Chargée d'évaluer la mise en œuvre des plans de lutte contre la haine et les discriminations anti-LGBT+, la Commission nationale consultative des droits humains (CNCDH) pointe de grosses lacunes.
Le réquisitoire est sévère contre le programme du gouvernement pour lutter contre les LGBTphobies. "Le Plan national d'action 2023-2026 souffre des mêmes apories que le plan 2020-2023", pointe sans ambages la Commission nationale consultative des droits humains (CNCDH), autorité indépendante chargée d'évaluer les politiques publiques. Le document, adopté ce jeudi 30 novembre et que têtu· s'est procuré, évalue la mise en oeuvre du précédent gouvernemental (2020-2023). La réaffirmation, dans la version 2023-2026 présentée en juillet, de plusieurs mesures présentées trois ans auparavant, souligne d'ailleurs le manque d'efficacité des politiques annoncées, malgré les avancées en droit qui sont rappelées : l'ouverture de la PMA à toutes les femmes ou l'interdiction des "thérapies de conversion".
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Le rapport regrette avant tout que les objectifs annoncés dans le plan 2020-2023 ne soient pas facilement quantifiables. Les mesures "ne devraient indiquer que des actions concrètes et mesurables et être formulées en termes clairs", recommande la CNCDH, demandant en outre d'y "affecter un budget précis" afin de pouvoir évaluer son évolution. L'autorité indépendante constate par ailleurs "l'insuffisance générale du financement des associations consacrées à la protection des personnes LGBTI". Le fait que les subventions soient fléchées vers des projets empêche notamment toute projection vers le moyen-terme et donc, de recruter du personnel.
Former contre les LGBTphobies
Les sujets LGBTQI+ souffrent également d'être traités par différents ministères sans coordination claire : certes, le ministère de l'Égalité est censé jouer le rôle de courroie de distribution, d'architecte, mais dans les faits, il est davantage un tampon entre l'exécutif et la société civile. "De nombreuses associations souffrent de rapports inégaux selon les administrations concernées. Elles sont confrontées à de mauvaises relations, irrégulières et compliquées avec les pouvoirs publics, en particulier le ministère de la Santé", observe la CNCDH. D'autant qu'au sein de ces administrations, les personnes en charge de ces sujets sont régulièrement remplacées, quand le poste n'est pas laissé vacant.
À ces problèmes d'organisation s'ajoutent des sensibilisations lacunaires. "Faute de soutien significatif, les formations s'avèrent quantitativement très insuffisantes, quel que soit le domaine, quand elles ne sont pas totalement inexistantes", souligne le document, qui regrette qu'elles soient fondues dans un ensemble concernant l'ensemble des discriminations. L'autorité dénonce également le manque de sensibilisation des élèves. Constatant que sur huit États européens, "les Français sont parmi les moins susceptibles de répondre favorablement au coming out LGB d'un proche", la CNCDH propose de conditionner certaines subventions aux structures privées qui suivraient effectivement ces formations, comme cela existe déjà concernant la laïcité.
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Statistiques et santé trans
Concernant les crimes et délits LGBTphobes, l'autorité salue une "nette amélioration dans l'accès aux données" statistiques, permettant de mieux les évaluer. Le ministre de l'Intérieur a promis une cartographie des atteintes LGBTphobes afin de renforcer, là où c'est nécessaire, les patrouilles et systèmes de vidéo-protection. La CNCDH salue la création de référents "égalité-diversité" au sein des commissariats et des gendarmeries, mais note que "sur la centaine de référents créés, moins d'une dizaine étaient vraiment opérants début 2023", alertant sur le fait que des référents ne savent même pas… qu'ils ont été nommés. "De manière générale, les victimes rencontrent toujours de sérieuses difficultés dans le dépôt de leur plainte", note l'autorité qui préconise de diffuser des guides à destination des agents qui pourraient y trouver des ressources concernant la spécificité des libellés d'infractions, en particulier l'importance de retenir la circonstance aggravante d'homophobie.
La CNCDH "s'alarme également de la montée de la transphobie en France". Elle remarque qu'un groupe de travail a été formé par la Haute autorité de santé (HAS) afin d'établir des recommandations concernant l'amélioration de la prise en charge médicale des personnes trans. Mais les conclusions de celui-ci, attendues initialement pour septembre 2023, tardent à être rendues. La CNCDH regrette enfin que "les pratiques des Caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) diffèrent quant à la prise en charge des soins".
Globalement, la commission regrette que les recommandations qu'elle formule n'aient pas été attendues pour construire le plan 2023-2026, qui s'est fait "sans réelle concertation avec les associations". Et le rapport de conclure : "Le caractère chaotique de la coordination entre les ministères et la société civile, le manque d'inclusion des associations, le tri qui semble avoir été opéré entre celles-ci et l'absence de retour du ministère de l'Égalité sont autant de signes d'un climat délétère qui, au-delà de la marque d'une 'co-construction de façade', a pu être vécu comme une absence d'écoute et un manque de respect, voire un mépris des pouvoirs publics".
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Dessin : Céline Alvarez