[Rencontre à lire dans le magazine têtu· de l'hiver] Depuis seize ans, Shirley Souagnon nous fait rire. Et l'une des premières humoristes queers out de France a encore beaucoup de choses à nous dire.
Photographie : Audoin Desforges pour têtu·
Chemise col relevé, jean-baskets, coupe afro courte… Dès son premier stand-up en 2008, sobrement intitulé Sketch-up !, Shirley Souagnon, alors âgée de 24 ans, assume sa dégaine de tomboy. Et elle n'a pas la langue dans sa poche. La pauvreté, la discrimination à l'embauche, l'esclavage ? Bien sûr que ce sont des sujets pour une humoriste ! "Les vérités sont deux fois plus fortes qu'une blague fabriquée", soutient-elle.
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C'est le même esprit qui fonde son dernier spectacle, Être humain – actuellement en tournée de projection –conférence à travers la France. "J'y déconstruis les étiquettes qui nous limitent, explique-t-elle. Peu à peu, j'enlève toutes les couches qui me pèsent, et parle ainsi de mon approche de la non-binarité, de la fluidité." Dès ses participations à On n'demande qu'à en rire et au Jamel Comedy Club en 2010, Shirley Souagnon s'est débattue avec les étiquettes qu'on lui accolait si facilement du fait de ses origines ivoiriennes. "Beaucoup d'émissions voulaient mettre en avant médiatiquement les jeunes talents d'une France de plus en plus métissée, décrit-elle. Et physiquement, je plaisais aux médias : j'ai une dégaine de banlieue sans venir de banlieue, j'ai une façon de parler particulière mais personne ne saurait dire d'où je tiens ça… D'une certaine façon, ça rassurait le public."
"Un humour queer était possible"
Lors de sa participation à la sixième saison du Jamel Comedy Club, elle parle ouvertement sur scène de son homosexualité, et personne ne moufte. "À l'inverse, Jarry, qui participait à la même saison, n'en parlait pas et a reçu des insultes tout l'été", se souvient-elle, analysant : "Si j'avais été un homme gay, je pense que j'aurais plus galéré, surtout un mec gay et noir." La première fois qu'elle entend un chœur de rires lesbiens, c'est lors d'une représentation de La Lesbienne invisible, d'Océan. Un déclic : "Je me suis rendu compte à cette occasion qu'un humour queer était possible."
À 38 ans, elle mesure la chance de la nouvelle scène d'humoristes queers qui se forme aujourd'hui, avec en tête de proue Tahnee, Lou Trotignon, Mahaut Drama… "Ne pas être seul, développe-t-elle, c'est une force énorme ! Quand on est plusieurs, on s'inspire les uns les autres pour développer sa propre matière." D'autant plus que les jeunes pousses peuvent désormais s'adresser à un public LGBTQI+ qui remplit les salles, et aborder les sujets de la commu. "L'intérêt de l'humour queer, de l'humour communautaire en général, c'est que certaines blagues sont plus simples à faire quand tu n'as pas besoin de les expliquer, relève-t-elle. Par exemple, une personne noire comprend tout de suite une blague sur les collants couleur chair."
À ses cadets dont elle salue le "besoin de défendre ce qui leur tient à cœur", Shirley Souagnon conseille néanmoins de ne pas s'enfermer dans une nouvelle case. "Il ne faudrait pas que les humoristes queers se sentent dans l'obligation de parler de leur sexualité pour exister, réfléchit-elle. Dans un sens ou dans l'autre, notre comportement ne doit pas être dicté par les attentes d'autrui." Elle défend simplement qu'on peut "rire de tout tant qu'on le fait avec bienveillance : ce qui importe, c'est l'intention". Tranquille, la patronne.