du plaisir. 

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Tom Cruise et Brad Pitt dans Entretien avec un Vampire, 1994.

Passée la phase de séduction et de consommation symbolique de leur désir, les deux hommes vivent ensemble à la Nouvelle-Orléans, où ils forment un couple aussi sexy que dysfonctionnel. Tandis que Lestat s’amuse à séduire et à tuer de jeunes éphèbes ou de jeunes femmes – ce qui le place du côté bi ou pansexuel du spectre LGBTQI+ –, Louis ne supporte pas de prendre des vies humaines. 

On peut interpréter ainsi leurs différences de point de vue : rongé par une culpabilité toute chrétienne, Louis n’accepte pas son homosexualité. À l’opposé, le flamboyant Lestat – qui appartient à la longue liste de méchants hollywoodiens codifiés queers – prend à la lettre le mantra "be gay, do crime", assumant pleinement sa sexualité tout en commettant des crimes. Mais qu'y peut-il ? Il ne l'a pas choisi, comme on ne choisit pas d’être LGBTQI+. 

Homoparentalité 

La relation chaotique des deux hommes, faite de querelles récurrentes – dans une scène, Louis brûle carrément leur domicile –, est déséquilibrée. Lestat, qui a peur que Louis le quitte, transforme même une fillette en vampire pour retenir son amant, traumatisé dans sa vie humaine par la perte d’un enfant. "Tu es désormais notre fille à Louis et à moi, explique-t-il à la jeune Claudia, campée par Kirsten Dunst. Vois-tu, Louis allait nous quitter. Il allait s'en aller. Maintenant, ce n'est plus le cas. [...] Une famille heureuse."

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Crédit photo : Warner Bros.

La figure du vampire, et son mode de vie en compagnonnage, permet donc d’explorer en sous-texte le thème de l’homoparentalité. Par ailleurs, leur manière d'enfanter ne repose pas sur la reproduction utérine. Et si Lestat a officiellement engendré Claudia – il est une forme de père biologique – et l’accompagne chasser, elle est plus proche du sensible Louis, dont elle ressent davantage l'amour inconditionnel qu'il lui porte. En pleine crise d’adolescence (elle prend conscience d’être piégée dans un corps de fillette), Claudia tente ensuite de tuer Lestat, puis s’enfuit avec Louis, qui l'élèvera désormais seul. 

À Paris, il rencontre un nouveau vampire, Armand - interprété par Antonio Banderas –, qui va tomber sous son charme. Là aussi, les interactions entre les deux personnages sont chargées de sous-textes queers. D'ailleurs, leurs visages, filmés en gros plans, sont toujours excessivement proches. "Il te veut autant que toi tu le veux", confiera même Claudia à Louis. Mais le fantôme de Lestat, son premier amour, plane au-dessus de la tête du vampire, qui a des regrets. Après avoir perdu Claudia à cause des manigances du Français (qui par ailleurs révèle en souriant avoir fréquenté Lestat), Louis le rejette.

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Dans une des plus belles scènes du film, Louis retrouve à La Nouvelle-Orléans un Lestat diminué physiquement et vulnérable. "Tu es toujours beau, Louis. Tu as toujours été le plus fort de nous deux", admet-il. Tu te rappelles comment j'étais ? Le vampire que j'étais ? [...] Personne ne pouvait me dire non, pas même toi, Louis." Apeuré par les lumières d’un hélicoptère, il se recroqueville subitement sur son vieux fauteuil. Louis lui prend alors les mains et lui explique que ces lumières artificielles ne peuvent pas le blesser. 

Il ne le sait pas mais il vient de ressusciter Lestat, qui, dans la dernière scène du film, de nouveau pimpant et vociférant contre la personnalité dépressive de son ex, mord le journaliste Daniel Molloy dans sa décapotable ! 

Une série mordante et résolument queer  

Au milieu des années 1990, trouver plus explicite que le sous-texte queer d’Entretien avec un vampire dans la pop culture relevait de l’impossible. Presque trente ans plus tard, le succès de True Blood et de sa dizaine de personnages LGBTQI+ sont passés par là, et les séries sont devenus des lieux de création moins hétéronormés que le cinéma. Cette adaptation en série d’Entretien avec un vampire, et qui porte d'ailleurs le même nom, lancée sur AMC le 2 octobre dernier (sans diffuseur français pour le moment), assume désormais ouvertement sa queerness. Les craintes d’un reboot sans saveur ont vite été balayées par de premiers épisodes séduisants, qui rendent le sous-texte queer explicite (la transformation de Louis devient une scène de sexe très hot, Lestat est dépeint comme fluide dans sa sexualité tandis que Louis est gay) et proposent un Louis racisé, incarné avec talent par Jacob Anderson (Game of Thrones). 

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Crédit photo : AMC

Ce choix permet d’adopter une perspective intersectionnelle inédite. La série explore les spécificités du racisme et de l’homophobie du début du XXe siècle à La Nouvelle-Orléans, mais aussi les challenges auxquels font face le couple queer (aux orientations sexuelles différentes) et mixte formé par Louis et Lestat (très bon Sam Reid). Le tout sans tomber dans la pédagogie à outrance. C’est une réussite, déjà renouvelée pour une saison 2 par AMC.

Cerise sur le gâteau queer : Anne Rice, la créatrice de cet univers (décédée en 2021), était une alliée LGBTQ+. Mère d’un fils, Christopher Rice, ouvertement gay, elle s’était dite "honorée" que son lectorat voie dans son récit une allégorie gay. “Je crois que j’ai une sensibilité gay [...] et j’ai toujours vu l’amour comme transcendant le genre."

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Crédit photo : Warner Bros.