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Nos vies queersQue deviennent les twinks après 30 ans ?

Par Mathias Chaillot le 03/11/2023
Mathieu, "vieux twink"

[Article disponible dans le têtu· de l'automne] Quand on a pris l'habitude de miser sur son apparence juvénile, passer la trentaine bouscule les habitudes de séduction. Mais ne vous en faites, les "vieux twinks" ont de la ressource. Témoignages de minets qui prennent de l'âge.

Photographie : Yann Morrison pour têtu·

Ils sont jeunes, sveltes, parfois un peu androgynes, souvent imberbes, avec des traits adolescents. Les twinks nourrissent l’imaginaire gay depuis longtemps, autant catégorie porno que personnage type de nos fictions : c’est Justin dans Queer as Folk, Elio (Timothé Chalamet) dans Call Me By Your Name, quasiment tout le casting d’Elite… Oui, mais le twink vieillit aussi. L’éternelle jeunesse n’existe pas, contrairement à ce que pourrait laisser supposer ’une des possibles étymologies du qualificatif : le Twinkie, une génoise états-unienne bourrée de conservateurs, impérissable, mais surtout peu nutritive, agréable à grignoter, et fourrée à la crème…

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Or avec l’âge apparaissent les rides, en même temps que quelques poils et cheveux blancs, mettant à mal cette image juvénile sur laquelle estc onstruit le stéréotype. Alors, comment vivent-ils cette période charnière de la fin de leur jeunesse, et que deviennent-ils ensuite ? "On m’a toujours défini comme un twink, j’en ai d’ailleurs joué. Et je fais toujours plus jeune que mon âge", se rassure Quentin, dessinateur de 33 ans, 58 kg pour 1,86 m et une moustache qu’il exhibe désormais comme son totem de virilité. "Les daddys sont très à la mode mais quand tu n’es pas encore dans cette catégorie, c’est dur de prendre de l’âge", observe Tadzio. Ce romancier de 33 ans se voit "dans le creux de la vague", période qu’il situe entre 30 et 40 ans.

Le twink, associé à fragilité et féminité

Avec ses 1,65 m au garrot pour 48 kilos et peu d’attrait pour le sport, Tadzio estime pourtant qu’il n’a pas le choix : "Je suis un twink, malgré mon âge, déplore-t-il. Sauf que les mecs qui aiment les twinks préfèrent en avoir un 'vrai', un de moins de 25 ans." De fait, sur les applis de rencontres, les profils qui précisent "pas plus de 25 ans" sont légion. Face à la concurrence juvénile, Kumaran, qui a décidé de résister et se refuse à mentir, affichant fièrement ses 34 ans, constate que des occasions lui passent sous le nez : "Je ne compte plus le nombre de daddys qui me rejettent parce qu’ils cherchent plus jeune." Les révolutions de la vie quotidienne prennent en effet du temps : l’acceptation des corps non stéréotypés ou vieillissants, le dépassement de la seule plastique et de toutes ces catégories forcément réductrices sont encore un processus en cours.

Alors on essaie tant bien que mal de négocier avec les injonctions ou de se réinventer entre les cadres. "Pas mal de gays n’ont pas pu avoir de relations avec des twinks de leur âge quand ils avaient 20 ans, notamment parce qu’ils n’avaient pas fait leur coming out. Alors je l’assume : je suis un fantasme pour ces mecs qui commencent à vieillir et qui voudraient coucher avec un twink mais expérimenté, analyse Mathieu, 32 ans. Il y a quelque chose de l’ordre du rattrapage, et moi je suis accessible. J’attire donc autant des hommes de mon âge qui veulent un 'presque' twink, que des mecs de 23 ans, à qui je ressemble un peu mais qui sont rassurés parce que je suis un peu plus vieux." Malgré tout, Kumaran s’interroge : "Qu’est-ce qui va se passer quand je ne serai plus un vieux twink mais toujours pas un daddy, je serai juste un vieux ?"

Certains vont alors chercher à évoluer, en mode Pokemon. "La reconversion est difficile, pense Tadzio. Beaucoup se mettent au sport pour devenir des twunks [contraction de twink et hunk, soit des twinks musclés] ou espèrent pouvoir être des otters ['loutre' en anglais, mince comme le twink mais en version poilue]. Comme s’il y avait nécessité d’opérer une transformation pour continuer à rencontrer des mecs. Par exemple, je pense me mettre au sport avant que mon visage ne se dégrade." Kumaran a ainsi beaucoup entendu cette réflexion assassine : "C’est un vieux twink, il va mal vieillir…" Anticipant que son profil serait moins recherché, il s’est mis au fitness. "Dans cinq ans, je serai gaulé donc je sortirai du cliché 'vieux twink', veut-il croire. Quelque part, je prépare ma retraite !" Le twink, avec son apparence jeune et parce qu’il arbore rarement les signes extérieurs de virilité, reste par ailleurs associé à une fragilité et à une féminité souvent amalgamées avec une forme de soumission. Dans le fantasme, il est un jeune homme en quête d’initiation, à la recherche d’une figure paternelle, etc.

