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cinéma"Pauvres créatures" : Emma Stone en queer candide qui découvre Hétéroland

Par Florian Ques le 17/01/2024
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Le film a déjà reçu 11 nominations aux Oscars 2024. Avec Pauvres créatures (Poor Things en VO), Yorgos Lanthimos (The Lobster, La Favorite) est de retour au cinéma avec une fable rétrofuturiste qui explore le statut queer à travers un personnage marginal délicieusement joué par Emma Stone. Et dans cet univers alternatif, les plus à plaindre sont finalement les hétérosexuels.

Comment comprendre la vie rangée et policée de la société hétéropatriarcale lorsqu'on est queer ? On s'y sent toujours "bizarre" (la traduction littérale de queer), désaxé, inadapté. Avec Pauvres créatures (Poor Things en version originale), tout juste récompensé aux Golden Globes comme meilleur film comique et qui sort en France ce mercredi 17 janvier, le réalisateur grec Yorgos Lanthimos (The Lobster) propose de renverser le point de vue : si vous n'aviez pas grandi et évolué dans le monde hétéropartiarcal que l'on connaît, comment recevriez-vous ses normes ? Dans le rôle principal, Emma Stone, dont le cinéaste grec raffole depuis leur collaboration pour La Favorite qui lui avait valu une nomination aux Oscars, prête son jeu d'ingénue spontanée (les Golden Globes 2024 l'ont sacrée meilleure actrice dans une comédie) à Bella Baxter, un personnage libre, queer dans tous les sens du terme, qui découvre les règles d'une société sclérosée.

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Le grand théâtre hétéro

Dans un monde rétro-futuriste (ciel changeant aux teintes saturées, décors victoriens opulents, technologies à vapeur façon Jules Verne, etc.), le chirurgien Godwin Baxter "crée" Bella, en plaçant le cerveau d'un nouveau-né dans un corps d'adulte, et la fait grandir recluse hors des influences extérieures. Le personnage d'Emma Stone découvre progressivement le monde du dehors, vaste et riche, ce qui permet de multiplier les scènes loufoques et absurdes tant son comportement détonne avec les habitudes coincées des "pauvres créatures" qui l'entourent.

Autour d'elle, une gouvernante s'insurge ainsi lorsque l'héroïne ne respecte pas les codes de la féminité, ne se conforme pas à ce que doit, selon elle, être une femme, sans parler des convives outrés lorsque Bella recrache un plat qu'elle n'aime pas… Alors que ces individus se prétendent civilisés, protégés de la sauvagerie par leurs normes sociales, Bella souligne au contraire l'étrangeté de l'enfermement qu'ils s'infligent. Au lieu de sourire et de tout accepter par bienséance, elle agit par instinct et refuse sans même y penser ces rapports guindés et superficiels.

Forcément, Bella découvre très vite le plaisir sexuel, sans pudeur ni honte. Elle se masturbe donc en public, avant de partir en escapade avec Duncan, un avocat joué par Mark Ruffalo. Ce dernier essaie de l'enfermer dans une relation monogame ? Elle ne comprend pas l'exclusivité, alors elle lève et elle se casse, devient travailleuse du sexe, couche avec Toinette, jouée par la comédienne française Suzy Bemba (aperçue dans Le Retour de Catherine Corsini) et vit librement selon ses désirs et ses plaisirs.

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Crédit photo : The Walt Disney Company France

Le queer comme salut

Mais le sexe est presque accessoire dans la qualification queer de Bella : elle l'est d'abord dans le sens de marginalité, évoluant dans un monde dont elle n'a pas les codes. Non sans rappeler La Dispute de Marivaux, Pauvres créatures montre combien, lorsqu'on n'y est pas soumis dès l'enfance, l'hétérosexualité, la soumission aux rapports de domination ou la monogamie, n'ont rien de naturel. Bella, comme déprogrammée au contraire pour laisser libre court à ses envies, ne peut s'y conformer, qu'elle aille s'aventurer dans les rues d'une ville qu'elle ne connaît pas sans prévenir quiconque ou qu'elle se mette à danser de façon saugrenue lors d'un bal mondain.

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Au début du film, Bella nous est présentée comme un être différent, une anomalie, une créature – d'où le titre. Sauf que ce dernier est au pluriel. Car en fin de compte, d'après Yorgos Lanthimos, les "pauvres créatures" sont bel et bien ces personnages qui gravitent autour de son héroïne décalée. Face à sa liberté sans entraves, ils apparaissent comme misérables, névrosés, piégés par les conventions rigides qu'ils s'imposent : l'injonction à l'hétérosexualité, à l'exclusivité, à la binarité... Sans les questionner, ils acceptent ces diktats qui deviennent sources de frustration. Ne sont-ils pas les plus à plaindre ? Pour le réalisateur de Pauvres créatures, la chose est entendue : la liberté passe par la remise en cause de la norme. Et vive la queerness !

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>> [Vidéo] La bande-annonce de Pauvres créatures :

Crédit photos : The Walt Disney Company France