L’ex-leader des Scissor Sisters revient avec un premier album solo glam rock et cuivré. Hormis quelques collaborations - avec Kylie Minogue ou les rockeurs de Queens Of The Stone Age - Jake Shears était resté discret depuis la séparation de son groupe, en 2013. Un long silence qu’il explique à TÊTU.
Dans le combiné souffle un vent à décorner un cocu. Jake Shears nous appelle d’Edimbourg, en Écosse, où il s’apprête à participer à un show pour une radio britannique. Avant d’entamer l’interview, il met un point d’honneur à prendre de nos nouvelles. Depuis des années, TÊTU entretient une belle relation avec l'Américain. L’ex-chanteur des Scissor Sisters a même fait la couverture du magazine, en 2010, à la sortie de l’album « Night Work ». Un disque devenu mythique.
Depuis, Shears (de son vrai nom Jason Sellards) a traversé plusieurs zones de turbulences : deux ruptures (l’une avec son groupe, l’autre avec l'homme qui a pendant longtemps partagé sa vie), une dépression doublée d’une crise artistique... avant de reprendre pied et de se construire une nouvelle vie en Louisiane, à La Nouvelle-Orléans.
Après un passage remarqué à Broadway dans la comédie musicale de Cindy Lauper « Kinky Boots », le chanteur de 39 ans revient avec un album premier solo glam' et sans compromis, sobrement intitulé « Jake Shears ». L'occasion de discuter avec l'un des performers les plus flamboyants de sa génération.
Cela fait bien trop longtemps qu’on n’avait pas eu de nouvelles de ta part. Depuis la séparation des Scissor Sisters. Que s’est-il passé dans ta vie depuis tout ce temps ?
Jake Shears : Il s’est écoulé six ans depuis le dernier album des Scissor Sisters et un an après, on s’est séparé. J’ai quitté New York pour m’installer à Los Angeles. Ça m’a pris quelques années pour savoir ce que je voulais faire de ma vie et de ma carrière. Sans le groupe, j'étais perdu. Je ne savais ce que je voulais faire. Même si j’ai toujours continué à écrire et composer. J’ai lancé plusieurs projets mais rien n’est concrétisé. La seule chose qui m’importait, c’était d’être heureux dans la vie. Alors j’ai pris de grandes décisions : j’ai rompu avec mon copain (le réalisateur Chris Moukarbel), j’ai déménagé à la Nouvelle-Orléans… Tout ça m’a pris du temps. Puis j’ai commencé à ressembler quelques idées en me disant: « Ok. Quelle est la prochaine étape ? Qu’est-ce que je dois faire ? ». C’était il y a trois ans. Je me suis mis à travailler sur un livre et sur ce nouvel album, que j’ai achevé il y a un an exactement. Entre temps, on m’a appelé pour jouer dans "Kinky Boots", la comédie musicale. Du coup, j’ai mis la sortie de l’album sur pause. Après Broadway, j’ai sorti le livre et maintenant je sors l’album, tout s’enclenche enfin.
« Ça m’a pris quelques années pour savoir ce que je voulais faire de ma vie et de ma carrière. Sans le groupe, j'étais perdu. Je ne savais ce que je voulais faire... »
Il faut qu’on parle de ce nouveau single : « Big Bushy Moustache ». C'est une ode à la pilosité que tu arbores désormais sous le nez ?
(Rires) Oui ! J’essaie de la raser dès que j’en ai l’occasion mais je ne peux décemment pas chanter cette chanson sur scène sans porter de moustache ! Du coup, je suis coincé avec pour un bon bout de temps ! Mais c’est cool, je l’aime bien ! Il faut juste que je fasse gaffe à ne pas la laisser devenir totalement hors de contrôle. Sinon ça devient carrément sauvage ! On m’a filmé pendant l’enregistrement de l’album et je t’assure : j’ai l’air d’un pervers terminal ! Mais je crois que je suis en train de lancer une mode : en concert, les mecs débarquent avec d’énormes moustaches ! J’adore ça ! Je trouve ça très sexy !
