[Entretien à retrouver dans le magazine têtu·] Du triomphe de sa comédie Un p'tit truc en plus à celui de son spectacle One Man Show, en tournée en 2025, Artus est habitué à réunir largement par le rire. Dans La Pampa, dont la sortie au cinéma est prévue pour février, il ajoute à son arc un rôle gay dramatique. En couverture de notre numéro de l'hiver, l'humoriste et comédien s'est prêté au jeu d'un shooting sexy et malicieux, ainsi que d'un long entretien sur ce nouveau film mais aussi sur son rapport à l'humour, au corps, à la masculinité… Au passage, il nous donne des nouvelles de son chien, Martine !
Interview : Thomas Desroches & Thomas Vampouille
Photographie : Christopher Barraja pour têtu·
Dans le cinéma français, 2024 a été l'année Artus. En dépassant les 10 millions de spectateurs en salle, soit la neuvième plus importante fréquentation de notre histoire, Un p'tit truc en plus a tellement surpris son monde qu'au Festival de Cannes, aucune marque n'avait prévu d'habiller l'équipe du film pour la montée des marches. C'est finalement la maison Kering (Gucci, Yves Saint Laurent, Bottega Veneta…) qui lui a ouvert ses collections, un geste généreux autant qu'inspiré, tant tout ce que touche le réalisateur en ce moment se transforme en or.
Révélé au grand public comme humoriste dès 2011 dans On n'demande qu'à en rire, l'émission de Laurent Ruquier sur France 2, Artus a gagné ses galons de comédien dans la série Le Bureau des légendes. Depuis, entre ces deux casquettes, il a décidé de ne pas choisir. Avant d'emmener son spectacle One Man Show (qu'il joue à guichet fermé jusqu'au 31 décembre au Théâtre Édouard-VII, à Paris) dans une tournée des Zénith au premier semestre 2025, déjà complète également, et alors qu'il figure au casting de la saison 5 de LOL : qui rit, sort ! sur Amazon Prime Video, il a accentué encore son grand écart en tournant dans La Pampa, le nouveau film d'Antoine Chevrollier, en salles début février.
Dans ce drame sur l'amitié entre deux adolescents de la France dite périphérique, le comédien joue Teddy, un coach de motocross refoulant son homosexualité. Saisissant, lumineux malgré la noirceur du propos, le film délivre sur l'homophobie un message qui devrait être montré dans toutes les familles.
On pourrait croire qu'après une telle année, Artus s'est prévu de longues vacances. C'est le contraire : à 37 ans, il est prêt à jongler plus que jamais. Préparant l'ouverture de son comedy club rue Saint-Denis, à Paris, il trouve encore le moyen de tourner dans Chien 51, le nouveau film de Cédric Jimenez, et dans Les Enfants de la résistance, adaptation par Christophe Barratier de la BD éponyme plébiscitée par la jeunesse. Et de poser pour têtu·, donc, lors d'une séance à son image, généreuse et malicieuse.
- On découvre dans La Pampa un autre visage de toi, plus sombre que celui qu'on connaît. Tu as hésité à accepter ce rôle ?
Je n'ai pas hésité une seconde, et ce pour deux raisons. La première s'appelle Antoine Chevrollier, le réalisateur : pour lui, j'irais n'importe où sans même lire le scénario. Il y avait aussi ce défi de la perte de poids, j'ai toujours su que le jour où l'on me demanderait de perdre 40 kilos pour un rôle, je le ferais ! C'était également important d'amener mon public, populaire, vers un autre genre de film, surtout avec un tel message.
- Ton personnage n'est guère sympathique, c'est aussi le contre-emploi qui t'a attiré ?
Teddy n'est pas méchant, il est lâche. J'ai grandi dans un village comme celui du film et je les connais, ces gars-là. C'est la figure virile et masculine par excellence, le bonhomme qui plaît aux meufs. Il s'en est convaincu et s'est enfermé dans cette image qu'il s'est lui-même forgée. Or il a une attirance pour les mecs et il ne l'assume pas. Il passera toute sa vie triste, à faire semblant et à jouer un rôle.
- Le film se déroule dans l'univers viril du motocross. Toi qui faisais du rugby plus jeune, quel rapport avais-tu à cette masculinité démonstrative ?
