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cinémaY a-t-il un avenir pour la comédie romantique LGBT+ ?

Par Florian Ques le 03/04/2020
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Ces dernières années années, les histoires d'amour LGBT+ commencent à se raconter au cinéma. Mais la comédie romantique queer a-t-elle vraiment un avenir ? Frilosité des studios, codes du genre très hétéronormés... Le sous-genre a encore quelques défis à relever pour devenir incontournable.

Un homme et une femme se croisent. Ils échangent un regard, se sourient. L'attirance est palpable. Puis, les embûches arrivent : une ex sortie de nulle part, des parents peu conciliants, un déménagement imminent. Au nom de l'amour avec un grand A, le couple réussit à terrasser les obstacles qui mettaient un frein à leur union. S'ensuit alors un baiser de cinéma, voire une demande en mariage, ou carrément des enfants... voilà, l'affaire est dans le sac. Ce schéma narratif ô combien manichéen est la recette miracle de nombreuses comédies romantiques, lesquelles ont connu un essor notable à l'aube des années 2000 aux États-Unis.

Parce qu'il n'y a pas que les dilemmes cornéliens d'une certaine Bridget Jones qui comptent, le genre de la rom-com s'est petit à petit emparé d'histoires d'amour LGBT+. On pense à Imagine Me and You, presque perçu comme un rite de passage incontournable pour beaucoup de lesbiennes, ou bien à Love, Simon, au carrefour entre le films pour ados et la comédie sentimentale. Sortis à une douzaine d'années d'intervalle, les deux longs-métrages ont été bien accueillis par le public cible.

Un modèle à revoir

"La comédie romantique, on la regarde parce qu'on sait déjà ce qu'il va se passer, explique Iris Brey, autrice et spécialiste des représentations de genre et des sexualités. Il y a quelque chose de très réconfortant et retrouver ces codes pour la communauté LGBT+, c'est important car ça revient à se dire qu'on a aussi le droit à ces histoires-là". En transposant les règles officieuses de la comédie sentimentale avec des personnes LGBT+, un message d'inclusivité est de fait véhiculé.

"La plus-value de ces histoires-là serait de normaliser le propos autour des identités LGBT+ puisque la rom-com est un genre très accessible et grand public", affirme la journaliste Jennifer Padjemi. Pour Peter Paige, réalisateur et coscénariste du téléfilm fraîchement sorti The Thing About Harry, c'est aussi une question de simplification du discours pour l'audience visée, qui n'a plus à se projeter dans des relations hétérosexuelles. "Je pense que la principale différence est que nous, le public queer, n'avons pas à traduire pour une fois", avance-t-il.

Y a-t-il un avenir pour la comédie romantique LGBT+ ?
Harry (Niko Terho) et Sam (Jake Borelli), les amoureux de "The Thing About Harry"

Casser les codes

Mais au-delà d'être innovants sur la forme, en offrant des représentations différentes de ce que les grands studios ont l'habitude de nous vendre, ces films à l'eau de rose changent-ils la donne en termes de storytelling ? Pour Iris Brey, c'est plutôt le contraire. "Très souvent, les comédies romantiques renforcent des normes, détaille-t-elle. Je pense que ça pourrait être absolument extraordinaire de faire une comédie romantique qui ne répondrait pas aux codes du genre et qui proposerait un sentiment amoureux qui ne serait pas basé sur du conflit, qui ne reposerait pas sur la notion de surprise, que le happy end ne soit pas forcément un couple qui va se marier".

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Grosso modo, se contenter d'un copier-coller sans réfléchir aux enjeux sous-jacents s'apparente à une occasion manquée. Car plus qu'un bête fac-similé, la comédie romantique queer peut être un biais pour renouveler le genre dans son ensemble et faire fi de ses aspects les moins reluisants. Pour Jennifer Padjemi, "ce qui peut être déjoué ici, ce sont les rapports de domination patriarcaux qui existent naturellement entre les hommes et les femmes dans des couples hétéros, qui commencent à évoluer certes, mais qui sont encore très présents dans les rom-com".

