Après Pédés, l'ouvrage collectif Gouines dresse à travers huit témoignages le portrait d'une communauté lesbienne multiple.
En vitrine des librairies queers, vous aurez repéré le petit livre violet strié de lettres oranges et blanches. Gouines, proclame le bouquin. Une réappropriation de l'insulte qui ne manquera pas de vous rappeler l'aîné de la fratrie aux éditions Points : Pédés. Sans faire l'impasse sur les paradoxes et contradictions inhérentes à tout groupe de personnes, ce nouvel ouvrage collectif, coordonné par les journalistes Marie Kirschen et Maëlle Le Corre, dresse le portrait d'une communauté lesbienne soudée par une identité commune qui va bien au-delà du simple fait d'aimer les femmes.
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Quelles étapes accompagnent notre entrée dans le monde queer ? Le premier marcel blanc ? La première coupe mulet ? À moins que ce ne soit l'intégrale de The L Word… Lesbienne sur le tard, Marcia Burnier, autrice des Orageuses, ouvre le bal. Elle témoigne d'un besoin viscéral de représentation, qu'elle est allée chercher du côté de l'écrivaine punk américaine Dorothy Allison, disparue quelques jours avant la parution de Gouines.
Qu'est ce qui fait la lesbienne ?
De son côté, Maëlle Le Corre s'est très vite aperçue de son attirance pour les femmes, mais s'est longtemps réfugiée dans des schémas hétéros préconçus. Elle décrit d'un côté l'hétérosexualité compulsive, et de l'autre la crainte de ne pas être suffisamment lesbienne. Au sein de chaque récit, une myriade de références. Des livres, des séries, des musiques, le baiser entre Britney et Madonna… Des relations saphiques dans la pop-culture ou la culture classique, récentes ou plus anciennes, explicites ou fantasmées.
Tout en dénonçant l'hétéronormativité de notre société, Gouines se focalise essentiellement sur nos ressentis, nos expériences, nos trajectoires. Car il s'agit de comprendre en quoi notre lesbianité influence notre identité, qui que nous soyons. Essai, poésie, lettre à un proche, à soi, déclarations et allégories : les styles de chaque autrice sont aussi identifiables que leurs histoires sont personnelles. D'ailleurs, comme le revendique si bien Noémie Grunenwarld, nous sommes complexes, multiples, ne pouvons pas être réduites, et encore moins dans une publication qui prétendrait à l'exhaustivité. Lorsque la poétesse Meryem Alqamar nous raconte ses trajets en avion vers Alger et le deuil de sa grand-mère, c'est par l'intime qu'elle nous rattache à elle.
Une communauté unie mais disparate
Pas étonnant qu'une communauté aussi bigarrée soit traversée par quelques dissonances. Nos réseaux de solidarité sont formidables, et Marie Kirschen le prouve en encensant notre capacité à envisager nos relations au-delà de la date de péremption du couple. Être amie avec ses ex, ne pas minimiser l'importance de nos liens, c'est beau et c'est lesbien. Toutefois, même si l'on kiffe la famille choisie, ses membres ne sont pas systématiquement sur un pied d'égalité. Ainsi, Erika Nomeni, autrice de L'Amour de nous-mêmes, met en lumière la grossophobie et la "misogynoire" (misogynie qui s'exerce sur une personne noire) qui ont imprégné ses expériences en milieux queers.
L'écrivaine Amandine Agić – meuf précaire qui a grandi à Clermont-Ferrand – souligne à son tour le fossé qui la sépare de ses consœurs activistes croisées dans les cercles intellectuels parisiens et dont la "radicalité" et "l'intransigeance" politique ne serait selon elle permise que par leur statut social et leur sécurité financière. Gouine et en situation de handicap, l'artiste et activiste No Anger, connu pour son blog "À mon geste défendant", évoque de son côté sa double identité, mais aussi sa double invisibilisation. Plutôt qu'un manifeste à la gloire de notre belle communauté, Gouines en dresse un portrait nuancé et critique. Comme une ode à l'altérité au sein même de la commu.
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Crédit photo : éditions Points