Il y a un nouveau shérif au pays de la country music. Il vient même de ressusciter Shania Twain. Orville Peck, cowboy à la voix profonde, est gay, sexy et sortait masqué avant même que cela ne soit obligatoire. TÊTU a voulu en savoir sur cet héritier doué de Lana Del Rey et Dolly Parton.
En quelques saisons, Orville Peck a imposé ses ballades chaloupées et son look de cowboy queer sur la scène country. Et même au-delà. Caché derrière des masques plus sexy tu meurs – quelque part entre The Lone Ranger et l’amateur de parties fines SM –, il déploie à longueur de clips son costume : stetson, santiags étincelantes, moult franges, chemises roses en satin brodé, etc. Ce qui entre parfaite- ment en résonnance avec une époque où la country est plébiscitée par un rap et une pop en quête de sens, et où la figure du cowboy confirme son potentiel homoérotique, bien loin de son étiquette de « redneck bas du front ».
Orville Peck (dont ce n’est pas le vrai nom) dévoile son torse nu à la place de son visage et sort des sentiers hétéro- normés grâce à des chansons où il ex- plique qu’on peut réussir à être soi dans les villes rurales, et dans lesquelles il re- vient sur son cœur trop souvent brisé par des garçons. Capable de reprendre sur scène le “I Will Always Love You” de Dolly Parton, dont il est fan transi, Orville Peck est une drama queen qui fait pleu- rer dans les chaumières tout en restant terriblement bandant. Dans son dernier clip, “Summertime”, on le voit batifoler dans les champs et les fleurs, tout de cuir vêtu... Ce qui n’est pas sans nous rappeler une certaine Lana Del Rey, avec laquelle il partage une fascination assumée pour l’esthétique et la mythologie de l’American Dream des années 1960.
De la maison Dior à la major Columbia, qui vient de le signer, tout le monde se l’arrache. Difficile de résister à ses mélodies roulées dans le foin, à son timbre à la Johnny Cash et à ses réverbes mélancoliques. Devenu une diva, il aura refusé toutes les interviews durant le confinement. Sauf celle de TÊTU.
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Tu parles souvent de Dolly Parton. C’est grâce à elle que tu as découvert la country ?
Oui, quand j’étais enfant. Lorsque je l’ai vue pour la première fois sur scène, j’ai eu du mal à réaliser que c’était une vraie personne tant elle me semblait mythique ! Mais elle n’a pas été la seule à me guider vers la country : j’adore les costumes, les musiciens comme Johnny Cash, Merle Haggard, Willie Nelson...
Et Lavender Country, le groupe de Seattle qui a signé le premier album de country gay ?
C’est amusant d’en parler ! Petit, je ne savais même pas qui c’était. Vers 19 ans, quand je vivais à San Francisco, je traînais souvent dans le quartier gay du Castro, où il y avait cette boutique qui vendait des romans et des pulps [anciens magazines populaires américains de fictions] homos, des trucs de collectionneurs sur la culture gay des années 1960. Il y avait des bacs où l’on pouvait dénicher des disques de Divine. Un jour, je suis tombé sur un vinyle de Lavender Country. Le vendeur me jurait que c’était “un vieil album de country gay”, que j’allais l’adorer, etc. Méfiant, je ne l’ai pas acheté. Quelle erreur! Quand je l’ai écouté pour la première fois, j’ai pris une de ces claques ! C’était du niveau de Hank Williams ! Je regrette encore de ne pas avoir acheté ce disque collector...
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Avant Dolly Parton, la country était considérée comme une musique de rednecks hétéros. C’est elle qui l’a rendue gay friendly ?
Absolument. Même si le chapeau de cowboy fait partie de l’imagerie queer ! En tout cas, Dolly est tellement ou- verte et généreuse qu’elle nous touche au-delà de nos orientations sexuelles respectives. Mais la raison pour laquelle c’est une icône gay – même si les homos préfèrent la house à la country –, c’est l’histoire qu’elle a écrite. Dolly Parton venait d’une famille très pauvre du Tennessee. Elle a dû se créer elle-même et a réussi à briller en solo alors que tout le monde doutait de sa capacité à mener sa propre carrière ! Cette affirmation de soi contre vents et marées résonne fort auprès de la communauté LGBT+.
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Elle possède également un sens de l’humour mésestimé, mais qui semble évident quand on entend des titres aussi ironiques que “Dumb Blonde” !
