[Interview à retrouver dans le magazine têtu· de l'hiver] Le chansonnier préféré de Christophe Honoré, Alex Beaupain, s'est trouvé un nouveau compagnon de comédie musicale, Diastème. À deux, ils ont écrit Joli joli, avec Clara Luciani et Vincent Dedienne. Un film original, joyeux et délicieusement engagé à découvrir au cinéma le jour de Noël !
Photographie : Yann Morrison pour têtu·
Un écrivain dépressif au bord du gouffre (William Lebghil) rencontre par hasard, le soir du Nouvel An, une star de cinéma (Clara Luciani) dont il tombe immédiatement fou amoureux… mais c'est compter sans sa femme de ménage (Laura Felpin), elle aussi amoureuse tendance manipulatrice, et sur le contrat quasi faustien que lui propose un gros producteur de films à l'eau de rose (José Garcia) qui veut reconquérir la star en question. S'ajoutent à ce quatuor – au fil de l'histoire rocambolesque qui suivra la production du film (dans le film) Joli joli – des personnages hauts en couleur : un comédien gay, pseudo homme à femmes qui a de plus en plus de mal à respirer dans le placard (Vincent Dedienne), son metteur en scène et amoureux secret (Grégoire Ludig), un ingénieur du son beau comme un camion (Victor Belmondo), une infirmière nympho et toxico, deux starlettes en mal de réussite et de vérité… Couleurs joyeuses et ambiances kitsch des années 1970, décors et costumes étincelants, anachronismes savamment écrits, Joli joli poursuit un objectif : (re)former les couples pour que tout finisse bien, quitte à surprendre dans un final étourdissant…
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Il fallait oser : prendre pour modèle les opérettes un peu datées qui occupaient les scènes parisiennes du XIXe siècle pour écrire et composer une comédie musicale sur l'industrie du cinéma de la fin des années 1970, à la fois drôle et touchante, pop, queer et résolument moderne. C'était là la vision du duo formé pour l'occasion par Diastème, qui réalise ici son cinquième long-métrage, et Alex Beaupain, auteur-compositeur-interprète qui a déjà bien pratiqué l'art du film musical et chanté aux côtés de Christophe Honoré depuis 2002, avec pour point d'orgue, en 2005, Les Chansons d'amour, inspiré de sa propre histoire. Ses chansons sont tout simplement idéales, profondes et drôles, crues et entraînantes, elles donnent au film son humeur particulière et permettent à ce casting divers et populaire de briller sur tous les fronts.
- Dans quelles conditions est né Joli joli ?
Ça fait longtemps que le projet est écrit et qu'il existe. En fait, depuis une dizaine d'années à peu près ! Avec Diastème et Christophe Honoré, on fait partie d'une espèce de petite bande, et l'on travaille tous les uns avec les autres. À un moment donné, Diastème m'a dit : "Faudrait qu'on fasse quelque chose ensemble, on pourrait faire une opérette, et j'ai un titre, c'est Joli joli." Moi ça me faisait marrer, je lui ai dit que je trouvais le titre super et on est parti de là. De cette idée de départ assez sommaire, il a commencé à développer une histoire, et moi des chansons, autour d'un marivaudage un peu joyeux – même si ça n'exclut pas des moments émouvants ou tristes – où tout se finit bien.
- Quelles sont les règles de base de l'opérette ?
Ça vient de l'opéra-bouffe, donc c'est plutôt quelque chose de joyeux, et de l'ordre de la reconstitution d'une époque, d'où notre volonté de se situer dans les années 1970. C'est la préfiguration de la comédie musicale, très clairement. L'opérette, ça va jusqu'à L'Opéra de quat'sous de Kurt Weill, qui a importé ce modèle à Broadway. C'est une façon très française de faire de la comédie musicale. Mais bon, évidemment, nous ne sommes pas musicalement dans les codes de l'opérette au sens où l'on n'est pas dans des choses rétros. On était quand même dans l'idée d'avoir des chansons qui seraient plus orchestrées, parfois pop. Bref, on s'est retrouvés tous les deux pendant trois ou quatre mois pour écrire ça.
