histoireLa Drag March, Pride dissidente de New York

Par Apolline Bazin le 28/06/2024
La 27e Drag March de New York, en 2021.

La première Pride était une émeute (Stonewall, 1969). Heureusement, on n'est plus obligé de lancer des briques pour revendiquer sa fierté LGBT+. Mais la contestation queer reste vivace, et apparaissent de temps en temps des marches dissidentes, dont la plus ancienne est la Drag March de New York.

Chaque année depuis trente ans, les rues de New York sont prises d'assaut par des drag queens, des sœurs de la Perpétuelle Indulgence et des Radical Faeries : c'est la Drag March. Le cortège défile habituellement le 28 juin jusqu'au Stonewall Inn, soit à la date et au point de départ des émeutes de 1969, que célèbrent depuis 55 ans les marches des Fiertés du monde entier. Pour autant, la Drag March affirme sa dissidence avec les autres Prides par son anticapitalisme et sa radicalité.

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En juin 1994, au plus haut de la pandémie de sida (près de 50.000 personnes sont en mortes dans l'année aux États-Unis), des milliers de personnes sont attendues à Manhattan pour le grand défilé commémorant les 25 ans des émeutes de Stonewall. Tout fraîchement installé à New York, Gilbert Baker, le créateur du drapeau arc-en-ciel, a été mandaté pour en coudre un long de 1,6 km, le plus grand du monde à l’époque. Mais le mouvement gay est traversé par une opposition entre les partisans d'une normalisation et ceux revendiquant le maintien d'une culture marginale : "La comité de planification Stonewall 25 a demandé à ce que les membres des communautés cuir et drag ne participent pas au défilé, raconte Hucklefaery Ken, actuel organisateur de la Drag March. De nombreux 'gays ordinaires' semblaient penser que la visibilité ouvertement gay ou transgenre n'apportait pas grand-chose."

"Jésus aime le drag"

En réponse, Gilbert Baker propose aux personnes qui l’aident à coudre le drapeau d'organiser un défilé de drag queens. L'idée se répand "comme une traînée de poudre". Il faut dire que l'artiste est aussi une novice des sœurs de la Perpétuelle Indulgence, sous le nom de Sister Chanel 2001. Il est par ailleurs ami avec Brian Griffin, membre des Church Ladies for Choice, un groupe formé de militants d'Act Up et de l'organisation féministe WHAM! qui se travestissent pour riposter aux attaques de la droite chrétienne contre les LGBTQI+ et le droit à l’avortement. Leur slogan : "Jésus aime le drag." Leur hymne : "Dieu est une gouine."

Or les années 1990 marquent bien un tournant dans la visibilité gay grand public. Le film Philadelphia sort en 1993, c’est la première grande production hollywoodienne traitant avec justesse d’homosexualité, de sida et d’homophobie. Tom Hanks y incarne un personnage d’avocat homosexuel malade injustement licencié, et le film est un succès populaire et critique. Surtout, Bill Clinton a été élu président au terme d’une campagne historique : "C’est la première fois qu’un candidat de l’un des deux grands partis courtise spécifiquement l’électorat LGBT, relève Guillaume Marche, professeur de civilisation américaine à l’Université Paris-Est-Créteil. Une fois qu’il est élu, c’est la première fois que des personnes gays ou lesbiennes sont nommées à des postes d’importance au sein de l’administration. C’est aussi la première fois qu’une promesse électorale concerne les personnes LGBT, pour leur intégration dans l’armée."

Les fées veillent

À la suite des Church Ladies, le mouvement de spiritualité queer Radical Faeries ("Fées radicales") a repris l’organisation de la Drag March en 1997, lui donnant un esprit mystique. C’est ainsi que Hucklefeary a participé pour la première fois à la marche : "Je me souviens de m'être sentie submergée par la créativité de toutes les personnes impliquées et par la solidarité exprimée par les marcheurs", raconte l’activiste qui dépeint une atmosphère joyeusement anarchique, où chacun est invité à "se rebeller contre la banalité et à se débarrasser de la honte".

Côté looks, la Drag March, c’est un peu dans l’anti-Drag Race : le cortège est à la fois punk et hippie, les Fées ayant à cœur de permettre "l’inclusion de tous les corps, en particulier des populations marginalisées et vulnérables". Le trajet de Tompkins Square à Greenwich Village est ponctué de chants et de rituels. "L'accent est mis sur l'hommage à nos ancêtres, à ceux qui nous ont précédés, tout en façonnant un avenir plus radieux pour ceux qui suivront", explique Hucklefaerry. Arrivée devant le Stonewall Inn, la foule chante "Over the Rainbow", l’iconique chanson de Judy Garland dans Le Magicien d’Oz

"Mettre 1.000 drag queens dans les rues de New York une fois par an c’est comme mettre un thermomètre dans le cul de Manhattan, fait valoir Brian Griffin dans une interview en juin 2021. Voyons comme nous sommes acceptés ! Voyons comment ça se passe !" Les organisateurs de la Drag March attendent cette année entre 4.000 et 5.000 personnes, une vitalité réjouissante dans le climat actuel.

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Crédit : Stephanie Keith / Getty Images via AFP

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