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justiceSéquestrés chez eux jusqu'à 60h : le procès de deux guets-apens tendus sur un site gay

Par Youen Tanguy le 28/05/2024
Le procès a lieu devant la cour d'assises de Paris.

En janvier 2022 à Paris, deux hommes ont été ciblés sur le site de rencontre gay Les Pompeurs, victimes ensuite d'un guet-apens à leur propre domicile. Pour l'un des deux, le calvaire a duré près de 60 heures… Le procès de leurs trois agresseurs présumés, qui risquent la perpétuité, débute ce mardi aux assises.

"C’est l’effraction du cauchemar dans un moment d’intimité." Ces mots de l’avocate d’une des parties civiles, Me Pauline Alexandre, résument parfaitement les faits qui sont jugés à partir de ce mardi 28 mai à la cour d’assises de Paris. Trois individus y sont accusés d’avoir, à quelques heures d’intervalle, piégé deux hommes gays en janvier 2022 à Paris. Poursuivis pour séquestration, extorsion avec arme et vol, le tout commis en bande organisée et à raison de l’orientation sexuelle de la victime, ils encourent la prison à perpétuité.

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Les premiers faits remontent au samedi 22 janvier 2022. Sébastien* convient d’un rendez-vous avec un homme, Guillaume N., aujourd’hui âgé de 21 ans, via le site de rencontre gay Les Pompeurs. Le scénario est assez classique d'un "plan direct" : Sébastien doit laisser la porte de son appartement ouverte et attendre nu, à quatre pattes, dans le noir. Sauf que quand Guillaume N. s’approche, il remarque tout de suite une arme de poing. Arme avec laquelle l’agresseur va le frapper à la tête avant de l’étrangler jusqu’à ce qu’il lui remette son portefeuille. Sébastien est ensuite ligoté pendant que Karim B., le complice présumé lui aussi âgé de 21 ans aujourd’hui, tente de retirer de l’argent dans un distributeur avec la carte bancaire de la victime – sans succès –, puis fouille l’appartement.

Les deux hommes, cagoulés pour dissimuler leurs visages, volent un téléphone portable, un ordinateur, une tablette, une console de jeu et des bijoux avant de prendre la fuite. Sébastien parvient à se libérer peu de temps après leur départ et se rend tout de suite au commissariat pour déposer plainte. L'agression lui vaudra une incapacité totale de travail (ITT) de trois jours. "Il garde des traces indélébiles de ce qu'il s’est passé, souligne son avocate, Me Elisa Aboucaya. Et plus le procès approche, plus il est inquiet à l’idée de revivre cette histoire." Il n’est pas le seul…

Séquestré pendant près de 60 heures

Le lendemain, le 23 janvier 2022, Damien* est à son tour pris pour cible. Il est environ 23h quand cet homme prend rendez-vous avec Guillaume N., toujours sur le site de rencontre Les Pompeurs. Ils doivent se retrouver quelques heures plus tard pour une rencontre au scénario identique à celui de la veille. Là encore, Guillaume N. le menotte immédiatement puis menace sa victime avec un couteau de cuisine. "Si tu cries, si tu appelles à l’aide, je te plante", aurait-il menacé, selon les déclarations de la victime aux enquêteurs. Karim B. arrive peu de temps après dans l’appartement, et réclame à Damien ses codes bancaires.

Les agresseurs décident alors de contacter par téléphone un troisième homme qui s’occupera de la transaction. Guy N., aujourd’hui âgé de 23 ans, est lui aussi renvoyé devant la cour d’assises. L’idée est alors de réaliser un virement de 20.000 euros depuis le compte de Damien sur un autre à l’étranger. La victime s’exécute, mais la conseillère au bout du fil lui annonce que l'opération va prendre du temps : au moins 48 heures… Qu’à cela ne tienne, les bourreaux se transforment en preneurs d’otage le temps de la transaction. Pour la victime, le cauchemar empire.

Pendant presque 60 heures, Damien reste menotté, sous la surveillance d’un des deux hommes. Pendant tout ce temps, ses ravisseurs se moquent de lui, le font "culpabiliser sur ses pratiques sexuelles", préférant se reposer par terre que dans un lit "où ont lieu des relations homosexuelles". Au bout de deux jours, le virement n’est toujours pas arrivé mais Damien profite d’un moment d'inattention du duo pour envoyer un mail à un ami. "Je suis séquestré chez moi par deux hommes. Si la police arrive, ils me tuent (...) je ne sais pas quoi faire", écrit-il. Cet ami, qui croit d’abord à un piratage, prévient rapidement les forces de l’ordre qui arrêtent les deux hommes dans l’appartement de Damien. Au cours de son audition, sa voisine de palier confirmera que celui-ci est apparu juste après les faits "choqué, fébrile et apeuré". Il recevra deux jours d’ITT. "Cette agression a laissé en lui une trace extrêmement douloureuse", explique son avocate, Me Pauline Alexandre, soulignant le temps "extrêmement long" des faits.

