Le gouvernement a rappelé, ce jeudi 13 septembre, aux recteurs d'académie l'obligation de mettre en place trois cours d'éducation sexuelle par an dans les écoles, collèges et lycées. Des cours où sont évoqués pêle-mêle la contraception, les rapports femmes-hommes, le consentement ou la dimension relationnelle de la sexualité, omettant, quasi-systématiquement, l'aspect LGBT+ de ces sujets.
On y apprendrait la "masturbation dès l'âge de quatre ans" et l'on y consulterait des "ouvrages pornographiques". Les rumeurs les plus farfelues ont circulé cet été à propos de l'éducation à la sexualité à l'école. A l'origine de ces hoaxs : le rappel à la loi du gouvernement qui souhaite rendre effectif l'article 22 de la loi Aubry du 4 juillet 2001 qui prévoit l'obligation pour les écoles, les collèges et les lycées de mettre en place trois cours d'éducation sexuelle par an. Ce jeudi 13 septembre, le ministère de l'Education nationale a envoyé une circulaire aux rectrices et recteurs d'académies pour leur rappeler leurs obligations à ce sujet.
Si les rumeurs ont été démontées une à une par les politiques et les médias, de vraies interrogations demeurent sur le contenu de ces cours, notamment autour de l'inclusion des questions LGBT+. TÊTU a interrogé les protagonistes de ce dossier pour essayer d'y voir plus clair.
Un élève sur 10 n'a jamais eu accès à ces cours
Les élèves ont-il simplement eu accès à des cours d'éducation sexuelle ? Pas vraiment. Selon une étude du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, 25% des écoles primaires, 4% des collèges et 11% des lycées, n'ont jamais appliqué cette loi. Et des chiffres plus récents montrent que ces mauvais résultats impactent particulièrement les élèves LGBT+.
Selon une grande enquête* menée pour le MAG Jeunes LGBT entre le 23 novembre 2017 et le 26 janvier 2018 sur 335 personnes LGBT+ de 13 à 31 ans, dont TÊTU révèle en exclusivité les résultats , trois élèves LGBT+ sur quatre n'ont eu qu'entre un et trois cours d'éducation sexuelle tout au long de leur scolarité. Pire, un sur dix n'en a eu aucun. Pourquoi ? Probablement parce qu'aucune sanction n'est prévue à l'égard des établissements fraudeurs.
A l'école, ce sont les maîtresses et les maîtres qui prodiguent les cours. Au collège et au lycée, les séances doivent se faire en binôme et peuvent être données par les enseignants eux-mêmes, par des personnels d'éducation sociaux et de santé ou par des intervenants extérieurs agréés.
Mais alors, les questions LGBT sont-elles abordées lors de ces fameux cours ? Sollicité sur ce point précis, le ministère de l'Education nationale ne nous a pas directement répondu. Au lieu de cela, nous avons reçu une batterie de documents en tout genre, dont des liens vers des "ressources thématiques" à destination des enseignants. Il ne s'agit pas d'un programme à suivre à la lettre, mais plus de recommandations ou de bonnes pratiques. Et après avoir un peu fouillé, certains documents ont retenu notre attention.
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Des exercices très hétéronormés
Sur le site qui héberge ces outils pédagogiques, Edusol, sont proposées au téléchargement depuis 2016 des fiches thématiques sur divers sujets. La n°4 est intitulée : "De l'éveil de la sexualité à la rencontre de l'autre". On y propose aux enseignants - de collèges et lycées - d'organiser des activités, dont l'une d'entre elles consiste à imaginer la fin d'une histoire. Scénario 2 : Charlotte et Denis ; Scénario 3 : Marc et Sophie ; Scénario 4 : Véronique et Michel ; Scénario 5 : Toufik et Marie...
Seul le scénario 1 laisse planer le doute sur le sexe des protagonistes, évoquant 'Dom' et Claude.
En clair, tous les exercices sont basés sur la dualité fille/garçon et mettent en scène des couples hétérosexuels. Une autre activité propose de se réunir en petit groupe pour répondre aux questions suivantes : "Que pensez-vous que les filles attendent des garçons ou des filles dans la relations amoureuse ?" et inversement, ou "quelles sont vos attentes, vos questions et vos appréhensions par rapport à la 'première fois'" ?
"Pour cette activité il peut être judicieux de séparer les filles et les garçons pour une expression plus libre", précise le document. Même si l'on note un effort d'inclusion avec la formulation "attendent des filles ou des garçons", en discuter en non-mixité n'est pas franchement la meilleure idée. Il suffit de lire les résultats de l'enquête du Mag Jeunes LGBT pour s'en rendre compte.
