Torturé pour avoir couvert un défilé queer en Russie

Par Julie Baret le 14/12/2016
Russie manifestation LGBT

Dimanche, le photojournaliste David Frenkel a été violenté dans un commissariat de Saint-Pétersbourg car il refusait de donner des informations sur une manifestation LGBT. Les ONG de défense des Droits de l'Homme ont demandé l'ouverture d'une enquête.

C'est une image particulièrement rare dans les rues de Saint-Pétersbourg. Dimanche, des rainbow flags flamboyants étaient soulevés par des activistes déterminés sur la perspective Nevski, principale avenue de la ville, jusqu'au célèbre jardin de Catherine situé face au château du même nom. La manifestation est bien entendue illégale ; la Russie de Vladimir Poutine a banni toute représentation publique de la culture gay depuis 2013. Malgré la grisaille et leur petit nombre, les activistes ont le sourire. David Frenkel capture l'événement. Lui n'est pas militant mais photojournaliste, et il a fait de la désobéissance civile son sujet de prédilection. Mais alors qu'elle a rangé ses drapeaux et ses pancartes, la petite troupe tombe nez à nez avec une manifestation - légale cette fois-ci - organisée par le NOD ou Mouvement de Libération Populaire. Très actif contre les minorités, le groupuscule revendique plus de 160.000 membres en Russie. Les deux groupes commencent à s'écharper et un militant d'extrême droite attaque David.

J'ai demandé aux policiers qui se tenaient à côté de faire quelque chose contre mon agresseur. Ils ont refusé de prendre ma plainte. Alors j'ai appelé une patrouille pour qu'elle vienne. Ils sont arrivés très vite, mais ils ont également refusé d'arrêter l'assaillant ou même de vérifier ses papiers. Au lieu de ça, ils ont vérifié les miens. (...) Puis la police est venue à moi pour me dire qu'une des adhérentes du NOD avait porté plainte contre moi pour avoir interrompu leur manifestation. J'ai été emmené au poste.

Russie manifestation LGBT
© David Frenkel/Facebook

"J'ai refusé de répondre à leurs questions sur le défilé LGBT"

Au commissariat municipal n°78, David Frenkel doit à la fois répondre de ces accusations et enregistrer sa propre déposition. Le soir-même, il relate sur Facebook son passage au poste prouvant qu'en Russie, les exactions commises contre les homosexuels ne s'arrêtent pas aux portes de la communauté LGBT...

Au début, tout allait bien, mais ils continuaient de me poser des questions à propos du défilé LGBT. Comment j'en avais entendu parler ? Comment j'avais rencontré les manifestants ? Où allaient-ils ensuite ? J'ai refusé de répondre à ces questions. Les policiers m'ont demandé si j'avais toute ma tête.

Au fil de l'interrogatoire, la police aurait même menacé d'envoyer une aide psychiatrique d'urgence pour vérifier l'état mental de David, puis aurait finit par le laisser attendre.

Soudain, une équipe médicale est arrivée. Ils ont voulu s'emparer de mes papiers. Quand j'ai protesté ils m'ont demandé de changer de chaise. J'étais dans le champs de la caméra de surveillance alors, pour ma propre sécurité, je leur ai expliqué que je ne voulais pas changer de place. Ils ont essayé de me déplacer par la force. Quand j'ai résisté, un médecin a tenté de m'étrangler pendant que deux aides-soignants m'ont tordu les doigts et ont essayé de m'attacher avec une sangle.

L'ONG "Public Monitoring Commitee" basé à Saint-Pétersbourg a depuis eu accès à l'enregistrement vidéo du poste de police prouvant à la fois l'agression du personnel médical et l'inaction des policiers.

Pendant tout ce temps, je n'ai pas cessé de hurler et d'appeler à l'aide, mais les policiers ne faisaient que rire et filmer l'incident. Les aide-soignants murmuraient qu'ils allaient "m'enculer" et me "frapper les couilles". Comme les militants d'extrême droite, ils ont rigolé du fait que je sois juif.

Au même moment, le père de David attend à l'accueil du poste de police.

Le commandant de police essayait de persuader mon père que j'étais un "garçon difficile". Il l'a interrogé sur des bagarres, l'alcool et les drogues. (...) Plus tard, le médecin a dit à mon père que si je n'avais pas été emmené à l'asile, c'est parce que lui, mon père, s'était rendu au commissariat.

Russie manifestation LGBT
© David Frenkel/Facebook

L'ouverture d'une enquête pour torture et mauvais traitements

Après une demi-heure d'"entretien" avec les médecins, David Frenkel est finalement relâché, et les charges contre lui abandonnées. Aux urgences, le journaliste fait constater et photographier ses blessures : des ecchymoses sur le cou et les bras, des éraflures sur les mains. Publié sur sa page Facebook et traduit par The Russian Reader, son témoignage est largement relayé par les médias et les associations de défense des Droits de l'Homme montent au créneau.
"La violence contre David Frenkel est un exemple frappant de la complicité de la police russe dans les actes de torture et d'abus effroyables réalisés par le personnel médical" dénonce la Fédération internationale des droits de l'Homme. L'Le courrier de Russie.
"Tel est le travail d'un journaliste" concluait David Frenkel dimanche soir à minuit. Il a publié ses photographies de la Marche LGBT quelques heures plus tard.
 
Couverture : © David Frenkel/Facebook