Un état d’esprit plutôt qu'un âge

"À 18 ans, j’avais l’air d’en avoir 15. J’en jouais, de façon limite problématique : en boîte, j’aimais dire aux mecs que j’étais mineur, assume Quentin, qui se faisait ainsi payer ses verres. Je me rajeunissais pour entrer dans une forme de soumission contrôlée." Quinze ans plus tard, si sa situation a changé, l’infantilisation en face reste la même. "Depuis quelque temps, des mecs coupent court à la conversation quand ils apprennent mon âge, note-t-il. Beaucoup recherchent une sorte de vulnérabilité dans le twink, parce qu’ils aiment se sentir supérieurs. Mais quand je leur dis que j’ai publié sept livres, le plus impressionnant des deux, ça devient moi." Pourtant, l’âge, c’est comme la température : il y a le vrai, celui affiché sur l’acte de naissance, et puis le ressenti. Kumaran, qui fait "dix ans de moins" que le sien, voit dans la twinkitude un état d’esprit plutôt qu’un chiffre : "J’ai eu des relations avec un jeu daddy-twink alors que le 'daddy' avait quatre ans de moins que moi !" On ne serait twink que dans le regard de l’autre, finalement.

Sexuellement parlant, le stéréotype de l’éphèbe dans la pratique pédérastique de la Grèce antique, jeune et soumis à son mentor, donc forcément passif, n’est jamais loin du concept de twink. "On attend majoritairement de moi que je sois passif, donc je suis obligé de caler rapidement dans la conversation que je suis top", explique ainsi Alexis. Cette image du twink soumis, comme tant de rôles sexuels, construit l’imaginaire gay depuis si longtemps qu’il est difficile de s’en détacher. "Quand j’étais plus jeune, j’allais de toute façon vers des daddys, se souvient Quentin. On m’a tellement catégorisé que je considérais que c’était mon désir. Et j’ai été plutôt passif pour cette même raison. Puis j’en ai eu marre, et aujourd’hui je suis ouvert à d’autres découvertes, même en termes de positionnement top/bottom."

a excite pas mal de mecs assez masculins de se faire toper par un petit twink."

La maturité gagnée avec les années lui sert également à déconstruire quelques clichés : "J’ai découvert sur le tard qu’un bottom un peu domi, ça peut exister ! Avant je n’osais pas, car ça m’éloignait trop du rôle qu’on m’avait donné." Mathieu, lui, a adopté l’étiquette twink sur le tard. C’est désormais son pseudo sur Instagram, et même sa marque de fabrique : "Vieux Twink". Tant qu’à faire, j’ai insisté sur cet aspect et je l’assume totalement, car c’est déjà trop tard, je ne peux pas passer pour un 'vrai" twink. Les mecs pensent tout de suite que je suis passif, mais au final, c’est souvent une bonne surprise pour eux, car il y a moins d’actifs sur ce marché, explique-t-il. Et ça excite pas mal de mecs assez masculins de se faire toper par un petit twink."

Alors oui, on peut toujours s’arranger de nos étiquettes, et profiter le cas échéant de leurs avantages. Mais 'twink' reste un stéréotype, et donc vecteur de complexes. Heureusement, si l’âge nous en éloigne, il permet aussi de s’en détacher, pour réussir à s’aimer tel qu’on est. "À 33 ans, tu sais ce que tu veux, tu es mieux dans ton corps. Ma meilleure vie, c’est celle de vieux twink, affirme aujourd’hui Quentin. Jeune, j’étais bien content que ce stéréotype existe pour plaire. Mais j’étais complexé par ce corps qui me renvoyait à une idée de chétivité, à un 'corps de lâche'. Je le vis beaucoup mieux maintenant. Ce qui guérit, c’est de grandir et, à un moment, de s’en foutre." Plus jeune, Alexis rejetait au contraire totalement le qualificatif de twink :"Ça me renvoyait à des aspects qui ne me plaisaient pas chez moi. Mais ce corps, maintenant je l’aime."

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