Dans son rapport rendu public le mercredi 11 juillet 2018, le Conseil d'État s'est penché sur la situation des enfants intersexes. Repousser à plus tard la mention du sexe à l'état civil, éviter les opérations sur les nourrissons... autant de recommandations émises pour la première fois par l'institution. Un rapport à forte portée symbolique selon le Collectif Intersexe et Allié.e.s, qui déplore néanmoins un texte trop pauvre en propositions concrètes.
C'est une première. Les sages du Palais Royal se sont penchés sur la « prise en charge médicale des enfants présentant des variations du développement génital », autrement dit, les enfants intersexes. Le Conseil d'État, doté d'un rôle purement consultatif, s'est fendu de plusieurs recommandations, que le gouvernement devrait lire avec attention.
Les associations de personnes intersexes et notamment le Collectif Intersexes et Allié.e.s (C.I.A) ont salué, dans un communiqué publié sur leur site le lundi 16 juillet 2018, ce rapport à forte portée symbolique.
Communiqué du Collectif Intersexes et Allié.e.s : Rapport bioéthique du Conseil dâEtat : des positionnements forts en faveur des droits intersexes ! https://t.co/1GiLMQy1J0
— Collectif Intersexes et Allié.e.s (@IntersEtAllieEs) July 16, 2018
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Contactée par TÊTU, Gabrielle, membre du C.I.A, résume :
« C'est en fait l'ensemble du travail d'interpellation de ces 5 dernières années menées par les associations et collectifs, qui se retrouve inscrit nettement dans un rapport, censé orienter la politique gouvernementale. Pour nous ce sont des positionnements forts, mais dans la pratique, il manque encore beaucoup de choses. »
Une approche pathologisante
Actuellement, lorsqu'un enfant nait et qu'un doute survient sur son sexe, la famille dispose de cinq jours pour choisir la mention de son sexe à l'état civil. Un délai beaucoup trop court, largement critiqué par les associations de personnes intersexes et ce, depuis de nombreuses années.
Dans son rapport, le Conseil d'État recommande la possibilité de repousser ce choix à plus tard sans donner plus de précisions. Une mesure qui « témoigne d’un besoin de temporiser afin d’accueillir plus sereinement la naissance de l’enfant », explique Gabrielle qui déplore un manque de précision sur ces délais.
Alors que les personnes concernées utilisent le mot « intersexe », le Conseil d'État privilégie, lui, la formule « variations du développement génital », un terme utilisé uniquement par le corps médical. Les militants soulignent également qu'en s'adressant au corps médical, on ne s'adresse pas aux personnes concernées et la prise en charge s'en trouve dégradée.
Les sages ne semblent pas non plus revenir sur le « besoin assumé d'assignation », autrement dit l'obligation légale de donner un sexe au nourrisson, une grave erreur selon cette militante : « Cela reste un drame, une urgence médicale qu'on essaye de contrôler. Il faut simplement présenter ça comme une variation du vivant, sortir de l'urgence médicale et arrêter toute forme de pathologisation. »
Réaffirmation des droits de l'homme
Le signal fort envoyé par l'institution du Palais-Royal, c'est la recommandation d'éviter d’opérer ces enfants lorsqu’ils sont nourrissons, afin d’attendre qu’ils soient en âge de participer à la décision. « Un consentement éclairé » serait alors demandé, soit aux représentants de l’autorité parentale, soit au mineur. L'acte médical aurait « pour seule finalité, de conformer l’apparence esthétique des organes génitaux aux représentations du masculin et du féminin, afin de favoriser le développement psychologique et social de l’enfant », concluent les sages.
Une réaffirmation des droits de l'Homme selon Gabrielle : « On est pour les opérations, si elles sont consenties. Le Conseil d'État confirme que ce ne sont que des opérations esthétique, faites pour conformer à une apparence : celle du masculin ou du féminin. En préconisant d'attendre le consentement éclairé, les sages réaffirment notre droit à l'autodétermination. »
Prendre en compte la parole des personnes concernées
Pour l'enseignant-chercheur et juriste, Benjamin Moron-Puech, il s'agit d'un « rapport rigoureux dans son raisonnement juridique », mais il constate « un biais habituel » en ce qui concerne la formulation : « la prévalence du discours médical sur le discours des personnes concernées ». Gabrielle est, quant à elle, plus catégorique :
« Il y a une véritable absence des associations de personnes concernées dans la prise en charge. Pour dépathologiser il faudrait banaliser et incarner la chose. Nous militons pour que les parents d'enfants intersexués puissent rencontrer d'autres parents, que les enfants puissent se rencontrer entre eux. Cela évitera aux familles d'avoir l'impression d'êtres seules avec un terrible secret. »
Selon plusieurs études universitaires il y aurait entre 1,7% et 4% de personnes intersexes en France. Un pays jugé encore trop à la traine par les associations. Benjamin Moron-Puech précise:
« Le droit français est globalement très protecteur, mais il n'est pas appliqué. Les personnes intersexuées sont protégées par des normes générales, qui leur sont difficilement applicables ».
L'idée que forcer des personnes à rentrer dans la binarité sans leur consentement, représente une atteinte à la vie privée fait son chemin. De même qu'opérer des enfants sans aucune nécessité médicale et sans leur demander leur avis, serait une violence mutilante. Les associations de personnes intersexes refusent d'être considérées uniquement comme des cas médicaux.
Crédit Photo : Existrans 2017.