Frédéric Potier (DILCRAH): "Ce plan d'urgence répond à un besoin réel d'hébergement pour les jeunes LGBT+ victimes de violence"

Par Romain Burrel le 26/04/2020
Frédéric Potier

Suites aux annonces faites par Marlène Schiappa, le préfet de la DILCRAH, Frédéric Potier revient sur la réponse apportée aux jeunes LGBT+ en période de confinement. Interview.

Le préfet de la Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l'Antisémitisme et la Haine anti-LGBT (DILCRAH), Frédéric Potier a aidé le Secrétariat d’État chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes a mettre au point son plan d'urgence pour venir en aide aux jeunes LGBT+ en période de confinement. L'occasion également de revenir sur la mission de délégation interministérielle, sur un agenda associatif 2020 très bousculé et sur le lancement de l’application FLAG.

La secrétaire d'Etat chargée de la lutte contre les discriminations Marlène Schiappa vient d’annoncer un plan d’urgence pour venir en aide aux jeunes LGBT+ en situation d’urgence en cette période de confinement. La DILCRAH a été sollicitée dans la proposition de ces mesures ?

Absolument. Ce sont des mesures extrêmement importantes impulsées par Marlène Schiappa et Olivier Dussopt, Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Action et des Comptes publics. Cela vise à répondre à un besoin réel, celui des hébergements des jeunes LGBT+ pouvant être victimes de violence au sein de leur famille et qui pourraient être en rupture familiale.  Ce besoin est établi, beaucoup de signalements nous sont rapportés par les associations, mais il reste difficile à quantifier. Cette enveloppe de 300 000 euros permettra aux jeunes qui en auraient besoin de bénéficier de nuitées d’urgence.

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Est-on certain que ces budgets vont être dirigés vers ce public de jeunes LGBT+ victimes d'homophobie dans leur foyer ?

Oui. Car nous allons travailler avec des associations qui ont l’habitude de ces questions. Depuis plusieurs jours, nous discutons avec Le Refuge et SOS Homophobie. Notre but était d’abord d’identifier des associations connaissant parfaitement les problématiques LGBT+. Ce qui ne veut pas dire que nous nous priverons du soutien d’autres types de dispositifs. Si, par exemple, des associations ou des structures travaillant sur les violences intrafamiliales ont des unités disponibles, évidemment nous travaillerons avec elles.

Cela a été difficile de mobiliser ces fonds ? On a l’impression que les réponses aux besoins du monde économique - et notamment aux entreprises - ont été immédiates. Alors que la mise en place de ce plan d’aide à l’urgence aux jeunes LGBT+ a été plus lente…

Je ne crois pas. Comme je vous l’ai dit, ce qui est difficile c’est de quantifier et d'établir les besoins. Une entreprise a des volumes d’affaires, de vente. Elle peut assez facilement calculer sa perte sèche et les conséquences pour elle dans les prochaines semaines. Par contre, le calcul d’une mise à l’abri et d’une d’enveloppe financière pour des hébergements d’urgence est plus complexe. C’est vrai que le nombre de jeunes pouvant y faire appel était difficile à quantifier. Les contacts que j’ai pu avoir avec les associations m’ont prouvé qu’on tâtonnait. Il a fallu partir de certaines bases. Cette enveloppe de 300. 000 euros permet de faire beaucoup de choses.

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Vous dites qu’il est difficile de quantifier les besoins du public LGBT+. Ne se heurte-on pas à un tabou bien français, celui des statistiques sur les personnes selon leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre ? Un tabou qui empêche par exemple de mieux appréhender la violence au sein même des couples LGBT+ ?

Je ne crois pas. Les statistiques à l’encontre des personnes LGBT+ sont désormais publiées de manière très officielle par les services statistiques du Ministère de l’Intérieur, et ce depuis 2016. Il y a peu de pays au monde qui font cette démarche. Après, dire que les personnes LGBT+ sont incluses dans toutes les enquêtes, se seraient mentir. Mais on a progressé dans beaucoup de domaines : les violences en général, les discriminations… On a travaillé avec l’Observatoire LGBT+ de la Fondation Jean Jaurès pour avoir des chiffres sur la réalité des discriminations tout au long de la vie.