Le rugby est un univers très bourrin et masculin mais, paradoxalement, il y a aussi dans ce sport un rapport très libre au corps. Il n'y a qu'au rugby qu'un mec peut se tapoter la bite sur la cuisse pour faire rigoler les copains. Alors que dans les autres sports ils vont dire : "Eh oh arrête, je suis pas pédé !"
- Justement tu as l'air très libre avec ton corps, y compris dans le film…
Dans La Pampa, il y a une scène de nudité et de sexe qui pourrait rebuter certains acteurs. Moi, je n'ai aucun problème avec mon corps et avec l'idée d'embrasser un homme. Au contraire, j'ai plus de mal à faire semblant. S'il faut filmer un baiser, il faut que ce soit vrai, sinon ça se voit, personne n'y croit.
- Tu avais déjà pratiqué dans la vraie vie ?
J'ai toujours été très ouvert là-dessus. Je suis hétéro mais j'ai expérimenté beaucoup de choses sexuellement, sans jamais me mettre de barrières, et j'ai déjà eu des relations avec des mecs. D'ailleurs peut-être que je me trompe et qu'un jour j'aurai le coup de foudre pour un gars, mais je ne suis pas attiré par les mecs : je ne me retourne pas sur eux dans la rue, par exemple.
"Toi t'es hétéro parce qu'on t'a dit qu'il fallait être hétéro et que tu n'as surtout pas envie d'imaginer qu'un mec pourrait t'exciter."
- C'est rare qu'un homme public assume d'être hétéro curieux !
J'assume totalement, mais en vrai je pense qu'on l'est tous un peu, non ? Quand je parlais à des potes de certaines de mes expériences, ils me disaient : "T'es homo alors ?" Mais non, justement, toi t'es hétéro parce qu'on t'a dit qu'il fallait être hétéro et que tu n'as surtout pas envie d'imaginer qu'un mec pourrait t'exciter. Moi, je l'ai découvert quand je suis allé dans un club libertin. Il faut savoir poser ton cerveau d'hétéro pour écouter ton corps, ce qui t'excite à ce moment-là. Et puis le lendemain, t'es pas obligé non plus de te prendre la tête en te demandant si t'es un bon hétéro, si t'es un peu homo… À un moment donné, dans le désir, c'est le corps qui parle, alors fais ce que tu veux ! J'ai toujours écouté mon corps avant d'écouter ma tête sur ce qu'on pouvait penser de moi.
- Quel mec pourrait venir te draguer en boîte ?
Tom Hardy ! Lui il vient, je lui roule une énorme pelle. Il a cette masculinité, ce côté un peu bestial que je trouve attirant.
- Un film comme La Pampa peut aider des jeunes homos à s'affirmer, ou en tout cas leurs potes à mieux réagir. Toi, il y a un film qui t'a aidé dans ta vie ?
Certains m'ont aidé à assumer mon imaginaire, comme ceux de Tim Burton, par exemple. Je trouvais ça cool de me dire qu'il y a ces bulles utopiques qu'on peut se créer hors du monde réel ; pareil avec les Disney ou les Harry Potter, ça fait du bien. Moi je peux regarder un milliard de fois des films comme Hook : s'imaginer que tu t'envoles et que tu arrives dans un monde imaginaire… Mais aucun ne m'a aidé à prendre conscience de qui j'étais ou de mon corps. Je n'ai jamais pu m'identifier à qui que ce soit parce qu'il n'existe pas ou peu d'acteurs gros, à part Jack Black dans le cinéma américain.
- Tu la vois comme ça ta présence au cinéma, une représentation pour les personnes grosses ?
Bien sûr. Le premier projet qui m'a permis d'accéder au cinéma, c'est Le Bureau des légendes. Pour cette série, si je n'avais pas fait 130 kilos, je n'avais pas le rôle. Tout le texte est écrit autour de ça. Même dans Un p'tit truc en plus, je fais des blagues homoph… grossophobes. Je vanne tout le monde donc je me dois d'y passer. Maintenant, j'ai envie de jouer autre chose que des rôles de gros.
"Être gros, c'est être épié tout le temps."
- Tu viens de faire un lapsus homophobe/grossophobe. Tu vois un lien entre ces deux discriminations ?
