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pop cultureLa série lesbienne "The L Word" fête 20 ans de sexe torride, et révolutionnaire

Par Marion Olité le 26/01/2024
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Déjà 20 ans que Bette, Alice, Shane & co ont débarqué dans nos vies, avec leurs histoires d’amitié, d’amour et leur sexualité lesbienne aussi décomplexée que révolutionnaire.

18 janvier 2004. Dans le sillage du succès de Queer as folk US, série centrée sur des amis gays à Pittsburg, Showtime lance son pendant féminin. Créée par Ilene Chaiken, The L Word nous plonge dans le quotidien d’une bande de copines, majoritairement lesbiennes, à Los Angeles. C’est l’heure de faire la connaissance de Bette (Jennifer Beals), Tina (Laurel Holloman), Shane (Kate Moennig), Dana (Erin Daniels) et Alice (Leisha Hailey). HBO a Sex & the City et ses héroïnes hétéros qui se racontent leurs histoires de cul, Showtime a désormais ses héroïnes lesbiennes tout aussi cash et drôles, et avec l’avantage d’être libérées de l’hétéronormativité. 

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Dans le pilote, Jenny (Mia Kirshner), qui vient d’emménager à côté de chez Bette et Tina, jette un œil chez ses voisines. À travers le grillage du jardin, elle aperçoit Shane, une de leurs amies, qui plonge en tenue d’Ève dans une piscine, avant de se lancer dans des ébats sexuels très hot avec sa partenaire. C’est la première d’une centaine de scènes de sexe lesbien qui émaillent les 71 épisodes de la glorieuse diffusion de The L Word (2005-2009). Au fil de ses six saisons pleines de dramas plus ou moins réalistes, la série nous assurait d’une constante : une scène de sexe minimum par épisode ! Autant dire une petite révolution en termes de représentation de la sexualité lesbienne sur les écrans. La seule digne de ce nom à cette époque se trouvait dans… Queer as Folk US (Lindsay et Melanie), ou dans les dernières saisons de Buffy, à grands coups de métaphores magiques. Autant dire que The L Word avait un boulevard pour explorer le champ des possibles, et elle ne s’est pas gênée pour le faire. 

Alice au pays de "la toile"

La première saison de The L Word suit le coming out de Jenny, qui découvre le plaisir lesbien avec la belle Marina, propriétaire du Planet, où les filles traînent à longueur de journée. Ilene Chaiken a été maligne en racontant une sortie de l’hétérosexualité. Elle parle ainsi autant à la communauté lesbienne qu’aux femmes hétéros, en leur donnant des idées au passage… Prends ça, le patriarcat !

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Dès le deuxième épisode, une trouvaille des scénaristes devient l’un des symboles de la série : la toile. Alice, journaliste bisexuelle jamais à court d’idées géniales, imagine un graphique reliant les personnages selon leurs diverses relations sexuelles. Elle réalise à quel point la communauté lesbienne de Los Angeles n’est pas grande. Le point névralgique de la toile, c’est évidemment le “hub” Shane, un aimant à meufs androgyne, qui attire des femmes de tout bord (lesbiennes, bi, hétéros…).  

Des scènes de cul destinées à un public masculin ?

Bien sûr, l’attrait de The L Word ne résidait pas uniquement dans ses scènes charnelles. Et si on venait malgré tout souvent pour elles, on restait pour les personnages ! Mais elles faisaient partie d’un cahier des charges très clair dans la tête d’Ilene Chaiken. "J'aime vraiment raconter des histoires sur le sexe, faire des films sur la sexualité, la décrire, l'apprécier et l'explorer", explique-t-elle. 

La représentation pionnière de la sexualité lesbienne dans The L Word a fait l’objet d’études universitaires. Dans son essai, Zhang Shuming résume : "La présentation audacieuse des corps lors des rapports sexuels remet en question l’acceptation sociale dominante des actes sexuels à l’écran, en particulier des corps présentés dans les actes sexuels des minorités sexuelles. Cependant, des scènes de sexe ont été accusées par certaines féministes de verser dans le porno soft, titillant délibérément le public masculin hétérosexuel." La scène d’espionnage de Shane dans le pilote tombe effectivement dans le male gaze (point de vue masculin) : le public adopte le point de vue voyeuriste de Jenny. 

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Pour Iris Brey, spécialiste des représentations de genre et des sexualités sur les écrans, la série propose un "male gaze queer”. Dans son livre, Le Regard féminin (2020), elle analyse :"Beaucoup de séries et de films (même des séries féministes) mettant en scène des couples de lesbiennes tombent dans cette catégorie, où l’acte de voir deux femmes coucher ensemble, jouir sans hommes, explorer leur sexualité, remet en question le patriarcat et un ordre social. […] Mais la manière dont ces scènes sont tournées reposent sur les codes du male gaze et l'objectification des corps pour les désirer."

Avec ses scènes de sexe glamour, souvent longues et mettant en scène une majorité de lesbiennes fem, The L Word propose une représentation glamourisée et hollywoodienne de la sexualité lesbienne. Les scènes de sexe avec la womanizer Shane reprennent les codes du porno. Souvent, le personnage échange à peine un mot avec sa conquête, avant de passer à l’action dans toutes sortes de situations. Shane est l’équivalent du plombier sexy qui débarque n’importe quand dans les films pornos hétéro.