Cette question de la violence au sein des couples LGBT, effectivement, est peut-être encore un tabou. Et je n’ai pas, à ma connaissance, de donner suffisamment fiables sur ce sujet. Mais je ne suis pas résigné à l’aveuglement sur ces questions. Nous travaillons à la DILCRAH avec des sociologues qui connaissent parfaitement ces questions comme Arnaud Alessandrin. On l’a fait sur la santé ou sur des questions de sécurité publique. On peut avancer sur les questions de violence dans les couples.

La désorganisation due au Covid-19 touche également les structures associatives. Comment aider des associations comme SOS Homophobie, par exemple, à continuer de remplir leur mission ?

Tout ne passe pas par l’argent. Le cabinet de Marlène Schiappa est intervenu pour régler des problèmes techniques que pouvaient rencontrer des association comme SOS Homophobie et Contact. Ces lignes d’urgence sont souvent tenues par des bénévoles, dans des locaux qui aujourd’hui sont pour la plupart fermés. Mais il n’y a pas toujours de solutions. Je pense notamment aux lignes d’écoute que nous avons mis en place en outremer. Aujourd’hui, elles rencontrent des difficultés car leur localisation se fait dans des locaux et avec un protocole précis qui ne peuvent fonctionner à distance.

Le confinement complique également la mission de la DILCRAH ?

Bien sûr. Nous avions une semaine d’éducation contre le racisme prévue le 21 mars. Elle a été annulée. Beaucoup de conférences et d’interventions étaient prévues. Elle sera reportée pour ceux qui pourront y assister dans les écoles et les collèges. Il en va de même pour la formation des policiers et des gendarmes. Il faudra les reprogrammer pour le second semestre, ce n’est pas facile. Le confinement complique notre mission comme la vie de tout à chacun mais notre activité numérique reste forte. Nous restons très vigilants sur les réseaux sociaux. En plus du soutien associatif, nous essayons de produire des contenus d’éducation et de sensibilisation. J’ai l’impression que cette crise sanitaire vient renforcer tous les constats que nous avions pu faire. Que ce soit en matière de haine anti-LGBT+, de racisme ou d’antisémitisme.

Cette situation de crises renforce les tensions, les crispations, les tendances négatives de notre société. Les contenus complotistes ou les logiques de bouc émissaire, s’attaquant aux personnes LGBT+ ou aux personnes d’origine asiatique ne m’ont pas surprises. Cette crise oblige les uns et les autres à repenser leurs actions mais ça ne se fait pas en un claquement de doigt.

"Mais il ne faut pas que cette pandémie vienne annihiler des années de travail associatif."

La journée mondiale contre l'homophobie et la transphobie du 17 mai prochain sera-t-elle une journée blanche ?

A titre personnel, le 16 mai j’avais prévu de participer à la marche des fiertés de La Roche-sur-Yon en Vendée car c’était une marche très symbolique et politiquement très forte (décidée après le saccage d’un stand LGBT+ il y a un an). Ça ne sera pas possible, évidemment. Mais il y aura d’autres événements associatifs. La DILCRAH, avec la Fondation Jean Jaurès, a prévu le 18 mai une soirée d’échanges et de réflexions sur les violences à l’encontre des personnes LGBT+. Une soirée qui aura une dimension européenne car nous l’organisation avec Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne (FRA). Elle aura peut-être lieu en digital si les circonstances les imposent.

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C’est l’occasion pour moi de saluer le sens des responsabilités des associations. J’ai eu de longues discussions avec les responsables de l’inter-LGBT+. Comme eux, j’ai à coeur que les événements puissent se tenir. Il faudra qu’ils soient parfois reportés, parfois regroupés. Mais il ne faut pas que cette pandémie vienne annihiler des années de travail associatif.

