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justiceGuets-apens homophobes : renvoyé devant les assises, il risque la perpétuité

Par Youen Tanguy le 25/03/2024
Guet-apens homophobe, notre dossier dans le magazine têtu·

Un homme de 27 ans, accusé d’avoir piégé plusieurs hommes gays à Paris via des sites de rencontres, sera bientôt jugé devant une cour d’assises alors qu'il avait d'abord été renvoyé en correctionnelle. Entretemps, l'instruction a retenu que le ciblage d'hommes gays suffisait à retenir la circonstance aggravante d'homophobie.

C’est un soulagement pour les victimes. Iliès B., suspecté de plusieurs guets-apens homophobes à Paris, sera bientôt jugé devant la cour d’assises de Paris, a appris têtu· de sources concordantes. Il est accusé d’“extorsion avec arme” et “vol avec arme” commis en raison de l’orientation sexuelle des victimes, des faits pour lesquels il encourt la réclusion criminelle à perpétuité, précise le parquet de Paris.

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Cette affaire remonte à l’automne 2022. En l’espace de quelques semaines, quatre hommes sont piégés lors de rendez-vous fixés sur des sites de rencontres comme Coco. Le mode opératoire de leur agresseur est bien rodé : il leur donne son adresse, un immeuble du 18e arrondissement de Paris – où il vit chez ses parents –, les emmène dans les caves où il les menace avec un couteau afin de les détrousser. Certains sont humiliés, traînés au sol et traités de “pédé”. L'une de ses victimes, Marc, avait témoigné pour têtu· l'an dernier au sein de notre dossier sur les guets-apens homophobes : “J’avais l’impression que c’était un jeu pour lui. Il a aiguisé son couteau sur la tuyauterie et m’a expliqué en montrant mon cœur qu’il pouvait très bien le planter.”

"Un signal fort"

L'agresseur dérobe à ses victimes quatre smartphones qu’il revend ensuite dans le quartier de Barbès pour un montant total de 170 euros. “Pour 170 euros, vous pouvez risquer la prison à vie”, insiste aujourd'hui Me Thomas Vanzetto, l’avocat d’une des victimes. Ce n’était pourtant pas la peine qu’encourait Iliès B. initialement.

En février 2023, le jeune homme de 27 ans est présenté à un tribunal correctionnel dans le cadre d’une comparution immédiate. Il risque alors jusqu’à dix ans de prison. Pour permettre un jugement rapide, le parquet a en effet choisi de correctionnaliser le dossier, en ne retenant pas l’usage de l’arme, ce qui rend la peine encourue inférieure en cas de condamnation. Mais face à la gravité des faits, la présidente du tribunal décide au contraire de renvoyer l’affaire à l’instruction, laquelle vient donc de prendre fin un an plus tard.

“Sans l’intervention des avocats des parties civiles, ce dossier aurait été correctionnalisé et jugé entre un vol de ceinture de luxe et un outrage à agent, pointe Me Caroline Martin-Foricier, avocate de l’une des victimes. C’est un signal fort envoyé à tous ceux qui seraient tentés de commettre ce type de guet-apens.”

La circonstance aggravante d’homophobie

Mais ce que les avocats des parties civiles saluent avant tout, c’est qu'a été retenue la circonstance aggravante d’homophobie. Car même si le mis en cause conteste les insultes et nie toute forme d’homophobie, il a reconnu devant les enquêteurs avoir spécifiquement ciblé des hommes gays pour les piéger – ceux-ci étant à ses yeux plus actifs sexuellement, donc plus enclins à se déplacer, et surtout plus vulnérables. Il prenait d'ailleurs soin de demander systématiquement à ses futures victimes leur taille et leur poids, pour s’assurer de ne jamais se retrouver face à un homme qui aurait l’avantage physique sur lui.

Le juge d’instruction comme le parquet considèrent que ces stéréotypes à eux seul – qu’ils correspondent ou non à une réalité statistique – suffisent à caractériser la circonstance aggravante d'homophobie. “Que l’auteur n’agisse pas par homophobie ou n’adhère pas aux propos homophobes tenus est sans incidence pour retenir cette circonstance aggravante qui est objective”, note le parquet dans son réquisitoire définitif.

"Une excellente nouvelle"

“Ce sont ces préjugés qui permettent de retenir la circonstance aggravante d’homophobie, et non les insultes”, insiste Me Thomas Vanzetto. “Malgré les contestations de l’accusé, c’est une excellente nouvelle que la circonstance aggravante soit caractérisée de manière objective selon le mode opératoire qu’il a employé pour attirer ses victimes”, se réjouit son confrère, Me Jean-Baptiste Boué-Diacquenod, auprès de têtu·. L'extorsion avec arme étant passible de trente ans de prison, et le maximum de la peine encourue étant relevé par la circonstance aggravante, l'accusé risque désormais la réclusion à perpétuité.

Le secrétaire général de l’association Stop homophobie, Terrence Khatchadourian, applaudit cette nouvelle. “Je ne suis pas forcément favorable à la prison, mais on attend une peine exemplaire dans ce dossier, nous explique-t-il. Il faut en passer par là pour faire comprendre aux auteurs de ces guet-apens qu’ils risquent gros et aux victimes qu’elles sont entendues.” Stop homophobie fera une demande de constitution de partie civile dans ce procès. Les avocates de l’accusé, que nous avons également sollicitées, n’ont pas souhaité faire de commentaire. L’accusé, qui sera maintenu en détention jusqu’à son procès, dispose d’un délai de dix jours pour faire appel de l’ordonnance de mise en accusation.

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Crédit illustration : Romain Lamy pour têtu·

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