billet"Déconstruire les différences de sexe" : du genre dans la biologie ?

Par H Colineaux le 12/03/2025
"Déconstruire les différences de sexe. Le sexe et le genre à l'épreuve de la méthode scientifique"

Dans le livre Déconstruire les différences de sexe. Le sexe et le genre à l'épreuve de la méthode scientifique, je décris comment explorer les mécanismes sociaux de genre en jeu dans la construction des différences biologiques entre les hommes et les femmes. Au-delà des conclusions purement scientifiques, l'enjeu est aussi de réconcilier l'approche anti-essentialiste avec les sciences biomédicales et la biologie.

La "biologie" (ou "la nature", une variante souvent mobilisée) sert souvent d’argument d’autorité pour les adeptes d’idées réactionnaires, qui ne semblent pouvoir imaginer un monde dans lequel l’anatomie de naissance ne déterminerait pas les destins. Pour arrimer à la réalité ces lois sociales, bien plus volatiles qu’il n’y paraît, ces idéologues s’appuient sur cette réconfortante biologie qui ne semble jamais leur faire défaut.

Effectivement, personne ne peut nier qu’entre des personnes désigné·es à la naissance comme "hommes" ou "femmes", il existe des différences génétiques, hormonales, anatomiques, inflammatoires, cardiovasculaires, métaboliques, etc. Par contre, que cela puisse justifier d’une quelconque manière l’attachement anxieux de certain·es à la répartition des rôles sociaux, pouvoirs et pronoms en fonction de ces catégories anatomiques reste, à mon sens, un mystère pour la pensée logico-déductive. Bien sûr, mon cerveau non binaire m’empêche peut-être de saisir pourquoi ce que l’on possède entre les jambes doit définir la façon dont on nous éduque, dont on attend que l’on se comporte, et dont on s’adresse à nous.

La biologie n’est pas si conservatrice

Malgré la faiblesse de cet argumentaire, c’est à ses fondations mêmes que je me suis attaqué dans le livre Déconstruire les différences de sexe. Le sexe et le genre à l'épreuve de la méthode scientifique (aux éditions Double Ponctuation), démontrant (avec toutes les précautions méthodologiques dont je suis à ce jour capable) que ces différences biologiques sont aussi, au moins en partie, construites par des mécanismes sociaux de genre

Parce que la biologie n’est pas seulement "innée", elle est aussi largement "acquise". Et par "acquise" on entend : construite par ce à quoi on est exposé·e, par ce que l’on éprouve et traverse. Or, ce label qui nous est précocement et constamment assigné est un déterminant majeur de ces expériences. "En moyenne", nous n’avons pas les mêmes vies. Donc, "en moyenne", nous ne construisons pas les mêmes biologies acquises, indépendamment et en interaction avec nos biologies innées. 

C’est donc bien sur un colosse aux pieds d’argile – fluides et modelables – que reposent les thèses naturalistes. Car la biologie est bien, elle, toute prête à changer, évoluer, s’adapter à toute alternative que l’on aurait à lui proposer.

Système de genre et dimorphisme sexuel peuvent coexister

J’ai lu que le "sexe" serait partout, inscrit dans chacune de nos cellules, inaltérable, et que ce serait l’ignorer ou le nier qui créerait des injustices. C’est vrai. Invisibiliser les différences entre les catégories de sexe peut créer des inégalités de santé. 

Cependant, démontrer que ces différences sont au moins en partie causées par des différences socio-comportementales créées par le système de genre n’invalide pas ni l’existence de ces différences (et de leur potentielle pertinence clinique), ni l’existence d’un dimorphisme sexuel au sein de l’espèce humaine contemporaine. Ces deux mécanismes, sexués et genrés, ne s’excluent pas l’un l’autre. Finalement, il s’agit plus ici d’un choix de focale que d’autre chose. On sort de l’aspect technique de la production de la connaissance pour décider : quel type de connaissance veut-on/doit-on produire ?

Expliciter les enjeux de la production de connaissance

Si l’on observe, par exemple, des troubles anxieux plus fréquents chez les "filles" que chez les "garçons" parmi des élèves de 5e, on pourrait choisir de l’expliquer par une puberté en moyenne plus précoce et caractérisée par la contrainte des menstruations, pouvant créer une anxiété chez les un·es que les autres ne peuvent pas connaitre. Cela ne serait pas faux.

On pourrait au contraire pointer le poids social du tabou des menstruations, soumettant une partie de ces enfants à une expérience solitaire et secrète dans un environnement indifférent et non adapté à cette réalité vécue par pourtant la moitié des élèves. Comme le montre bien cet exemple, c’est un choix et non un fait scientifique que de s’attacher à une explication déterministe et fataliste ou à des causes "sociales" sur lesquels on pourrait avoir prise.

Dans ma pratique, j’ai lu beaucoup d’articles, rapports, dissertations de recherche biomédicale qui négligeaient les causes socio-comportementales – alors que rarement, dans ces mêmes écrits, étaient oubliés les potentiels mécanismes génétiques/ hormonaux/ sexuées. La démarche de "déconstruction du biologique" est donc bien à mon sens celle qui aura le plus d’impact dans la recherche biomédicale pour lutter contre les biais de genre qui créent des inégalités en santé. 

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>> Déconstruire les différences de sexe. Le sexe et le genre à l’épreuve de la méthode scientifique, publié aux éditions Double Ponctuation, décortique le sexe et le genre tels qu’ils sont mobilisés dans les sciences biomédicales, notamment en épidémiologie, révélant l’intrication dynamique et complexe du social et du biologique.

>> H. Colineaux est médecin de santé publique et docteur en Épidémiologie. Après un passage à l’INSERM à Toulouse, ses recherches se poursuivent actuellement à l’Imperial College de Londres. Son expertise consiste à mettre en lien des concepts issus des sciences humaines et sociales et des méthodes statistiques avancées, pour saisir la complexité de l’espace social (en particulier du genre) et son impact sur la biologie et la santé des populations humaines.