- Comment se partageait le travail entre vous ?
Il écrivait une scène, j'allais le voir avec une chanson, il me redonnait une chanson à faire, etc. Et c'était drôle parce que dans cette façon d'écrire à deux, il y avait aussi le fantasme de ces grands librettistes et musiciens qui s'installent pendant quatre mois à deux, qui font une espèce de résidence pour écrire une histoire avec de la musique, donc c'était assez joyeux. Puis au bout de quatre mois, on a eu un livret fini avec des chansons achevées.
- L'idée des décors, du tournage en studio sans profondeur de champ, cela affirme un côté scénique…
En France, on a toujours une petite référence à Jacques Demy. Forcément. Moi, j'aime beaucoup ça, Diastème un peu moins. C'est vrai que, dès le départ, on s'inspirait d'Alain Resnais avec On connaît la chanson ou Pas sur la bouche, mais aussi de choses un peu artificielles comme les comédies musicales des années 1950. On a trouvé une friche industrielle insensée où l'on pouvait monter tout ça, avoir des fausses rues, de la fausse neige. Moi, quand les trois éboueurs arrivent sous la neige, ça me fait penser aux ramoneurs dans Mary Poppins, par exemple.
- À quel moment se réfléchit le casting pour un tel projet ?
Très tôt, parce que c'est très important, et puis c'est aussi un argument pour aller voir les gens qui donnent de l'argent. Clara Luciani, c'était une idée de Maxime Delaunay, le producteur. Je la connaissais un peu, j'avais même fait des choses avec elle avant qu'elle soit la grande vedette de la variété française qu'on connaît ! Vincent Dedienne, je savais qu'il savait chanter. Laura Felpin, c'est une idée de Diastème ; on a vu son spectacle dans lequel elle chante vraiment très bien… Pour le personnage de José Garcia, il fallait quelqu'un capable d'être très inquiétant au début et très drôle à la fin. Grégoire Ludig avait quant à lui travaillé sur un film dont j'avais fait la musique, Les Cadors, et dans ses sketchs du Palmashow. Mine de rien, il sait non seulement chanter, mais il imite très bien aussi. Le projet les a motivés tout de suite, j'imagine que c'est toujours excitant pour un artiste de faire en plus qu'il n'a jamais fait.
- Le film aborde pas mal de questions de société, et assume un côté très queer, c'était présent dès le début ?
Bien sûr. Quand j'écris des chansons, finalement je raconte toujours ces choses-là, même si c'est de façon peut-être plus subtile et plus discrète. Ces histoires m'intéressent, forcément. Ici, on avait cinq couples, mélangés au départ, qui devaient se retrouver dans le bon ordre à la fin. Si on n'était pas arrivé à mettre au moins deux couples homosexuels, ç'aurait été dommage. Et il n'y a pas plus gay, plus queer que la comédie musicale ! Cela nous a semblé extrêmement naturel de s'amuser avec ça.
- À quand les grandes retrouvailles autour d'un projet musical avec Christophe Honoré ?
Très vite, puisqu'on travaille à un projet pour la scène. Cela fait longtemps que je réfléchis l'idée de faire un spectacle scénique, qui ne soit pas vraiment un concert mais tourne tout de même autour de mes chansons. Et je commence à en avoir pas mal, parce que je suis vieux ! Dans l'idée, j'avais envie de quelque chose d'un peu plus écrit, d'un peu plus mis en scène. Je ne sais pas du tout ce que ça va donner au bout du compte, c'est dans trois mois et on joue dix jours d'affilée. Ça va fatalement ressembler à ce que Christophe propose quand il fait des spectacles, mais avec mes chansons à moi. C'est une nouvelle façon de continuer à travailler ensemble, et ça m'amuse parce que j'adore faire de la comédie musicale avec Christophe. Cela va s'appeler Beaupain Black Cat [malheureusement, la représentation qui devait se tenir au Théâtre de l'Athénée, à Paris, a été annulé]. Et c'est censé être drôle aussi, pour une fois ! ·
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