Être gros, c'est être épié tout le temps. Quand tu vas manger dans un restaurant, peu importe ce que tu commandes, tout le monde regarde ton assiette. Si tu commandes une salade, ils se disent : "Ah, il veut maigrir." Si tu manges des frites : "Faut pas qu'il s'étonne d'être gros." Et je ne parle même pas de quand tu es à la plage ou à la piscine…
- Tu en as souffert quand tu étais plus jeune ?
Non, au rugby je me sentais faire partie du groupe avec mon corps. C'est en venant à Paris, pour faire un stage au Cours Florent qui s'est très mal passé, que j'ai senti un décalage. Là je n'ai vu que des gars longilignes qui m'ont scanné de haut en bas dès mon arrivée. J'avais envie de leur dire : "Ben oui, je ne suis pas comme vous, oui j'ai du bide…" Là, tu te rends compte de ce regard, et il fait mal.
- Il paraît que ta présence dans La Pampa rendait les financeurs frileux car ton nom était trop "populaire"…
On en revient toujours à la même chose : les étiquettes. Les acteurs dramatiques ont plus le droit d'aller vers la comédie que le contraire. Alors que, honnêtement, je pense que c'est beaucoup plus difficile de faire rire que de faire pleurer. Et pourtant c'est l'exercice le plus méprisé. Le rire est considéré comme une sous-culture.
- Ce regard sur toi a changé depuis le succès d'Un p'tit truc en plus ?
Oui, c'est drôle, et tellement prévisible. Quand je reçois des scénarios, on me dit : "On avait pensé à toi avant Un p'tit truc en plus." Non, sérieux ? Pourquoi je ne l'ai pas reçu avant alors ? Plutôt que de me dire : "Tu as fait 10 millions d'entrées, tu es bankable, tu peux lire ce scénario ? J'espère qu'il va te plaire." Tout comme ceux qui avaient refusé Un p'tit truc en plus et qui me disent aujourd'hui "moi, j'y croyais depuis le début". Ça me fait rire, parce que je ne suis pas dupe.
"Ça fait 30 ans qu'il n'y avait pas eu de film sur le handicap avec des personnes réellement en situation de handicap."
- Que réponds-tu à ceux qui objectent que, sous couvert d'inclusivité, tu réduis les acteurs de ton film à leur handicap pour faire rire ?
Mais ils sont comme ça ! Arnaud Toupense est porteur de trisomie 21, c'est sa vraie façon de parler. Je ne vais pas faire de post-synchro et rajouter une autre voix par-dessus ! Ça fait 30 ans qu'il n'y avait pas eu de film sur le handicap avec des personnes réellement en situation de handicap. Donc oui, je préfère les montrer tels quels que ne pas les montrer. Je ne dis pas que ça changera tout mais je sais que ce film a déjà changé la vie de mes onze acteurs. Et je reçois beaucoup de témoignages, dont celui d'un père qui m'a dit qu'avant les gens se moquaient de sa petite fille trisomique, et qu'elle est aujourd'hui la reine du village. C'est déjà beaucoup.
- Comment tu te situes dans les débats qu'il y a aujourd'hui sur les limites de l'humour, sur ce qu'on peut dire ou pas ?
Je pense qu'on peut tout faire, il ne faut pas qu'il y ait de sujets tabous. C'est comme ça qu'on fera changer les mentalités. En tout cas, c'est ma façon de faire. On veut nous faire croire qu'on est tous pareils mais c'est faux. Nous sommes différents, alors mélangeons-nous et rions de nos différences ! L'humour est une arme pour faire passer des messages. Je trouve ça plus hypocrite de ne pas aborder un sujet parce qu'on a peur de blesser.
- Qui te fait rire, toi ?
Sur les réseaux, il y a des choses très drôles. Jérôme Niel est une des personnes qui me fait le plus rire. Et Pat Piard, qui est très, très gênant et qui fait des vannes à la limite de ce qu'on peut faire aujourd'hui. Surtout sur internet, je pense qu'il doit se prendre des seaux de merde. Ou Stéphane Malassagne, qui joue un coach en séduction hyper malaisant. J'aime bien ces personnages un peu border, qui font très premier degré, tu frissonnes mais tu rigoles. Et j'adore ces rires coupables sur des vannes limites, c'est cathartique.
