Dans un entretien exclusif à TÊTU, la ministre Frédérique Vidal dévoile un plan pour lutter contre les LGBTphobies dans l'enseignement supérieur.
"Je suis profondément attachée au fait d’être qui l’on est", confie Frédérique Vidal. Le 15 mars dernier, la ministre de l'Enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation nous a reçus dans ses bureaux du Ve arrondissement, à deux pas de la Sorbonne et du Panthéon. Installée dans un des fauteuils bleus du salon de son ministère, elle a dévoilé en exclusivité pour TÊTU son plan de lutte contre les discriminations envers les personnes LGBT+. L'ancienne présidente de l'université de Nice Sophia Antipolis souhaite notamment la reconnaissance du prénom d'usage des personnes trans' dans l'enseignement supérieur, ou encore la mise à disposition de logements CROUS et CNOUS au profit d'associations LGBT+.
TÊTU : Il s’agit, à notre connaissance, du premier plan de lutte contre les LGBTphobies dans l’enseignement supérieur. Pourquoi avez-vous décidé de vous engager sur ces questions ?
Frédérique Vidal : C’est un sujet que j’ai porté comme professeure, comme présidente d’université et que je porte aujourd’hui comme ministre. Je suis profondément attachée au fait d’être qui l’on est. Et l’enseignement supérieur est l’endroit où l’on doit apprendre à penser par soi-même, à construire son raisonnement et, de fait, à rejeter et s'opposer à toute forme de discrimination. Mais comme souvent, les choses que l’on connaît mal peuvent inquiéter ou faire peur. Alors, plutôt que de laisser les jeunes avec leurs interrogations, leurs angoisses et leur stress, il faut pouvoir en parler très librement et répondre à leurs questions.
Justement, comment mieux accompagner les jeunes dans l’enseignement supérieur ?
Je veux faire en sorte que l’utilisation du prénom d’usage [prénom choisi par les personnes trans' pendant leur transition, NDLR] devienne un droit dans l’ensemble des établissements de l’enseignement supérieur. Il faut que chaque personne puisse utiliser le prénom qu’elle souhaite sur les listes d’appel et d’examen, ainsi que sur les cartes étudiantes. Il faut également simplifier les procédures afin de modifier les noms sur les diplômes une fois que le changement à l’état-civil a été fait.
"Il ne doit pas y avoir de rupture d’égalité dans la République"
Aujourd’hui, il existe de fortes disparités entre les universités. Par exemple, le prénom d’usage est reconnu à Rennes 2, mais pas à Rennes 1…
Une quinzaine d’universités reconnaissent déjà le prénom d’usage. Mais nous sommes très attachés à faire en sorte qu’il n’y ait pas de rupture d’égalité et de discriminations dans la République. Reconnaître le prénom d’usage fait partie des petites choses qui ne sont vraiment pas compliquées à mettre en place, mais qui ont un impact important pour les personnes concernées. Il faut vraiment que l’on incite tout le monde à le faire.
Vous parlez d’"incitation". Les universités françaises et les établissements privés sont autonomes en France, comment comptez-vous les convaincre ?
Ça ne sera pas très difficile de convaincre le monde académique qui, dans sa grande majorité, ne supporte pas la discrimination. Concrètement, nous allons adresser un courrier à l’ensemble des chefs d’établissements de l’enseignement supérieur, co-signé par les trois Conférences (Conférence des présidents d’universités, Conférence des grandes écoles et Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs). Je porterai une attention particulière à l’exécution. Lorsqu’il y aura des difficultés et qu’elles seront signalées, il faudra comprendre d’où elles viennent et les lever.
Allez-vous également militer pour l’installation de toilettes neutres pour les personnes trans’ dans les établissements de l’enseignement supérieur ?
L’Université de Tours a déjà lancé une telle initiative. Sur le principe, j’y suis plutôt favorable, mais c’est avant tout une question qui doit être gérée au niveau local, en fonction de la spécificité des établissements, de l’organisation des bâtiments…
Pourquoi ce sujet vous touche-t-il plus particulièrement ?
J’ai eu l’occasion, dans ma vie précédente, d’accompagner des étudiants en transition. Ce sont des situations individuelles qu’il faut traiter comme telles, c’est-à-dire en respectant le souhait des personnes transgenres. C’est une décision personnelle qui demande de la réflexion et du courage. Il est très important que les institutions puissent les aider avec bienveillance et sans aucun jugement de valeur. C’est ça que je veux porter.
"On peut parfois être blessant sans le vouloir."
Cette mesure pourrait-elle s’appliquer dans les lycées ou les collèges ? C’est ce qu’a récemment demandé le député LREM Raphaël Gérard.