L'offre et la demande

Vient alors la question du public et, en toute logique, des boîtes de production qui financent et promeuvent ensuite ces projets. Jusqu'ici, la frilosité est de mise chez les grands studios, avec une seule comédie romantique queer (Happiest Season avec Kristen Stewart) annoncée pour cette année. Dans notre Hexagone, c'est le calme plat. Les rares histoires LGBT+ qui parviennent à happer le public français sont plus tire-larmes et montrent des récits qui finissent mal, à l'instar de Call Me by Your Name. La rom-com queer, elle, est persona non grata. Il n'y a qu'à prendre l'exemple de Love, Simon qui n'a bénéficié d'aucune promo notable par chez nous, ce qui explique son échec dans nos salles obscures. A peine 136.000 personnes en France se sont rendues dans les salles obscures pour découvrir cette teen rom-com gay - qui avait pourtant tous les atouts pour être populaire - et le film n'est resté que 3 semaines à l'affiche.

Au bout du compte, c'est l'éternel questionnement de la poule ou de l’œuf. Les boîtes de production craignent-elles le flop et évitent alors de financer des comédies romantiques LGBT+ ? Ou, au contraire, le souci réside-t-il dans le public qui n'est pas demandeur de ce genre de récit ? En tout cas, pour Iris Brey, c'est un problème d'ordre national. "J'ai l'impression qu'en France, il y a quand même une petite résistance aux histoires d'amour LGBT sur le grand écran, avance la principale intéressée. Quand on voit les scores de Portrait de la jeune fille en feu par rapport à l'accueil qu'il a reçu aux États-Unis, ça m'interroge".

Y a-t-il un avenir pour la comédie romantique LGBT+ ?
Leah Lewis et Daniel Diemer, les jeunes stars de "The Half of It", bientôt sur Netflix

Les séries comme salut ?

Néanmoins, une lueur d'espoir persiste grâce au streaming légal. "Sur les plateformes de SVoD, c'est plus les téléspectateurs qui créent la résonance", garantit Jennifer Padjemi. L'autre avantage de ces interfaces-là, c'est surtout le rayonnement plus massif que peuvent avoir leurs productions en comparaison aux sorties ciné plus classiques. C'est d'ailleurs ce qui a poussé Alice Wu, réalisatrice et scénariste de la prochaine rom-com lesbienne The Half of It, à accepter de collaborer avec Netflix. "J'avais trois possibilités de financement, se rappelle-t-elle. J'étais tiraillée. Si mon film sortait en salles, il irait dans des petits ciné indépendants parce qu'il n'y a pas de grosses têtes au casting ou quoi que ce soit. Et ça reviendrait à prêcher des convertis. Alors ma meilleure chance pour faire changer les mentalités, c'était de miser sur Netflix".

Aux antipodes du septième art, les séries télévisées peuvent représenter une alternative efficace pour donner ses lettres de noblesse à la comédie sentimentale. Selon Iris Brey, c'est plutôt sur la petite lucarne qu'il faudrait effectivement parier, donnant comme exemple Work in Progress, la fiction encore méconnue de l'humoriste Abby McEnany. "J'ai trouvé que la série, qui est aussi une comédie romantique, va beaucoup plus loin dans ce que ça raconte d'une relation amoureuse, assure-t-elle. Ça sort des codes où, tout d'un coup, l'attirance n'est pas une question de surprise. On comprend que c'est quelque chose qui peut se développer autrement". Il n'y a plus qu'à voir si Love, Victor, le spin-off en série de Love, Simon, suivra la même voie.

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Happy end

Si l'avenir de la comédie romantique queer est ponctué d'un gros point d'interrogation, il est primordial que des histoires d'amour positives peuplent le paysage audiovisuel. "Je pense vraiment qu'en tant que personnes queer, nous avons la responsabilité de fabriquer et de raconter des histoires qui ne sont pas seulement enracinées dans nos traumatismes mais mettent aussi en avant notre joie et donnent de l'espoir", soutient le réalisateur Peter Paige, également aux commandes de la série progressiste Good Trouble, diffusée outre-Atlantique.

Pour Alice Wu, dont le prochain film débarque le 1er mai sur Netflix, il s'agira de compter sur la nouvelle génération. "J'ai pu discuter avec des ados, queer comme hétéros, et ils sont tellement plus sophistiqués, confie-t-elle. Ils ont une meilleure conscience de soi et du monde que moi à leur âge. J'ai l'impression qu'on aura davantage de comédies romantiques LGBT+ tout simplement car on aura plus de gens qui peuvent concevoir ces histoires. Ils vont ajouter plus de nuance à ces récits, c'est incroyablement excitant". Croisons les doigts pour que le genre de la rom-com ait, lui aussi, droit à son happy end.

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Crédits photos : 20th Century Fox / Freeform / Netflix