"J’aurais pas pu rentrer chez une femme ou un homme hétéro comme je l’ai fait avec les homos."

Également sollicité par têtu·, l’avocat de Guy N. assure que son client, qui n’était pas présent physiquement au moment des agressions, "conteste fermement les faits qui lui sont reprochés". Me Paul Faucon réclamera son acquittement, arguant qu'"il n’était informé ni de l’extorsion ni de la séquestration, et a fortiori encore moins d’un éventuel caractère homophobe". Guillaume N. et Karim B. reconnaissent quant à eux la quasi-intégralité des faits, nous indiquent leurs avocats, bien qu'aucun des deux ne concède avoir agi en raison de l’orientation sexuelle des victimes. Une contestation assez habituelle dans les affaires de guets-apens ciblant pourtant spécifiquement des hommes gays.

Dans l’une de ses auditions, Karim B. affirme ainsi n’avoir "aucun problème avec l’homosexualité", mais reconnaît avoir ciblé des hommes gays parce que "c’était plus pratique". Guillaume N. ajoute qu’ils avaient choisi le site Les Pompeurs car les personnes qui le fréquentent "se méfiaient moins". Et d'ajouter : "J’aurais pas pu rentrer chez une femme ou un homme hétéro comme je l’ai fait avec les homos." Les conseils de Karim B., Me Valentin Guégan et Me Karim Morand Lahouazi, développent : "Il n’ont agi que par l'appât du gain et pas en raison de l’orientation sexuelle des victimes". Même défense pour l’avocate de Guillaume N., Me Jennifer Cambla : "C’était davantage une question d’opportunisme que de réelle homophobie. Ils ne voulaient pas viser les femmes et les hommes hétéros qui n’auraient pas accepté le rendez-vous tel qu’il était donné. Ils savaient qu’ils allaient pouvoir les [les homosexuels, ndlr] approcher sans qu’ils se méfient."

L'homophobie du ciblage des gays

Une ligne de défense qui devrait servir les arguments des parties civiles, dont Me Jean-Baptiste Boué-Diacquenod, qui représente l’association Stop Homophobie dans ce procès. "De fait, ils passent par un site de rencontre gay, le mode opératoire employé cible donc précisément des victimes en raison de leur orientation sexuelle pour faciliter leurs crimes, souligne l’avocat. Cela suffit à établir la circonstance aggravante." Et de rappeler qu'"en réalité, un crime peut être qualifié d’homophobe même si l’auteur n’a pas agi par haine homophobe."

Un détail est par ailleurs commun aux deux agressions : les agresseurs ont pris des photos de leurs victimes, qu'ils ont menacé de diffuser sur les réseaux sociaux en cas de plainte. Pour l’avocate de Sébastien, cela contribue aussi à caractériser la circonstance aggravante d’homophobie : "Pour les agresseurs, c’est une composante structurelle de penser que les hommes gays auront honte d’aller déposer plainte et un préjugé essentiel qu’ils se défendront moins que 'des vrais hommes', sous-entendu des hommes hétéros."

Au-delà de voir leurs agresseurs condamnés, les victimes ont à cœur de voir reconnue l’homophobie de leurs actes. "Sébastien attend de la justice qu’elle reconnaisse le caractère homophobe de ce guet-apens, qui est pour lui une évidence", insiste Me Aboucaya. "Damien est malheureusement conscient d’avoir été ciblé en raison de son homosexualité, appuie sa consoeur, Me Pauline Alexandre. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a accepté la constitution de partie civile de Stop Homophobie." Des victimes très angoissées à l’idée de revoir leurs agresseurs au tribunal, qu'ils n'avaient jamais vus que cagoulés. "C’est la première fois qu’il va réellement les voir, rappelle Me Pauline Alexandre. Et l’idée de revivre cet épisode extrêmement traumatique l'angoisse forcément."

*Les prénoms ont été modifiés

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Crédit photo : Wikipedia Commons

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