Comment les élèves se sentaient-ils par rapport à leur identité et leur orientation sexuelle pendant ces classes ? "Oublié", "frustré", "invisibilisé", "honteux", "anormal", "mise de côté", "transparente", "exclu", répondent-ils dans l'enquête. Et la liste est longue.
Le témoignage d'une élève cisgenre homosexuelle de 17 ans résume bien la grande majorité des avis : "J'ai eu l'impression que je n'avais pas le droit au même traitement que les autres. J'ai ressenti une sorte d'homophobie non dite. Cela m'a vraiment fait sentir comme si ma sexualité n'était pas aussi valide, importante et à sécuriser que celles des autres".
Déconstruire les préjugés
La fiche thématique n°5 intitulée "Identité sexuée - rôles et stéréotypes - orientation sexuelle" évoque brièvement les questions LGBT+ dans le module n°6. Le but ? "Permettre aux jeunes d'identifier les stéréotypes liés à l'orientation sexuelle et comprendre leurs conséquences".
Comment ? Avec, là encore, des animations. Huit "affirmations" sont présentées et les élèves doivent dire si elles sont vraies ou fausses pour mieux les déconstruire ensuite : "La fidélité existe dans les couples homosexuels" ; "On peut choisir sa sexualité" ; "Une lesbienne est un garçon manqué"... C'est tout ce qu'on a trouvé sur la "sexualité" des personnes LGBT+.
"De manière générale, il n'y a rien dans tout le parcours scolaire sur les LGBT+, témoigne un professeur de sciences et vie de la terre (SVT) dans un lycée des Hauts-de-Seine. Ça va faire 15 ans que je suis prof et je n’ai jamais eu de questions des élèves". Et d'ajouter : "C'est au bon vouloir des professeurs. On est déjà débordés et le programme de SVT ne prévoit de parler que de l'appareil reproducteur et du VIH/Sida".
Des propos confirmés par une élève bisexuelle cisgenre de 17 ans interrogée dans le cadre de l'enquête menée pour le Mag Jeunes LGBT :
"Lors de ma première séance dite 'd'éducation sexuelle' (qui était plus une séance de renseignement sur les moyens de contraception), en classe de 5ème, un élève ne connaissait pas le terme 'homosexuel'. C'est la seule occasion dans toute ma scolarité où une sexualité non hétérosexuelle a été mentionnée. »
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Les questions LGBT+ « n'existent pas dans la société française »
Pour Gabrielle Richard, chercheuse à l'Université de Paris-Est Créteil et sociologue du genre à l'origine de l'enquête, l'Education nationale nie l'identité de tous les élèves LGBT+ :
"L’éducation à la sexualité en milieu scolaire transmet des normes strictes sur ce qui est considéré normal et acceptable en matière d’orientation sexuelle, d’identité de genre et d’expression de genre en France (...) En évitant de parler d’orientations non-hétérosexuelles, de configurations familiales homoparentales ou d’identités trans, l’école transmet un message sans équivoque sur ces questions : elles n’existent pas et n’importent pas à la société française."
Interrogée par TÊTU, Caroline Rebhi, la co-présidente du Planning Familial, qui intervient dans les établissements scolaires pour donner des cours d'éducation sexuelle, assure que son association fait en sorte d'évoquer toutes les sexualités avec les élèves. Et si ce n'est pas directement pendant les exercices, cela se passe pendant les "questions anonymes".
"Parfois, on nous demande ‘comment font les lesbiennes pour avoir une vraie relation sexuelle ?’ ou 'est-ce normal d'aimer une fille et après d'aimer un garçon ?'. C’est l’occasion de discuter des rapports sexuels entre personnes de même sexe."
Des conséquences psychologiques, sociales et sanitaires
S'il est parfois fait mention de l'homosexualité ou de la bisexualité lors de ces séances, rarement dans le détail, la plupart des élèves interrogés remarquent que les questions autour de l'identité de genre sont "complètement tues".
"A aucun moment je n'ai eu d'information sur la pansexualité, ou l'asexualité, témoigne un élève non-binaire pansexuel.le de 19 ans dans l'enquête menée pour le Mag Jeunes LGBT. Quant à l'identité du genre, cela restait très cliché : garçon ou fille. Je n'ai eu aucune info lors de ces séances sur la transidentité ou un autre."
L'enquête note que les cours d'éducation sexuelle sont essentiellement axés sur la reproduction humaine (pénétration pénis-vagin) et la prévention des IST et des grossesses non désirées. Quand les élèves LGBT+ veulent entendre parler d'autres questions, ils doivent se manifester. Et quand ils le font, voici ce qu'on leur répond :
"Quand j'ai demandé comment ça se passait entre filles et quelles étaient les protections, on m'a regardé avec de grands yeux et on m'a dit ne pas savoir et qu'on n'avait besoin de rien."
