Le Conseil d'État a rendu public, ce mercredi 11 juillet 2018, son rapport concernant la révision des lois de bioéthique. Ouverture de la PMA à toutes les femmes, filiation, GPA, enfants intersexes... Les dossiers brûlants sont nombreux. L'éclairage apporté par les sages était donc très attendu par le gouvernement, mais également par les associations LGBT+. Têtu vous résume en six points clés les propositions faites par la plus haute juridiction administrative française.
Le Conseil d'État a enfin rendu son rapport sur la révision des lois de bioéthique, ce mercredi 11 juillet 2018. Des propositions très attendues, notamment celles sur l'ouverture de la PMA à toutes les femmes. Le pouvoir exécutif tranchera in fine dans son projet de révision des lois de bioéthique, prévu pour cet automne. Tels de véritables équilibristes, les sages ont commencé par rappeler leur rôle, avant tout consultatif :
« Indiquer les écueils juridiques, contrôler la hiérarchie des normes, garantir leur cohérence, s’interroger en termes de bonne administration mais non d’opportunité ; éclairer le débat sans le préempter, au service du législateur et de nos concitoyens. »
Tour d'horizon des six points clés du rapport relevés par Têtu, notamment concernant la PMA pour toutes. Spoiler : le Conseil d'État ne voit aucun obstacle juridique à la légalisation de la PMA pour toutes.
1. Une porte ouverte à la PMA pour toutes
Aucune position explicite du Conseil d'État ne ressort à la lecture du rapport. Les sages ont renvoyé dos à dos les arguments juridiques brandis par les partisans et les opposants à l'ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Très prudent, il affirme ainsi :
« L’étude relève, à rebours des arguments souvent avancés sur le sujet, que le droit, y compris issu des engagements internationaux de la France, ne commande ni le statu quo ni l’évolution. »
Avant d'ouvrir finalement la voie à une possible légalisation, n'y voyant « aucun obstacle juridique » :
« Aucun obstacle juridique n’interdit d’ouvrir l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules. Et rien ne s’oppose à faire une éventuelle distinction entre ces deux publics. (...) Symétriquement, le Conseil d'État considère que rien n'impose de maintenir les conditions actuelles d'accès à l'AMP (Assistance médicale à la procréation, ndlr) . »
Principe d'égalité, liberté de procréer, ou encore intérêt de l'enfant... Les arguments juridiques pro et anti-PMA pour toutes ont consciencieusement été écartés un à un. Certains plus abruptement que d'autres... C'est notamment le cas de la notion d'intérêt « supérieur » de l'enfant, jugée trop « incertaine» et « controversée ». Enfin, la juridiction administrative précise avoir fait état d'une demande sociétale sur la PMA pour toutes d'une « intensité plus forte » depuis la loi Taubira.
2. Une double filiation maternelle pour les couples de femmes
Même s'il ne se prononce pas clairement pour ou contre l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, le Conseil d'Etat a étudié les différents scénarios si cela advenait. En cas de légalisation se posera par exemple la question de la filiation. Pour rappel, aujourd'hui, lorsqu'un couple lesbien réalise une PMA à l'étranger, la mère biologique est la seule reconnue. Il est donc obligatoire pour les conjointes d'être mariées, pour que la mère qui n'a pas porté l'enfant (la « mère d'intention ») puisse adopter l'enfant de sa conjointe.
Le sages innovent en proposant une double filiation, un mécanisme réservé aux couples de femmes grâce auquel les deux conjointes devraient être reconnues comme mères sans avoir forcément à se marier. Il faudrait, au moment de la déclaration de naissance, transmettre à l'officier d'état civil une « déclaration commune anticipée notariée », afin « d'établir simultanément la filiation à l'égard des deux membres du couple ». Une option largement plébiscitée par le Conseil d'Etat :
« Cette option permet un établissement simple et simultané des deux filiations maternelles de l’enfant à la naissance de ce dernier, qui apparaît sécurisé par l’exigence d’un projet parental antérieur à l’AMP, revêtant la forme d’un acte authentique. »
Une solution qui conduirait « pour la première fois en droit français, à dissocier radicalement les fondements biologique et juridique de la filiation d'origine », écrit la plus haute juridiction administrative.
3. Une prise en charge de la PMA par la Sécurité sociale
Dans le cas de l'ouverture de la PMA aux couples de femmes, le Conseil d'État exclue formellement « d’établir un régime différent de prise en charge au regard de la seule orientation sexuelle ». La PMA serait donc prise en charge par la Sécurité sociale pour les couples lesbiens et les femmes seules, au même titre que pour les couples hétérosexuels infertiles. Les sages évoquent par ailleurs, un « enjeu financier modeste » pour les finances publiques.
4. Le don de gamètes doit rester anonyme, mais...
Concernant « l'anonymat absolu, inconditionnel et irréversible » du don de gamètes, l'institution essaye, là encore, de trouver un juste équilibre. L'évolution envisagée serait d'instituer « la possibilité pour les enfants d'accéder à leurs origines biologiques à leur majorité, avec l'accord du donneur ».
« Il apparaît que l’application rigide du principe d’anonymat, si elle protège le donneur et les familles, est susceptible, à long terme, d’avoir des effets préjudiciables pour certains enfants, qui ont le sentiment d’être privés d’une dimension de leur propre histoire. »
5. La GPA « contraire aux principes bioéthiques français »
La Gestation pour autrui (GPA) est aujourd'hui interdite sur le sol français par « un dispositif répressif complet » et doit le rester, estime le Conseil d’État. Elle est jugée contraire au principe d'indisponibilité du corps humain, qui interdit de disposer d’éléments de son propre corps ou de ses facultés de reproduction, en dehors du don anonyme et gratuit de gamètes ou d’organes.
Par ailleurs, les sages rappellent la nécessité d'arrêter de lier PMA et GPA, argument invoqué par les anti-PMA.
« Contrairement aux arguments souvent avancés, l’étude relève par ailleurs que l’ouverture de l’AMP serait sans incidence sur la légalité de la gestation pour autrui : d’une part, le principe d’égalité ne trouve pas à s’appliquer car il n’existe pas de droit à l’enfant. D’autre part, la gestation pour autrui se heurte à des objections spécifiques déjà évoquées. »
Un dernier point qu'avait déjà soulevé l'association des journalistes LGBT+ (AJL). Dans un kit à l'usage des rédactions, elle mettait en avant les confusions faites entre PMA et GPA dans les médias.
6. Enfants intersexes : des recommandations historiques
L'institution s'est également penchée sur les enfants présentant des « anomalies du développement génital, pour des raisons chromosomiques ou anatomiques ». Lorsqu'un doute existe, le Conseil recommande la possibilité de repousser à plus tard la mention du sexe à l'état civil (qui doit actuellement être faite dans les cinq jours après l'accouchement). Sauf en cas d'urgence, le Conseil d'État estime également qu'il faut éviter d'opérer ces enfants lorsqu'ils sont nourrissons et juge préférable d'attendre qu'ils soient en âge de participer à la décision. « Un consentement éclairé » demandé soit aux représentants de l'autorité parentale, soit au mineur, pour réaliser un acte médical « ayant pour seule finalité de conformer l’apparence esthétique des organes génitaux aux représentations du masculin et du féminin afin de favoriser le développement psychologique et social de l’enfant », concluent les sages.
Des recommandations préconisées par le Collectif tntersexes et allié.e.s dans un communiqué publié en janvier 2018.
Des recommandations préconisées par le Collectif tntersexes et allié.e.s dans un communiqué publié en janvier 2018.
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