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cinéma"Insubmersible" et "Bayard Rustin" : deux histoires vraies derrière ces films nominés aux Oscars

Par Marion Olité le 02/02/2024
Jodie Foster et Colman Domingo, deux acteurs queers nominés aux Oscars 2024 pour des rôles LGBT

Pour la première fois de l'histoire des Oscars, un acteur et une actrice homos out sont en lice pour leurs incarnations de personnages homos. Jodie Foster et Colman Domingo sont nominés pour leurs performances dans Insubmersible et Bayard Rustin, deux biopics visibles sur Netflix qui célèbrent des figures LGBT ayant existé.

Si la cérémonie des Oscars a souvent nommé ou récompensé les performances d’interprètes hétéros dans des rôles queers (William Hurt, Rami Malek, Charlize Theron, Jared Leto, Hilary Swank, Brendan Fraser…), il ne faut pas revenir bien loin en arrière pour trouver le premier acteur gay nommé pour un rôle itou : il s’agissait de Ian McKellen en 1999, pour Ni Dieux, ni Démons. L’heure est donc à la célébration pour Jodie Foster, actrice lesbienne, et Colman Domingo, acteur gay, qui concourent respectivement en 2024 dans les catégories "Meilleure actrice dans un second rôle" et "Meilleur acteur", tous les deux pour leur rôle dans le biopic d'une personne homo.

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Bayard Rustin dans l'ombre de Martin Luther King

Sans lui, Martin Luther King n’aurait pas prononcé son historique discours “I have a dream”. Né en 1912 dans l'État de Pennsylvanie, Bayard Rustin a été le mentor, le conseiller et l'ami du leader pour les droits civiques des Afro-Américains. Son nom a longtemps été oublié des livres d’histoire, en bonne partie en raison de son homosexualité. Produit par les époux Obama et réalisé par George C. Wolfe, le film Bayard Rustin (disponible sur Netflix) entend bien rectifier le tir. Dans une ambiance jazzy et enfiévrée, il braque les projecteurs sur le travail déterminant effectué dans l'ombre par cet homme, qui prend les traits d’un Colman Domingo habité. On assiste au combat de cet infatigable militant, qui a remué ciel et terre pour unifier les différentes organisations afro-américaines.

Élevé par ses grands-parents dans les valeurs pacifiques et égalitaristes des Quakers, le jeune homme développe un sens aigu de la justice. Durant ses études secondaires au City College of New York, il rejoint la Ligue des jeunes communistes, seul parti politique à s’investir dans la lutte pour les droits civiques. En 1942, il s’en détourne pour cofonder le Congress of Racial Equality (CORE). Entre 1947 et 1952, il voyage en Afrique du Sud et en Inde pour étudier les mouvements d’indépendance non-violents, dont celui mené par Ghandi, et organise ses premières marches.

Un homme gay, noir et ancien militant du parti communiste dans les années 1950 en plein maccarthysme ? Autant dire que Bayard Rustin avance avec une cible dans le dos… Traqué par la CIA et par John Edgar Hoover, le directeur du FBI, il passe plusieurs fois par la case prison. En 1953, il est arrêté à Pasadena, en plein ébats sexuels avec un homme blanc. Condamné à 60 jours de prison, il est alors écarté du CORE.

“Le jour où je suis né noir, je suis aussi né homosexuel. Soit ils croient en la liberté et la justice pour tous, soit ils n’y croient pas.”

Bayard Rustin

Bayard Rustin fait la connaissance de Martin Luther King, âgé de 25 ans, lors du boycott des bus de Montgomery, à la suite de l’affaire Rosa Parks, du nom de cette femme afro-américaine arrêtée par la police en 1955 après avoir refusé de céder sa place de bus à un homme blanc. Il convainc le jeune activiste du bien-fondé des méthodes non-violentes et l’encourage à unifier les divers mouvements afro-américains. En 1957, ils fondent avec d’autres leaders noirs la Southern Christian Leadership Conference (SCLC).

Mais l'homosexualité assumée et le passé communiste de Bayard Rustin continuent d’être pointés du doigt dans son propre camp. On menace même Martin Luther King de lancer une rumeur de liaison entre eux deux s’il ne s’en écarte pas. Ayant à cœur de faire avancer le collectif, Bayard reste persuadé qu’il faut organiser une nouvelle marche, la plus grande jamais vue, pour mettre la pression sur le gouvernement Kennedy. Il coordonne finalement la “Marche sur Washington pour l'emploi et la liberté”, prévue le 28 août 1963. C’est un immense succès : 250.000 militants arrivent de tout le pays. La manifestation atteint son but. Deux lois interdisant les discriminations et la ségrégation raciale sont adoptées : le Civil Rights Act en 1964 et le Voting Rights Act en 1965.