Une réponse irresponsable qui peut être lourde de conséquences sanitaires quand on sait que les IST se transmettent tout aussi bien lors d'un rapport bucco-génital que lors d'une pénétration.
Coming-out retardé, désirs refoulés, dépression... : ces cours d'éducation sexuelle ont également des conséquences psychologiques et sociales. C'est ce dont témoigne une élève non-binaire trans de 19 ans dans l'enquête :
"Ce discours cis-hétéronormé et ce manque total d'information ont été désastreux pour mon rapport à moi-même. Cela m'a incité.e à refouler mon identité et à aller à l'encontre de mes envies. Je me suis forcé.e à jouer la fille cisgenre hétéro). Cela a été l'une des causes d'une dépression."
Sept élèves sur dix informés via les réseaux sociaux
Autant d'éléments qui poussent les élèves à aller chercher l'information ailleurs. Selon l'enquête du MAG Jeunes LGBT, 73% des personnes interrogées ont trouvé l'essentiel des réponses à leurs questions via les réseaux sociaux, 70% sur des sites ou des forums, 35,5% auprès de proches LGBT+ ou encore 16% auprès de partenaires sexuels ou amoureux.
"J'ai tout appris sur Internet, particulièrement sur Twitter, raconte un élève non-binaire asexuel.le de 18 ans. Twitter m'a plus appris sur le féminisme, la communauté LGBT+ et les discriminations que l'école, et ça craint".
Lutte contre l'homophobie
Pour SOS Homophobie, il est important "que soit enseignée dans ces cours la diversité des relations amoureuses, et pas que des relations hétérosexuelles". "Il est essentiel d’informer les jeunes car les LGBTphobies sont surtout liées au manque d’information. La prévention à l’école est le meilleur moyen de lutter conte l’homophobie", ajoute Joël Deumier, le président de l'association.
Heureusement, il existe la fiche thématique n°6 : "Relations interpersonnelles - Egalité filles/garçons - Discriminations - Sexisme et homophobie". On y définit ce qu'est l'homophobie, la biphobie et la transphobie et on propose de "rappeler les lois existantes concernant le sexisme et l'homophobie dans les débats menés sur ces sujets".
Qu'en est-il de nos petits exercices ? C'est tout de suite moins ludique. Il est proposé aux élèves en classe de seconde un "temps de travail de 40 minutes pour mettre en évidence les discriminations en raison de l'orientation sexuelle". S'ensuit la réalisation d'un schéma avec les rôles de l'école, des associations, des entreprises, dans la lutte contre ces discriminations. Et enfin la rédaction d'un compte-rendu les retraçant. De quoi faire rêver nos élèves de seconde.
Rappel à la loi
Si la circulaire, envoyée ce jeudi 13 septembre par le ministère de l'Education nationale, ne comporte que peu de nouveautés par rapport à celle du 17 février 2003, on note l'ajout des termes « transphobie » et « orientations sexuelles » dans le texte.
"Au-delà de la piqûre de rappel, la circulaire envoyée ce jour vise aussi à moderniser les dispositifs face aux nouveaux enjeux comme le cyber-harcèlement ou l'exposition à la pornographie", nous assure le service presse du ministère de l'Education nationale.
"Le but n'est pas de réinventer mais d'amplifier ce qui se fait déjà et est prévu par la loi, et de s'assurer que les séances soient bien mises en oeuvres - ce qui n'est aujourd'hui pas le cas, abonde-t-on dans l'entourage de la secrétaire d'Etat à l'égalité femmes-hommes Marlène Schiappa.
Interrogée en juillet dernier pour savoir si les relations sexuelles entre personnes de même sexe étaient évoquées lors de ces cours, cette même source répond aux entournures : "Sur le contenu, sont aussi évoqués la lutte contre les stéréotypes ou un rappel des numéros d'appels... etc". Une non-réponse qui en dit long.
Crédit photo : DAMIEN MEYER / AFP - captures d'écran Edusol.
*Pour cette enquête, 335 personnes de 13 à 31 ans (âge médian : 19 ans) s'identifiant comme LGBPQ ou comme trans, intersexe, non-binaire ou agenre, ont été interrogées entre le 23 novembre 2017 et le 26 janvier 2018 [Richard, G. en collaboration avec le MAG Jeunes LGBT. ["Rapport national sur l'éducation à la sexualité en France du point de vue des élèves issu.e.s de la diversité sexuelle et/ou romantique et de genre"]