cinéma"Toutes les couleurs du monde" : un arc-en-ciel au Nigeria

Par Florian Ques le 07/05/2024
"Toutes les couleurs du monde" au cinéma.

[Article à lire dans le magazine têtu· du printemps] Avec Toutes les couleurs du monde, Babatunde Apalowo a souhaité raconter une histoire d'amour gay au Nigeria, où sévit une loi punissant l'homosexualité de quatorze ans de prison.

Bambino, un chauffeur-livreur sans histoires résidant à Lagos, la capitale économique du Nigeria, rencontre Bawa, un photographe bourré de charme qui le fait chavirer. En osant raconter une histoire d’amour gay, le réalisateur Babatunde Apalowo savait que son film, Toutes les couleurs du monde, ne serait pas diffusé dans son pays. L’industrie cinématographique locale n’a jamais accepté d’autres représentations LGBTQI+ que négatives ou ridiculisantes. Rien de bien étonnant dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, le plus peuplé du continent, où l’homosexualité est passible de quatorze ans de prison au niveau fédéral, voire de coups de fouet ou de lapidation dans les États où la charia fait loi. Comme le très lesbien Ìfé en 2020, Toutes les couleurs du monde a été critiqué au Nigeria mais salué à l’étranger : le festival de cinéma queer Chéries-Chéris lui a ainsi décerné le Prix du jury.

  • Qu’est-ce qui a inspiré ce film ?

Babatunde Apalowo : Je travaillais sur un scénario avec un photographe qui explore Lagos sur les traces de ses défunts parents. Mais tout a changé lorsque j’ai repris contact avec un ami d’université : il m’a appris que mon ancien compagnon de dortoir avait été lynché à cause de son homosexualité. Ça a changé ma vision du monde et surtout de ma ville. Avant, je voyais Lagos comme vibrante et pleine de possibilités. J’ai réalisé que c’était aussi un endroit hostile pour celles et ceux qui ne rentraient pas dans la norme.

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  • Quels obstacles avez-vous dû surmonter pour le réaliser ?

Mon plus gros défi a été de trouver les deux acteurs capables d’endosser les rôles de Bawa et Bambino. J’ai dû essuyer beaucoup de refus : ils étaient nombreux à craindre que ce projet n’affecte leur carrière.

  • L’homophobie d’État a-t-elle eu un impact sur le tournage ?

Dès le début, j’avais conscience que le film ne serait pas montré dans les salles de cinéma nigérianes, ce qui m’a apporté une forme d’indépendance par rapport aux critères habituels de censure. J’ai quand même décidé de me focaliser sur le côté émotionnel des personnages plutôt que de montrer explicitement une intimité physique.

  • Même s’il n’est pas diffusé au Nigeria, y a-t-il eu là-bas des réactions après sa sortie ?

On spécule beaucoup sur mon orientation sexuelle : les gens essaient d’interpréter mes faits et gestes. Mais je m’y étais préparé.

  • Vous êtes en réalité hétéro, comment vous êtes-vous emparé de cette histoire d’amour gay ?

J’ai surtout échangé avec des amis de la communauté qui ont bien voulu partager avec moi leurs expériences. Mais mon but principal était de raconter une simple histoire d’amour entre deux personnes, en évitant tout stéréotype. J’ai d’ailleurs mis beaucoup de mon propre vécu dans l’histoire de Bambino et Bawa. J’ai moi aussi aimé quelqu’un avec qui je ne pouvais pas être, et c’est vraiment ça le cœur du film à mes yeux.

>> Toutes les couleurs du monde, de Babatunde Apalowo. En salles le mercredi 8 mai.

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Crédit : Optimale Distribution

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