“C’est quelqu’un qui a eu le courage d’être ce qu’il était, même s’il allait très certainement être ostracisé, licencié, mis de côté. Et c’est ce qui s’est passé la plupart du temps.”

Barack Obama

Encouragé par son compagnon, Walter Naegle, Bayard Rustin s’implique sur le tard dans la lutte pour les droits LGBTQI+. Pour sécuriser leur union à une époque où le mariage gay n’existe pas, ils ont recours à une procédure d’adoption. Rustin Bayard est le premier à alerter la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) sur l’épidémie de sida. En 1986, il prend position en faveur de la New York City Gay Rights Bill et donne un discours dans lequel il affirme que “les nouveaux noirs sont les gays” : “La question du changement social doit être posée en pensant au groupe le plus vulnérable : aujourd’hui, ce sont les homosexuels.” Il meurt en 1987 des suites d’un appendice perforé. Longtemps ignoré, l’apport décisif de ce héros méconnu du mouvement des droits civiques est enfin commémoré.

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Diana Nyad ou l'amitié insubmersible

"On n’est jamais trop vieux pour réaliser ses rêves !" Ce sont les mots prononcés par la nageuse Diana Nyad en 2013 quand elle parvient, à l’âge de 64 ans et après pas moins de cinq tentatives, à relier Cuba à la Floride à la nage, soit 165 kilomètres en 52 heures, 54 minutes et 18 secondes, le tout sans cage anti-requins. Hymne anti-âgiste, le film Insubmersible (disponible sur Netflix) retrace l’exploit de la sportive américaine, première personne à réaliser cette traversée, en mélangeant fiction et images d’archives. Annette Bening interprète la nageuse intrépide.

Née en 1949 à New York, cette joueuse professionnelle de squash et championne de nage en eau libre est devenue célèbre dans les années 1970 après avoir établi un record féminin dans le golfe de Naples en 1974, puis en 1975 autour de l’île de Manhattan. Plus de 30 ans après sa première tentative infructueuse (en 1978), Diana Nyad décide, la soixantaine passée, de retenter son vieux rêve : nager de Cuba vers les États-Unis. Elle s’acharne pendant deux ans et lutte aussi contre un trauma : des agressions sexuelles perpétrées à son encontre par son coach de natation quand elle avait 14 ans, et qu’elle avait dénoncées dès l’âge de 20 ans.

Force de la nature dotée d’un mental d’acier, Diana Nyad n’aurait pu relever le défi de sa vie sans le soutien de sa meilleure amie et coach Bonnie Stoll, incarnée dans le film par Jodie Foster, l’une des rares lesbiennes out à Hollywood. Ouvertement lesbiennes, Diana et Bonnie se rencontrent en 1980, alors qu’elles officient comme commentatrices sur la chaîne sportive américaine ESPN.

Après s'être un temps tourné autour à Los Angeles, elles deviennent amies et partenaires de business. Bonnie a accompagné toutes les nages de Diana depuis les années 1970. “Nous étions intéressés par cette idée de famille choisie et l’envie de dépeindre une amitié platonique entre deux femmes, complexe, où l'on peut grandir ensemble”, explique à NBC News Elizabeth Chai Vasarhelyi, coréalisatrice d’Insubmersible. Le film repose sur leur lien indéfectible, ce que les Oscars ont bien compris en nominant Annette Bening (Meilleure actrice) et Jodie Foster (Meilleure actrice dans un second rôle), toutes les deux formidables.

Dans l’un des tournants du film, après une énième tentative ratée, Bonnie choisit de ne plus coacher Diana, qui vient de frôler la mort après une piqûre de vessie de mer. Quelque temps plus tard, elle décide finalement d’accompagner son amie jusqu’au bout. “Je pense que Bonnie a pris une décision extraordinaire. Il valait mieux être là avec son amie, même si elle risquait de mourir, que de ne pas participer par peur qu'elle ne survive pas. J’ai été touchée par la force de leur engagement l’une envers l’autre, par ce respect mutuel”, analyse la réalisatrice.

Au-delà de son beau message sur le dépassement de soi et la poursuite de ses rêves, Insubmersible explore avec justesse une amitié lesbienne, un genre de représentation rare et précieuse. Bayard Rustin et Insubmersible ont ainsi en commun de célébrer deux trajectoires d’excellence queer, tandis que Jodie Foster et Colman Domingo incarnent des personnages de l’ombre, qui ont soutenu à bout de bras de grands rêves en portant des valeurs universelles.

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Crédit photo : Netflix