Il y a une chanson particulièrement réussie sur ce disque : « Good Friends ». C’est une chanson sur l’amitié LGBT, non ?
Je dirais à toutes les amitiés ! Quand je suis arrivé à la Nouvelle-Orléans, j’étais littéralement seul au monde. J’étais soutenu par mes amis de Los Angeles ou de New York. Mais il fallait que je me fasse de nouveaux amis en Louisiane ! Et honnêtement, toute la ville m’a adopté. Je me suis fait des potes géniaux là-bas qui m’ont accepté dans leur vie. Et il y a un bar gay dans le quartier français qui s’appelle « Good Friends » (« Les Bons Amis »). C’est un de mes endroits préférés. Et je traînais souvent là-bas. « Good Friends », c’est un hommage à mes potes et à ce bar gay où je passe beaucoup trop de temps (rires). Je voulais vraiment ouvrir l’album avec cette chanson. Mes amis, m’ont tellement aidé à reprendre le dessus dans ma vie !
C’est aussi un hommage à David Bowie. A commencer par ce solo de cuivre qui rappelle furieusement le sax de « Young Americans »…
Ça me fait tellement plaisir que tu le remarques ! C’est la section cuivre de Sturgill Simpson qu’on entend sur ce titre. Tout l’album a été enregistré live, on a juste ajouté les cordes et les cuivres. Si tu écoutes attentivement, je fais des tas de références à Bowie dans cette chanson !
Pareil sur le titre « The Bruiser ». On peut entendre la même boîte à rythme que sur le « Nightclubbing » d’Iggy Pop…
Exactement ! J’ai écrit celle-ci avec Babbydaddy (Scott Hoffman, l'ex-guitariste et co-fondateur des Scissor Sisters). Josh Homme des Queens of the Stone Age est un super copain à moi. Il venait de produire l’album d’Iggy Pop, « Post Pop Depression ». J’avais Iggy dans un coin de ma tête. Je me suis dit que ça serait cool d’écrire une toute nouvelle chanson à partir du beat de « Nightclubbing ». La chanson est une sorte de petite fiction. Ça parle d’un tueur… (Il rigole) J’adore les films d’horreur. C’est drôle d’avoir écrit cette chanson avec Babydaddy car ce n'est pas du tout le genre de choses qu’on aurait composé pour les Scissor Sisters. C'est plus rock. Plus expérimental.
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Tu viens de nous dire que tu avais rompu avec ton compagnon de longue date. Je me dis que « Everything I Ever Need » est sûrement une chanson qui parle de lui…
Eh bien… Oui. Quand Lance Horne (l'arrangeur de l’album) et moi avons commencé à travailler sur l’album, je répétais souvent que je voulais un album avec des rebondissements, des virages... Un disque qui raconterait une grande histoire. Cette chanson est née au piano. C’est sûrement la chanson la plus émouvante sur l’album. J’allais pas bien du tout quand je l’ai écrite. J’avais très mal. Avec le recul, je me dis que j’étais en pleine dépression. Je pensais avoir la force de surmonter tout ça mais je n’ai pas pu. Il fallait juste que je sois patient. Que j’attende que ça passe. Selon moi, la meilleure façon de vivre est quand on a besoin de personne. Être heureux par soi-même, seul et indépendant. Et ce constat peut s’appliquer à mon départ du groupe, à mon ancien petit ami ou au fait de quitter New York. C’est une chanson sur le chagrin, la perte.
Cette chanson rappelle les meilleures heures d’Elton John !