Sinon Ricky Gervais, évidemment. Lui, il s'en fout de tout, c'est l'avantage, comme les gens qui le suivent. Et si tu as vu sa série Afterlife, tu sais que ce gars est rempli d'humanité. Comme Laurent Baffie, qui s'est pris des trucs toute sa vie alors que quand tu le connais, tu sais que c'est un gars ouvert. Mais dans ces polémiques, les gens n'écoutent que les mots, pas la personne qui les dit et comment elle les dit. Or toute la différence est là : qui le dit ?
"C'est drôle ? Donc t'as le droit de le dire. Le public tranche en riant."
- C'est pour ça que la scène est le vrai espace de liberté ?
La liberté est plus grande sur scène, tu peux aller plus loin parce que les gens viennent te voir en sachant où tu vas les emmener, donc le public est réceptif. Mais c'est sûr que si tu t'amuses à sortir des phrases du contexte, celui de la salle, on peut vraiment avoir l'impression qu'un humoriste est vulgaire, antisémite, raciste, homophobe, misogyne… Le spectacle vivant, c'est un rapport direct au public, il faut le garder. Valérie Lemercier ne filmait aucun de ses spectacles, et honnêtement si ça ne tenait qu'à moi je ferais pareil. En tout cas, il faut que les gens regardent une captation de spectacle comme s'ils regardaient par le trou de la serrure, en étant conscients qu'ils n'ont pas vécu ce moment-là, qu'à la limite ils ne devraient même pas être là. C'est le contexte et la façon dont tu dis les choses qui comptent. Pour moi, voici la règle en humour : c'est drôle ? Donc t'as le droit de le dire. Le public tranche en riant.
- Avec le succès d'Un p'tit truc en plus, tu avais annoncé un autre projet, celui de centres de vacances inclusifs, où en es-tu ?
La fondation Un p'tit truc en plus est montée. Nous sommes en train de lever les fonds. Ce n'est pas un projet pour demain parce que je veux vraiment tout construire. L'idée c'est de créer une bulle pour les sortir des instituts médico-éducatifs (IME) qui sont souvent des endroits glauques et froids. Je veux créer un Club Meb pour les personnes en situation de handicap. Quelque chose de beau, de luxueux, pour qu'ils aient aussi accès à ça. J'aimerais que le premier centre soit ouvert d'ici trois ou quatre ans.
- Et artistiquement, un autre défi pour toi, ça serait quoi ?
Mon rêve ultime, c'est de faire une comédie musicale.
- So gay !
De ouf. Ah mais ne me croisez pas pendant la période de Noël, parce que je suis très, très gay. Je me promène dans Paris avec du Michael Bublé dans les oreilles en faisant des pas de comédie musicale, je souris à tout le monde en tournant sur des poteaux… En fait j'adorerais faire un film musical sur Jacques Brel, qui est un immense interprète, tellement poétique. Je mets au défi quiconque de le regarder chanter "La Chanson des vieux amants" et de ne pas chialer.
- Avant de se quitter : tu savais qu'une rumeur t'accuse d'avoir abandonné ton chien ? Nos lecteurs ont le droit de savoir, comment va le chien ?!
Mon staffie Martine ? Ouais je l'ai pendue à un arbre, pourquoi il fallait pas ? Même ça on n'a plus le droit ? Non, cette histoire d'abandon remonte à un autre chien, Dante, un berger allemand en fin de vie que j'avais trouvé à la SPA où il était en adoption d'urgence, c'est-à-dire peu de temps avant qu'on les pique. Donc je le prends en me disant que je vais lui trouver une famille d'accueil où il va pouvoir finir ses jours tranquillement. Moi, en vivant à Paris, je ne pouvais pas m'occuper d'un vieux berger allemand incontinent avec des problèmes d'arrière-train. Résultat, il a été recueilli par une dame dans une maison des Alpes avec un jardin et plusieurs chiens, et c'est là qu'il a fini ses jours heureux. Martine, que j'ai depuis trois ans, j'avais fait d'elle une influenceuse avec son propre compte Instagram, Martinelastaffette. Sauf qu'elle n'est pas du tout autonome, elle ne sait pas faire des vidéos toute seule et je n'avais plus le temps de m'en charger, donc j'ai arrêté. Mais elle vit sa meilleure vie à la maison, elle mange des plats qui coûtent plus cher que les miens, elle fait d'énormes balades dans la forêt tous les jours… Martine va très bien !