L'histoire gay est faite de discriminations et de lutte. Le podcast Pédés : réinventer le monde cherche la voie des combats LGBTQI+ à travers cette insulte fondatrice.
"Pédé”. Le mot sonne comme un coup de fouet infamant. "Pédé", marque du stigmate d’une masculinité subalterne ; un pédé, c’est un homme qui n’en est pas vraiment un. L'insulte – c'est une contraction de "pédéraste", soit un homme qui a des relations avec de jeunes garçons, mot longtemps utilisé pour nous désigner par les corps médical et policier – est devenue avec le temps une revendication, une manière de troubler l'ordre de la société hétéronormée et de se présenter au monde. Voici tout le sel de cette inversion du terme par les invertis, sur laquelle se penche le journaliste Camille Desombre dans son podcast Pédés : réinventer le monde, disponible sur Radio France.
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Les quatre épisodes nous plongent dans l’histoire de la lutte pour les droits des personnes LGBTQI+ en France, depuis la création du Front homosexuel d'action révolutionnaire (Fhar) en 1971 jusqu'à aujourd'hui. Les militants “reprennent le terme de pédé comme une forme de retournement du stigmate, (...) de l'injure”, explique le sociologue spécialiste de l'histoire LGBTQI+ Antoine Idier. Se nommer, et constituer un groupe, permet aux pédés de se défendre et d’exister, dans une logique semblable qui permit au mouvement de la négritude de reprendre le mot "nègre" pour en faire “un terme positif et pour inventer une identité politique et culturelle", précise-t-il.
Des décennies de répressions policières
Le podcast raconte ce surgissement d'une communauté LGBTQI+ dans une France à la législation homophobe héritée du Régime de Vichy – qui ne sera totalement abolie qu'en 1982. On suit, à travers des témoignages et des archives, ces années faites de luttes, d'agressions, d'arrestations, voire de prison pour certains. Ainsi Michel Chomarat, un des condamné dans l'affaire du Manhattan (une descente de police en 1977 dans les backrooms d'un club du 5e arrondissement de Paris) se remémore au micro de Camille Desombres : "Nous avons tous été embarqués au Quai des orfèvres et inculpés pour outrage public à la pudeur." Son arrestation et les procès subséquents ont structuré la révolte pédée.
Michel Chomarat rappelle la nécessité de se souvenir : "Si vous ne connaissez pas votre histoire, vous êtes amenés à la revivre, surtout pour les jeunes générations." Comme lui, près de 50.000 hommes ont été condamnés pour outrage public à la pudeur homosexuel, entre 1942 et 1978. Quarante ans plus tard, en 2024, le Parlement français vote, en première lecture, une loi prévoyant la réparation de ces condamnés pour homosexualité.
Pédé, et après ?
Des moments de vie et de partage ponctuent le podcast ; les échanges joyeux du collectif La Théière, à Lille, permettent de comprendre la nécessité de se retrouver entre pédés, en non-mixité. "Parler entre pédés, c'est parler que de ce qui est pédé : de cul, de santé sexuelle, de la PrEP", confie l'un des membres. Même constat pour Turi Cantero, du mouvement espagnol antifasciste Movimiento Marika Madrid : "C’est la première fois que j’étais dans un espace qui se définissait 'pédé'. Ça permet de réfléchir aux problèmes de la société envers nous, mais aussi au sein de notre propre communauté."
Se pose aussi la question de la convergence des luttes pédées avec le mouvement ouvrier et anti-raciste. Tout l'intérêt du podcast est de chercher cette orientation politique en France : "On est beaucoup de pédés à avoir une conscience politique, mais on n'a pas de projets politiques qui sous-tend notre identité, ni d'étendards politiques sur lesquels on pourrait se raccrocher, estime dans le podcast L. Bigòrra, auteur gay du roman 28 Jours. On est hyper réduit en tant que pédé à aimer faire la fête, acheter des chaussures à la mode et baiser. Une fois cette triade d’accomplissements remplie, c'est comme si on n'avait plus rien à demander à la société. Mais en tant que pédé, on doit comprendre quel rôle on a à jouer dans la société. S'organiser collectivement doit devenir une nécessité." Pédés de tous les pays, unissons-nous.
>> "Pédés : réinventer le monde", quatre épisodes, sur France Culture.
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Crédit photo : Radio France