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familles"Le congé parental n'est pas qu'une question de droits LGBT+"

Par Timothée de Rauglaudre le 24/06/2020
congé

Parce qu’il a eu ses enfants avec son mari, Grégory Merly-Sobovitz, 36 ans, s’est retrouvé discriminé par son employeur au moment de prendre son congé paternité. Il défend aujourd’hui l’idée d’un congé parental égalitaire qui profiterait non seulement aux familles homoparentales mais favoriserait aussi l’égalité entre les femmes et les hommes.

J’ai rencontré mon mari il y a huit ans. À l’époque, l’homoparentalité n’était presque pas un sujet en France. Parce que j’étais trop jeune ou pas assez renseigné, j’avais déjà fait le deuil de pouvoir devenir parent un jour. J’ai rencontré Dan, qui allait devenir mon mari. Il est israélien, là-bas la GPA n’est pas autorisée mais le processus de reconnaissance de la double filiation était déjà possible, ce qui a ouvert la voie à beaucoup de familles LGBT+. Il avait beaucoup d’amis gays de notre âge qui avaient déjà des enfants.

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À partir du moment où j’ai compris que c’était possible grâce à lui et à l’exemple israélien, pour moi cela s’est imposé comme une évidence que j’avais toujours voulu une famille avec enfants. Nous avons mis plusieurs années à nous décider sur la façon dont nous voulions avoir des enfants. Nous avons écarté très vite la coparentalité parce que nous voulions avoir une cellule familiale où nous étions tous les deux décisionnaires sur l’éducation des enfants. Pour l’adoption, les temps d’attente auraient été trop longs et il nous a semblé que les administrations étaient discriminantes lorsque des couples gays souhaitaient adopter.

« Nous ne rentrions pas dans les cases »

Nous avons décidé de faire une GPA aux États-Unis, où c’est légal et où le processus est extrêmement encadré. Nous avons mis un point d’honneur à nous assurer qu’à chaque seconde du processus toutes les personnes qui ont fait partie de l’aventure étaient consentantes et le faisaient pour de bonnes raisons. Nous avons aujourd’hui deux petits garçons qui ont eu un an la semaine dernière et qui sont le fruit d’une double insémination : l’un est lié génétiquement au premier papa, le deuxième au second papa.

Très tôt dans le processus, quand notre mère porteuse était enceinte du deuxième mois, j’ai tenu à informer mon administration au Parlement européen, où je travaillais, que j’allais devenir papa. Je n’arrivais pas à me situer dans le règlement intérieur, je voyais bien que nous ne rentrions pas dans les cases. Des congés maternité et paternité étaient prévus. Dans notre cas, cela correspondait davantage à un congé paternité mais, sans congé maternité dans notre couple, le temps de congé prévu était beaucoup trop court.

Refus catégorique

D'après les règles des ressources humaines, nous aurions donc dû avoir dix jours chacun pour notre enfant biologique, c'est tout. En France, chez les couples hétérosexuels, la femme reçoit un congé long de sept semaines et l’homme a onze jours. Il y a au moins une présence à la maison dans la durée qui doit servir l’intérêt de l’enfant. Dans notre cas, il n'était prévu de congé long pour aucun des deux parents. Nos deux employeurs ont commencé par dire non. J’ai demandé à l’administration du Parlement européen s’il y avait une disposition qui prévoyait qu’un couple de papa puisse bénéficier d’un temps de congé supérieur au congé paternité, de façon à avoir assez de temps pour accueillir nos enfants. J’ai reçu un refus catégorique.

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Ils m’ont expliqué la règle qui s’appliquerait : je recevrais dix jours pour mon enfant biologique, zéro pour mon enfant non biologique, sauf si j’entrais dans un processus d’adoption - ce qui prend du temps. J’ai trouvé leur réponse désarmante et inique. Mon mari, qui travaillait à la Commission européenne, s’est battu jusqu'à obtenir un congé spécial ad hoc équivalent à un congé maternité, d’une durée de 24 semaines. Je ne comprenais pas pourquoi deux administrations en tout point similaires arrivaient à interpréter le règlement intérieur de façon différente et au cas par cas.

Rupture d’égalité

J’ai contesté la décision de l’administration du Parlement européen d’abord en interne. Ils ont mis quatre mois à me répondre. Un mois avant la naissance de mes enfants, je ne savais toujours pas quel sort mon administration me réservait. Le jour où ils ont statué sur mon recours interne, ils m’ont donné la décision finale selon laquelle je n’aurais que dix jours pour mes deux enfants. J’avais diffusé mon histoire autour de moi et j’ai eu la chance que le cabinet d’avocats Freshfields me propose de façon bénévole de porter mon préjudice devant la Cour de justice de l’Union européenne. Je n’avais pas l’argent pour engager une procédure longue et difficile.

Nous avons déposé une plainte pour rupture d’égalité à plusieurs niveaux : dans l’absence d’égalité de traitement entre mon mari et moi alors que nous avions des situations similaires, dans mon traitement personnel, par rapport à n’importe quel couple hétéro qui aurait eu des jumeaux, et sur le fait que mon enfant non biologique n’avait pas été pris en compte dans la décision du Parlement européen. Ma plainte a été jugée irrecevable parce que j’avais attaqué une décision spéculative, très en amont de la naissance de mes enfants, et non la décision effective qui a été rendue après la naissance.

Congé global

Cet événement a eu des implications sur ma vie. J’ai quitté le Parlement européen, je me suis mis en freelance pour pouvoir m’occuper de mes enfants. C’est toujours douloureux quand on a l’impression de poursuivre une cause juste et qu’on perd. Pour moi, c’est devenu une question intéressante au-delà de mon cas personnel. Il faudrait avoir un congé global qui soit équivalent aux couples hétéros, répartis entre les deux selon leur bon vouloir.

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J’ai cru que c’était un combat pour les droits LGBT+, en fait je me suis aperçu que c’était un combat pour l’égalité femmes-hommes. On a mis le doigt sur une mécanique qui a toujours desservi les femmes et les hommes. S’il y avait une répartition plus égalitaire du congé entre les femmes et hommes, ça permettrait de moins discriminer les femmes à l’embauche. Tout en gardant un minimum insécable pour les femmes : on ne va pas créer un nouveau rapport de force qui va la desservir au moment de définir ses congés. Quant aux hommes, la plupart vivent comme une violence le fait de ne pas passer plus de temps avec leur bébé.

Intérêt de l’enfant

En France, Marlène Schiappa veut allonger la durée du congé paternité et la porter à un mois, les députés du groupe Gauche démocrate et républicain à 21 jours. Je trouve que c’est une mauvaise façon d’aborder le problème. Soit il y aura une surenchère, soit une approche comptable de la chose où l’État va évaluer combien ça va lui coûter. Il faut garder en tête que la France est assez en retard par rapport à certains de ses voisins : le congé paternité est de huit semaines en Espagne et même de sept mois en Finlande !

Un congé global serait au bénéfice des couples hétéros qui pourraient résoudre une partie des problèmes d’égalité femmes-hommes, des couples homos qui ne seraient pas discriminés mais aussi des familles monoparentales. C’est l’intérêt de l’enfant qui devrait guider ce type de décision. Et l’intérêt de l’enfant, c’est que les parents soient présents le plus longtemps possible à ses côtés. L’histoire est ironique : une partie de la société a tout fait pour que les homos n’aient jamais d’enfants, mais nous ne sommes pas rancuniers, nous voulons faire bénéficier toute la société de nos revendications.

 

Crédit photo : Grégory Merly-Sobovitz