En découvrant les nouvelles affiches de la Fédération sportive LGBT+ contre l'homophobie et la transphobie dans le sport, on ne vous cache pas que chez têtu·, on a d'abord eu un mouvement de recul. C'est le but. Pour comprendre la démarche, on a discuté avec les concepteurs de la campagne.
"Dans un monde idéal, on ne verrait pas de pédés dans le sport", "Il ne devrait pas y avoir de gouines sur les terrains de sport", "Le sport, ce n’est pas fait pour les trans". La volonté d'accrocher le passant est manifeste, sur les affiches de la nouvelle campagne de sensibilisation aux LGBTphobies dans le milieu sportif lancée par la Fédération sportive LGBT+ (FSLGBT). Avec un message développé sous ces slogans : "Ni de gouines. Ni de trans. Ni d’hétéro. Dans un monde idéal, on verrait avant tout des sportives et des sportifs qui se respectent mutuellement. Gays, lesbiennes, trans, hétéros… sur les terrains, dans les vestiaires ou dans les tribunes, notre diversité fait notre force."
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Reprendre pour les retourner les stigmates qui nous sont adressés, c'est une tradition de la culture LGBTQI+. Mais de là à les afficher en lettres capitales ? Et que penser du message qui prend le parti de l'universalisme – "avant tout des sportives et des sportifs" – au risque de dissoudre nos identités, voire de les invisibiliser, sur les terrains de sport ? "La Fédération sportive LGBT+ reprend à son compte la violence des propos homophobes pour la retourner contre ses émetteurs, revendique le communiqué accompagnant la campagne. Les trois accroches sont volontairement provocantes : elles poussent les lecteur·ices à ne pas s’y arrêter et à poursuivre leur analyse du message. Les textes qui les accompagnent ont été travaillés de sorte à lever toute ambiguïté quant au potentiel caractère homophobe ou transphobe des accroches, et à parer tout procès en invisibilisation." Pour en savoir plus, nous avons échangé avec des membres de la Fédération sportive LGBT+ et les équipes créatives à l’origine de cette campagne, soutenue par le ministère des Sports, l'Agence nationale du sport et la Dilcrah.
Aux LGBTphobes "modérés"
"Nous avons déjà fait plusieurs campagnes consensuelles, un peu bisounours, sur le mode 'les LGBTphobies, c’est pas bien', et nous avons bien vu que cela ne marchait pas. Nous voulions une campagne qui porte pour faire évoluer les choses", explique d'abord Patrick Ferlin, membre du comité de direction de la FSLGBT. "Oui, c’est choquant d’employer les mots 'gouine' ou 'pédé', mais c’est une accroche et il faut lire la suite du texte", complète Romain Mallet, concepteur-rédacteur, qui ajoute : "Cette suite, elle pousse la logique d’exclusion jusqu’au bout : s’il n’y a pas de place pour les personnes LGBTQI+ dans le sport, il n’y en a pas non plus pour les personnes cisgenres hétérosexuelles, et il n’y aura plus personne dans les stades…"
C'est d'évidence plus aux personnes cishet (cis hétérosexuelles) qu'aux personnes LGBTQI+ qu'a choisi de s'adresser cette campagne, qui est notamment parue dans le numéro spécial 20 ans de So Foot Magazine. Tout particulièrement aux personnes qui constituent un "ventre mou" face aux discriminations, soit qu'elles s’en foutent, soit qu'elles conservent un silence coupable face aux insultes et aux agressions sur les terrains, ou bien qui pensent que crier "Oh hisse, enculé" dans un stade fait partie du folklore. "Ces affiches ne s’adressent ni aux personnes LGBTQI+ qui sont déjà acquises à la cause, ni aux LGBTphobes radicaux mais aux LGBTphobes qui s’ignorent, à ceux et celles qui sont LGBTphobes par ignorance ou par passivité, chez lesquelles nous souhaitons entraîner une prise de conscience", développe Julia Hamel, membre du groupe de travail sur les LGBTphobies dans le sport. Patrick Ferlin revendique de ce point de vue une "technique de l’encerclement" : "Notre approche peut permettre de toucher indirectement les LGBTphobes radicaux car une fois qu'on questionne les plus modérés sur leur LGBTphobie non-consciente, ils peuvent exercer une influence positive sur les homophobes radicaux de leur entourage proche."
Banalisation plutôt qu'invisibilisation
Quant à l’objection concernant une possible invisibilisation de nos identités dans le sport, Romain Mallet répond : "C'est une question qui a été soulevée pendant nos nombreux échanges avec la Fédé. Notre objectif n'était évidemment pas l'invisibilisation, mais la banalisation de nos identités. C'est pour ça que le texte ne dit pas 'que des sportives et des sportifs' mais 'avant tout des sportives et des sportifs'. Certes, la nuance est subtile, et j'entends qu'on peut puisse passer à côté, mais c'est bien une question que nous nous sommes posée, et que nous avons essayé de prendre en compte le mieux possible."
De fait, une campagne de sensibilisation aux LGBTphobies dans le sport n'est pas du luxe, comme le rappelle la Fédération sportive LGBT+, sur la base d'une enquête réalisée fin 2022 avec l'institut de sondage Ipsos pour mesurer l’importance de l’homophobie et de la transphobie dans le milieu sportif. Ainsi, 46% des Français·es ont déjà été témoins d’une situation homophobe ou transphobe dans le milieu sportif, et 52% des personnes LGBT+ en ont été victimes (et même 67% de celles qui pratiquent un sport d’équipe), dont près d'une sur trois a déjà été confrontée personnellement à des insultes homophobes. Enfin, un quart des personnes pratiquant un sport d'équipe estiment que les mots "pédé" et "enculé", criés par certains supporters dans les stades, sont une expression populaire sans conséquence. En cette année olympique, la campagne aidera-t-elle à faire évoluer ces mentalités ? Espérons-le !
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Crédit illustration : Fédération sportive LGBT+