Pour être honnête, je pensais à Elton tout au long de l’écriture du disque. Et je lui ai d’ailleurs dédié l’album. On est bons amis depuis un bail maintenant (Elton John jouait déjà du piano sur le tube « I Don’t Feel Like Dancin’ » des Scissor Sisters) C’est comme s’il était avec moi dans la pièce. Je me demandais ce qu’il penserait de telle chanson… Mais je ne voulais pas qu’il entende quoique ce soit tant que l’album n'était pas terminé ! J’ai chanté avec les Queens of The Stone Age sur son album tribute, « Goodbye Yellow Brick Road ». On développe une comédie musicale ensemble depuis un bail maintenant. Et je pense qu’on va s’y remettre très vite. On a écrit des musiques absolument géniales ensemble.
Quel est le sujet de ce musical ?
(Il répond en chantant) : Je ne peux pas te dire… (rires de part et d’autres du combiné).
« J’ai fait exactement l’album que je rêvais de faire. Cette fois, je n’ai pas eu à faire de compromis avec qui que ce soit. »
On aura essayé… Mais la bonne nouvelle, c’est que tu continues à écrire avec BabyDaddy. Vous n’êtes pas en mauvais termes ?
Bien sûr que non ! Il a été d’un énorme soutien. Je veux continuer à travailler avec lui. On a passé quelques jours ensemble pour écrire. Ce disque, c'est vraiment ce que j’ai fait de mieux dans ma vie. Cette fois, je n’ai pas eu à faire de compromis avec qui que ce soit. J’ai fait exactement l’album que je rêvais de faire. Avec mon propre pognon. Sérieusement, j’ai foutu tout mon putain d’argent dans ce disque ! (rires) Et j’espère pouvoir me faire un peu d’argent avec pour pouvoir en écrire un autre...
New York, Los Angeles ou Berlin avant d’écrire l’album « Night Work »… Tu as souvent éprouvé le besoin de t’échapper...
C'est vrai. Mais si je suis parti vivre à Berlin, c’est parce que j’en avais besoin créativement. C’est une pulsion en moi, tous les cinq ans faut que je change d’air pour réévaluer qui je suis. La différence, cette fois, c'est que j’appelle La Nouvelle-Orléans « ma maison ». J’ai acheté un appartement là-bas. C’est là que je veux vieillir et accrocher définitivement mon chapeau.
Qu’est-ce qui t’a pris d'écrire tes mémoires (« Boys Keep Swinging » aux éditions Atria Books/Simon & Schuster) alors que tu n'as même pas 40 ans ?
Je ne raconte pas toute ma vie. Le livre s’arrête en 2008. Si j’avais dû écrire toute ma vie, le bouquin ferait 800 pages ! Et écrire sur les 10 dernières années de ma vie, ça aurait été trop frais. Je me suis concentré sur mon enfance, sur mes années à New-York et comment j’ai démarré le groupe… Ce n’était pas mon idée mais celle d’un des éditeurs de Simon & Schuster. J’adore écrire alors je n’allais pas dire non. C’était intéressant de l’écrire en même temps que je composais cet album. Car si l’album parle ma vie aujourd’hui, le livre m’a permis de réexaminer ma vie d’avant.
Comme tu es un artiste américain, donc, c’est le moment où l’on doit te poser une question sur Donald Trump…
Je ne sais pas si j’ai quelque chose à dire qui n’ait pas déjà été dit. Mais, mec, on vit des temps sombres pour les Etats-Unis mais aussi pour le reste du monde. Ma réponse à tout ça — et c’est la raison pour laquelle j’ai fait cet album — est que même aux époques les plus effrayantes, les gens ont besoin de musique pour les faire se sentir bien et faire la fête ensemble. J’ai l’impression qu’on a oublié ça ces derniers temps. Parce qu’on est tous tétanisés. Alors mon but, c’est vraiment d’apporter du bonheur aux gens.
Avec une moustache ?
Voilà ! Avec une moustache ! (rires)
Crédits photos : Raphaël Chatelain/Greg Gorman.
Le premier album de Jake Shears est disponible chez Freida Jean Records et sur toutes les plateformes de streaming et de téléchargement.