Pour autant, la grande variété des ébats sexuels dans The L Word permet d’alterner entre des séquences où les corps lesbiens apparaissent comme objet de désir (et tant mieux, étant donné qu’ils étaient tabous à la télé jusqu’ici), et d’autres où ils sont les sujets. On est par exemple souvent dans le ressenti de notre bébé queer, Jenny. Sa première relation sexuelle lesbienne, avec Marina (S01E02), la bouleverse au point de la faire pleurer. La caméra s’intéresse à ce qu’elle ressent. 

Des réalisatrices lesbiennes aux commandes

Dans une interview, les actrices ont expliqué que Rose Troche, productrice exécutive et réalisatrice de 12 épisodes de la série, leur a fait visionner une vidéo de sexe lesbien avant le tournage : “Il fallait qu’on regarde une vidéo de sexe parce que nous allions toutes tourner des scènes de sexe. Donc on a pu regarder la vidéo, voir ce qui fonctionnait, et ce qui ne fonctionnait pas, et analyser pourquoi. Et ça ne fonctionnait pas si les actrices n’étaient pas complètement engagées dans ce qu’elles faisaient”, se souvient Jennifer Beals. Rose Troche, Ilene Chaiken, Jamie Babbit, ou Angela Robinson sont autant de réalisatrices queer et lesbiennes qui ont filmé The L Word et ses scènes de sexe. C’est aussi ça qui fait la différence : mettre aux commandes d’une série sur des lesbiennes les premières concernées. 

The L Word a permis à de nombreuses femmes lesbiennes et queer de se voir enfin représentées, elles et leur désir, sur un écran. Et ce fut une déflagration. La ribambelle de vidéos réalisées par des fans, pour la plupart des montages des scènes d’amour les plus hot entre les couples marquants de la série, peuvent en témoigner. L’héritage sexy de The L Word, diffusée aux débuts d'internet, se trouve aussi sur YouTube. "Les scènes de sexe de la série sont en partie ce qui l’a rendue si prégnante sur Internet. C'était la première fois dans l'histoire de la télévision que les téléspectatrices pouvaient voir des lesbiennes en train d’avoir toute sorte de sexe (Sexe avec gode-ceinture ! Sexe dans un donjon ! Sexe en public ! Sexe dans une piscine ! Sexe sous la douche ! Sexe dans l'ascenseur ! Plan à trois !), et les filles voulaient parler de ça. Et elles voulaient regarder ces scènes, encore et encore, ce qu’elles ont pu faire, grâce à YouTube", écrit Abigail Covington dans Them. 

Les classements, forcément subjectifs, des meilleures scènes de sexe de The L Word font encore rage sur internet. En vérité, tout dépend si vous êtes plutôt team Bette et Tina, le couple endgame aux innombrables ébats (dont l’un avec une Tina enceinte, S02E09), ou Shane et Carmen, le couple cool et sexy des saisons 2 et 3 ? Parmi les scènes de sexe les plus iconiques du show, citons le marathon de sexe entre les attachantes Alice et Dana, la danse très sexy de Carmen devant Shane, le sexe “en colère” entre Tina et Bette (ou très hot dans un ascenseur), au milieu d’un atelier d’art entre Bette et Jodie, ou le sexe très “hollywood scandal” entre la réalisatrice Jenny et son actrice principale, Nikki, dans la saison 5. 

En ce qui concerne les pires scènes de sexe, les fans tomberont en général d’accord pour évoquer la malheureuse tentative des scénaristes de faire un couple de Jenny et Shane – par ailleurs les deux personnages qui ont le plus de scènes de sexe dans la série. On leur pardonne (ou pas, à vous de voir) cet égarement. 

The L World, Generation Q

Vingt ans plus tard, les héritières de The L Word se font rares. On peut citer Orange is the new black (2013-2019), Vida (2018-2020) et ses scènes de sexe lesbien torrides, Transparent (2014-2019) et sa mise en scène female gaze, ou le sexe queer, joyeux et généreux, de Sense8 (2015-2018). En 2019, The L Word a fini par se succéder à elle-même avec une suite, diffusée sur Showtime durant trois saisons. Marja-Lewis Ryan a repris le flambeau lesbien, avec la bénédiction d’Ilene Chaiken. “C’était vraiment important pour moi que la personne qui reprenne cette série partage mon plaisir de raconter des histoires sexy sur le sexe.” expliquait cette dernière au lancement de The L Word : Generation Q

Si la petite soeur n’a pas égalé la grande, elle nous aura tout de même livré quelques scènes de sexe mémorables, comme ce plan à trois entre Alice, Gigi et Nat, une scène de sexe pendant les règles, sujet tabou, entre Dani et Sophie, ou encore celle entre Shane et Ivy. L’annulation de cette suite, aux critiques mitigées, laisse une nouvelle fois un grand vide en matière de série lesbienne mainstream. Mais la franchise saphique n’a peut-être pas dit son dernier mot. Un spin-off, The L Word : New York, serait en préparation. En attendant, si une plateforme pouvait récupérer les droits de diffusion de la série originale en France, visible nulle part (un scandale !), on lui en serait reconnaissante. Vingt-ans de The L Word, ça se fête dignement, avec un rewatch.  

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Crédit photo : Showtime