La question est très compliquée, dans le sens où l’on s’adresse à des personnes mineures au collège et au lycée. De ce point de vue-là, c’est beaucoup plus simple à mettre en place dans l’enseignement supérieur. A mon avis, on ne peut pas imposer quelque chose à partir du moment où ce sont des mineurs. Mais il y a encore du travail de fond à faire. On peut parfois être blessant sans le vouloir ou proposer des choses qui nous paraissent répondre aux demandes, mais ne le font pas en réalité. Les associations sont vraiment les mieux placées pour nous dire quelles sont les choses qui vont faciliter la vie de chacun.
D’ailleurs, avez-vous prévu de soutenir financièrement des associations ?
Oui, pour la première fois, le ministère de l’Enseignement supérieur va soutenir financièrement plusieurs associations (Le Refuge, SOS Homophobie, le centre LGBT de Paris). Mais il faut aller plus loin. Je vais notamment demander au CNOUS et aux CROUS de mettre à disposition des chambres dans les cités universitaires, partout en France, au profit de l’association « Le Refuge ». On commencera durant les périodes où ces logements sont vides, notamment pendant l’été et les vacances scolaires. Il faut apporter aux jeunes, rejetés par leurs familles, l’environnement le plus bienveillant possible et créer des ‘sas de décompression’.
Allez-vous, comme l’a fait Jean-Michel Blanquer dans l’éducation nationale, lancer une campagne de lutte contre les LGBTphobies ?
Dans le cadre de notre campagne de sensibilisation contre les violences sexistes et sexuelles, une série d’affiches sur les violences envers les personnes LGBT+ avait été réalisée pour sensibiliser par la CPED (Conférence Permanente Egalité Diversité), l’ANEF (Association nationale des études féministes) avec le soutien de mon ministère et celui du ministère de la Culture. Je souhaite que nous allions plus loin. Une campagne de lutte contre les discriminations envers les personnes LGBT+ sera lancée à la rentrée 2019-2020. Il s’agira de la première depuis 2015. Nous la construirons avec les associations pour qu’elles parlent aux jeunes comme aux encadrants éducatifs et au personnel administratif.
Est-ce que placarder des affiches sert encore à quelque chose ?
Le symbole de l’affiche reste important, mais vous avez raison, je ne suis pas persuadée qu’elle porte seule tout le message. J’ai surtout la conviction qu’il faut nommer les choses et les montrer sans tourner autour du pot. C’est ensuite que l’on renvoie vers plus de fond, plus de contenu et plus d’accompagnement, à l’image de ce qu’on a fait pour la campagne de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Mais, honnêtement, il faudra surtout demander aux jeunes et aux associations LGBT+ quels sont les supports qu’ils seraient les plus susceptibles d’utiliser : pour cela, je compte aussi beaucoup sur la coopération des organisations étudiantes.
"S'il y a une réaction à chaque signalement, c'est comme ça que les choses bougeront."
Ne faut-il pas également améliorer la formation des enseignants ?
C’est ce que l’on va faire en ajoutant une formation sur « les valeurs de la République » dans le tronc commun du programme des Écoles Supérieures du Professorat et de l'Education (ESPE). Il y aura, à l’intérieur, un module pour aider les futurs professeurs du primaire et du secondaire à gérer les discriminations.
Que contiendra exactement cette formation ?
On est en train de travailler sur le détail, mais l’idée est d’apprendre à repérer et traiter les cas de discriminations. A chaque fois qu’on en parle avec des enseignants, ils nous disent qu’ils ne savent pas forcément comment réagir. Et quand on ne sait pas réagir, bien souvent on improvise. Comment faire quand on sent qu’un enfant ou un jeune va mal ? Comment gérer ces situations ? Faut-il en parler aux parents ? Tout cela s’apprend. Il y a des bonnes pratiques et il est nécessaire d’accompagner les enseignants dans ces apprentissages. Nous allons d’ailleurs actualiser, en partenariat avec les associations, le guide intitulé « Reconnaître pour mieux agir », afin qu’il inclue notamment de manière plus approfondie la question des personnes transgenres.
A LIRE AUSSI : Les élèves LGBT+, grands oubliés des cours d’éducation à la sexualité
Au-delà des effets d’annonce, comment s’assurer que ces mesures seront bien mises en place ?
La preuve, ce sera la façon dont ça se traduira sur le terrain. Je ne suis pas du tout dans une démarche où je me dis : 'hop, j’ai coché la case, c’est annoncé, je ne m’en occupe plus'. Je sais que l’on n’arrivera pas à supprimer toute la discrimination et la violence anti-LGBT+ en un claquement de doigts. S'il y a une réaction à chaque signalement, c'est comme ça que les choses bougeront. J’y serai extrêmement attentive et j’ai demandé aux équipes du ministère d’être très actives en matière d’impulsion et de suivi. Par ailleurs, je sais que la communauté de l’enseignement supérieur y prendra toute sa part.
Ce contenu n'est pas visible à cause du paramétrage de vos cookies.
Crédit photos : Ministère de l'Enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation/DR.