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L’association FLAG vient de lancer une application de signalement d’actes LGBTphobes dont le développement a été soutenu par la DILCRAH. Est-on sûr que cet outil peut être un recours effectif pour signaler et lutter contre ces violences ?

A la DILCRAH, nous donnons la priorité au soutien a des outils opérationnels et concrets. C’est le cas de cette application comme des lignes d’écoute que nous avons pu ouvrir outre-mer. Le travail réalisé par FLAG est vraiment extraordinaire. Ils ont réussi à créer un outil adapté aux gendarmes et aux policiers qui fassent consensus et qui a reçu l’accord du Ministère de l’intérieur. Il permettra les signalements de victimes mais surtout il permettra aux policiers et aux gendarmes d’obtenir toute l’information nécessaire : avoir le code Natinf, c’est-à-dire le code précis en cas d’infraction ou de violence pour bien coder les infractions anti-LGBT mais aussi un certain nombre de fiches réflexes. Cette application et ces informations seront disponibles sur les tablettes des policiers et gendarmes en permanence sur opération. Selon moi, cela va être un outil majeur vecteur d’énormes progrès dans l’identification des acte LGBTphobes. Nous avons soutenu ce projet depuis le début. Il s’agit d’un soutien de 50 000 euros que j’estime être un excellent investissement.

On le voit avec les débats entrainés par la perceptive d’un « tracing » des personnes atteintes de covid-19, il une forte défiance de l’utilisation de ses données. Est-on certain que les données de cette application ne permettront pas de ficher les personnes homosexuelles ?

Aucun risque. Cette application s’est faite avec le contrôle de la CNIL. C’est un outil d’information qui permet de faire ressortir ce qu’on appelle en droit « les circonstances aggravantes » en cas d’agression ou de violence. De ne pas les considérer comme simple violence mais comme une violence au motif qu’elle serait dirigée contre quelqu’un en raison de son orientation sexuelle ou de son identité de genre. Il n’y aura aucun fichier nominatif créé à partir de ces données. C’est tout a fait impossible.

"L’amélioration de l’accueil des publics LGBT+ dans les commissariats et gendarmeries est un travail énorme."

La vraie solution n’est-elle pas la mise en place d’officier référent sur les questions LGBT par commissariat ou gendarmerie ?

C’est une autre partie de la solution mais ce ne sont pas des choses contradictoires. Trois expérimentations sont menées actuellement en France. Il y a d’abord un poste d’officier de liaison qui a été créé au sein de la préfecture à Paris qui est aujourd’hui occupé par l’ancien président de FLAG. Sa mission est de suivre et d’orienter toute les procédures liées à la haine anti-LGBT dans le périmètre de la Préfecture de Paris (Paris et la petite couronne) C’est une expérimentation très interessante qui a été mise en place en 2019.

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Une autre a lieu à Marseille avec un référent dédié et une autre enfin à Bordeaux avec des permanences dédiées tenues par des réserves de la gendarmerie. Ce que nous souhaitons, c’est que ces expérimentations se poursuivent afin d’en faire le bilan.

Mais votre question implique aussi l’amélioration de l’accueil des publics LGBT+ dans les commissariats et gendarmeries. C’est un travail énorme. Nous avons commencé à le faire. On forme des policiers dans toutes les écoles de police et gendarmerie. Mais la formation des gendarmes et policiers déjà en fonction est beaucoup plus longue et difficile. Nous avons fait beaucoup de progrès mais il reste beaucoup de choses à faire. A chaque fois qu’il y a un refus de plainte, à chaque fois qu’une procédure se passe mal, j’invite les intéressé.e.s à écrire au procureur de la République ou à saisir la DILCRAH qui saisira à son tour les préfets. Nous l'avons déjà fait dans le Rhône ou en Dordogne, avec des procédures mal engagées et nous avons réussi à corriger le tir.

Crédit image: DILCRAH