[Portrait à lire dans le magazine têtu· de l'hiver] Avec son deuxième spectacle, Tristan Lopin s'est mué en humoriste de l'intime, et prouve que les questions de santé mentale peuvent mener à de bonnes tranches de rire.
Photographie : Audoin Desforges pour têtu·
Il existe plusieurs choses que Tristan Lopin a en horreur : les t-shirts à message, les gens qui n'ont pas vu l'intégrale de Friends et – le plus important – les filles qui lui demandent de devenir leur "meilleur ami gay". "Il y a beaucoup de nanas qui me sortaient ça après mon premier spectacle, rapporte-t-il, encore interloqué. Comme si elles parlaient d'un accessoire ! Cette phrase me rend fou." En janvier 2015, encouragé par son entourage et adoubé par Bérengère Krief, l'humoriste parisien – qui s'était dans un premier temps destiné à des études de cinéma – saute le pas et inaugure son premier seul en scène, Dépendance affective, devant un public essentiellement composé de "meufs célibataires déprimées qui se pointaient parfois un peu bourrées entre copines".
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"Dès le départ, j'ai passé mon temps à créer du contenu sur internet pour attirer des gens", explique-t-il. Ses pastilles vidéo, qui lui permettent de coller à l'actualité, ne vont pas tarder à le faire connaître d'un public beaucoup plus large. Avec son deuxième stand-up, Irréprochable, six ans plus tard, il ambitionne non seulement d'étendre son cœur de cible, mais aussi de passer un cap dans l'intime. "J'avais vachement envie de montrer que les gens solaires qui nous entourent et qu'on adore sont souvent des personnes avec d'importantes parts d'ombre", appuie-t-il. C'est ainsi qu'il se confie dans son show, avec un cynisme devenu sa marque de fabrique, sur le viol qu'il a subi à l'âge de 13 ans. "C'est pas évident de faire rire sur des traumatismes, reconnaît Tristan Lopin. Ça m'a pris du temps pour trouver les bons mots et le bon ton. C'était un pari risqué, mais je pense qu'on arrive à emmener les gens avec nous dès lors qu'on partage sa propre expérience."
Un nouveau spectacle ?
En plus de se placer dans la continuité du mouvement MeToo, cette prise de parole s'inscrit dans une forme de renouveau du stand-up, impulsée par des pointures comme Blanche Gardin ou la comédienne australienne et ouvertement lesbienne Hannah Gadsby. "J'avais regardé son spectacle Nanette sur Netflix avant d'écrire le mien, se souvient Tristan Lopin. Quand j'ai vu cette meuf parler de choses graves avec ce ton-là, je me suis dit que ça pouvait marcher. Elle s'autorise à rire de choses absolument pas drôles, et je me suis permis ça en retour."
En raison du succès de la tournée d'Irréprochable, l'humoriste estime "qu'on est dans une phase où les gens s'inquiètent et s'intéressent beaucoup à toutes les questions de santé mentale". Selon lui, l'humour ne fait que suivre cette tendance où les langues se délient et où il devient de plus en plus ouvertement militant. Ce virage requiert toutefois quelques précautions. "Je ne m'interdis de parler de rien mais si je ne me sens pas légitime à aborder un sujet, car pas assez renseigné, je préfère me taire, affirme-t-il. Je veux pouvoir être sûr de tout ce que je dis. C'est une vigilance qui me paraît normale : quand on parle de sujets délicats, il faut pouvoir rire tout en préservant les concernés. Mon but premier, c'est de faire marrer de façon consciente et intelligente." À 37 ans, le comique émet tout de même une incertitude quant à son retour sur scène : "Je finirai peut-être par y revenir mais je dois d'abord trouver un sujet qui m'habite. Sans ça, impossible. J'ai besoin d'en ressentir la nécessité."
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