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interview"Un projet représentatif de la France diverse" : Thomas Jolly, maître de cérémonies des JO

Par Aurélien Martinez le 24/07/2024
Thomas Jolly a conçu la cérémonie d'ouverture des JO de Paris 2024.

[Rencontre à retrouver dans le dossier spécial JO du magazine têtu· de l'été, disponible en kiosques, ou sur abonnement] Après le succès de sa nouvelle mise en scène de Starmania, Thomas Jolly est l'architecte de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024, ce vendredi 26 juillet sur la Seine. Il est également chargé de la soirée de fermeture, et des deux cérémonies des Jeux paralympiques. Rencontre avec un créatif hyperactif.

Photographie : Yann Morrison pour têtu·

La tour Eiffel, majestueuse, et les jardins du Trocadéro en contrebas : depuis le foyer du théâtre de Chaillot, à Paris, la vue est splendide. Mais en ce printemps, la perspective géométrique est quelque peu bouchée par d’immenses gradins en cours d’installation. “Ça prend de plus en plus forme”, constate en souriant Thomas Jolly, le directeur artistique des quatre cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux olympiques (les 26 juillet et 11 août) et paralympiques (les 28 août et 8 septembre) de Paris 2024. Face à la structure qui accueillera bientôt des milliers de personnes, l’homme de théâtre capable de tenir un public en haleine pendant dix-huit heures avec du Shakespeare (la création d’Henry VI qui l’a consacré en 2014) est-il stressé de devoir diriger la vitrine de l’un des plus gros événements au monde ? “J’ai eu une pression énorme au début, notamment parce que la prise de poste s’est faite au moment de la sortie de Starmania [dont il a mis en scène une nouvelle version créée à l’automne 2022]. Mais au fur et à mesure des semaines, j’ai appris à lâcher prise…”

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S’il n’a évidemment pas le droit de dévoiler ce qu’il a élaboré pour la très attendue cérémonie d’ouverture du vendredi 26 juillet (qui, pour la première fois dans l’histoire des JO, n’est pas prévue dans un stade mais sur la Seine), il nous en esquisse la philosophie. “On a déployé un projet qui, je crois, est représentatif de ce qu’est la France d’aujourd’hui : diverse. Si certains n’arrivent pas à concevoir cette diversité, on a un réel problème.” Est-ce une réponse déguisée à la polémique autour de la présence possible d’Aya Nakamura, annonce qui a valu à la chanteuse un tombereau de commentaires racistes ? “Ces réactions montrent surtout que certains pensent qu’il y aurait une France perdue ou je ne sais quoi. Cette cérémonie va venir briser cette idée. Car la France, et toute son histoire le démontre, est en permanence reliée à l’ensemble du monde. On va célébrer cette porosité et donc, oui, cette diversité, annonce le metteur en scène de 42 ans avec enthousiasme. Aucun autre projet ne m’a autant stimulé que celui-ci, comme il y a tout à inventer !”

Thomas, qui l'eût cru ?

Rien ne prédestinait le jeune Thomas Jolly à un jour devoir composer un ballet de bateaux pour les différentes délégations participant aux JO, si ce n’est un goût précoce pour le show. “Bien qu’il n’y ait pas d’artistes dans la famille, je ne sais pas pourquoi, j’ai tout de suite eu envie de spectacle”, se souvient-il. Né en 1982 d’une mère infirmière et d’un père imprimeur installés dans un village normand, le petit Thomas exprime très vite de nombreuses ambitions artistiques, que ses parents accompagnent. Il commence ainsi la danse classique à 4-5 ans, qu’il arrête néanmoins rapidement avant de s’essayer à la musique.

Des années d’enfance épanouies, en somme, au sein d’une famille aimante, jusqu’à l’entrée au collège, période “douloureuse” pour celui qui, aux yeux de ses camarades, était visiblement trop différent, pas assez bonhomme. “Ça a été comme un couperet. Quatre ans de peur, de harcèlement homophobe, de violences quotidiennes pour vérifier si j’étais un garçon ou une fille…” Son salut viendra d’une professeure de français qui fait étudier à ses élèves Le Cid, de Corneille. Thomas Jolly joue un petit bout de scène devant le tableau. “Et là, je vois que ma classe me reconnaît là-dedans et que, surtout, je me sens bien. Le théâtre est véritablement devenu l'espace safe où j’ai enfin pu être libre d’être qui j’étais.”

Après des études théâtrales à l’université de Caen et un passage à l’école du théâtre national de Bretagne, à Rennes, il entame une carrière qui le mène jusqu’à la prestigieuse cour d’honneur du Palais des papes, au Festival d’Avignon de 2018. Théâtre, opéra, cinéma (il sera l’an prochain à l’affiche d’un film dans lequel il interprète un metteur en scène de comédie musicale peu recommandable), grands événements… Sa place est décidément partout, tant qu’il a quelque chose à proposer.

Après les JO, Thomas Jolly va jouer aux jeux vidéo, “beaucoup”, pour décompresser, reprendre l'idée de série dystopique qu'il développe depuis plusieurs années et continuer à imaginer du théâtre, toujours avec la même croyance en un art exigeant et populaire : “Je suis intimement persuadé que ces deux mots vont de pair.” C'est ce qui lui plaît d'ailleurs dans les cérémonies des Jeux : “Contrairement au théâtre, qui malheureusement a du mal à s’adresser à un large public, là, il faut représenter tout le monde.” Comme lorsqu’en 2020, alors qu’il vient d’être nommé à Angers directeur d’un théâtre tout juste fermé pour cause de crise sanitaire, il investit son balcon avec son compagnon de l’époque afin d’interpréter la mythique scène de Roméo et Juliette, de Shakespeare, face aux fenêtres de ses voisins également confinés. Là aussi, succès. “Créer un lien avec le public, c’est vraiment ça, pour moi, la force du spectacle vivant, qu’on soit devant quelques personnes ou des milliers !”

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