Je suis absolument dingue de ce morceau ! Dolly a totalement compris l’en- jeu de sa musique et parvient à réunir les trois choses que je préfère dans la country : l’aspect théâtral, qui tient aussi au sens du storytelling, l’humour, très important via les jeux de mots, et enfin la sincérité, car on ne cache ni sa tristesse ni son cœur brisé.
C’est aussi ce que tu essaies de faire, n’est-ce pas ?
Oui ! C’est même mon but ultime.
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Outre les références évidentes comme Elvis et Johnny Cash, ta voix me fait penser à celle de Morrissey...
C’est vrai que, plus jeune, j’aimais les Smiths, New Order, The Cure, toute cette new wave britannique qui me semble proche de la country. On ne sait plus si l’on doit être heureux ou triste, danser ou pleurer. C’est un mélange in- décis qui me parle. Cependant, mes plus grandes références sont moins ambiva- lentes : Elvis, Roy Orbinson, Johnny Cash...
C’est facile d’être gay dans la country ?
Pour ma part, je n’ai aucun problème à m’identifier comme homosexuel dans ce milieu. Ce qui
fait de moi un artiste, c’est cette facilité à m’assumer, même face à un public plus âgé ou 100 % straight. Après tout, je ne propose rien de très différent de ce que font les chanteurs hétéros, sauf qu’il ne s’agit pas d’histoires entre une fille et un garçon, mais entre un garçon et un autre garçon.
Tu as déjà dit avoir grandi dans une certaine solitude. C’est de là d’où vient ton personnage de lonesome cowboy ?
J’ai grandi dans une contrée de l’hémisphère sud où les cowboys ne faisaient pas partie de la culture locale. Avant l’adolescence, j’avais déjà vécu dans cinq pays différents, et j’ai continué à bouger depuis. Cette figure du cowboy, je l’envisage du point de vue philosophique : elle résonne particulièrement chez les gens qui ont une âme solitaire, nomade, qui ont du mal à se poser quelque part. En dehors des États-Unis, les cowboys existent en Afrique, au Japon, en Europe... Ils n’en ont pas forcément l’allure ni le cheval, mais ils se baladent un peu partout à travers le monde.
“Aujourd’hui, la représentation queer est plus juste”
Le visuel tient une grande place dans la construction de ta personnalité artistique. Tes clips et tes pochettes évoquent notamment David Lynch...
En effet, mes trois réalisateurs préférés sont David Lynch, Gus Van Sant et John Waters. Ils font des films sur des montagnes, des gens, des villes et des situations qui pourraient être ordinaires mais qui ne le sont jamais. Une œuvre aussi étrange que Twin Peaks m’influence énormément ! My Own Private Idaho est un film qui a beaucoup compté pour moi, surtout plus jeune, et cela s’entend dans mes chansons, me semble-t-il...
Depuis My Own Private Idaho, les choses ont évolué. Il y a plus d’histoires d’amour homosexuel dans les films et les séries...
C’est enthousiasmant. Adolescent, j’ai pris du temps pour me trouver. Ne pas trouver d’images de gays dans les médias, hormis quelques-unes bien sou- vent négatives, ça n’a pas aidé. Dans les publicités, nous étions tout simplement invisibles. Et pourtant il y avait des personnes LGBT+ dans ces industries! Mais elles étaient planquées dans leurs robes de chambre... En 2020, la représentation queer est plus juste, les enfants grandissent sans avoir besoin d’aller chercher trop loin des figures qui leur parlent. En tant qu’homo, le bon- heur est plus accessible. Des clichés persistent toujours, les agressions aussi, hélas, mais il faut souligner cette évolution, qui est cruciale pour les nouvelles générations et qui contribue à lutter contre l’homophobie.
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Lutter contre l’homophobie : c’est l’un de tes objectifs ?
Il reste intrinsèquement lié à ma quête musicale. Ce que je recherche avant tout, c’est l’authenticité, partager mon expérience avec les gens. Si mon travail peut en inspirer, c’est parfait. Les plus jeunes semblent très sensibles à ce que je propose, ce qui conforte mon optimisme quant à la visibilité gay dans les arts et les médias.
Authentique, malgré le masque... ou grâce à lui?
Grâce à lui, bien sûr ! Depuis mes 10 ans, je joue, je chante... et depuis que je porte le masque, je sais plus précisément ce que je veux, et ma musique est devenue excessivement personnelle. Certains pensent qu’il permet de me cacher. Au contraire ! Le masque m’expose bien plus que ce que l’on imagine. Cela me fait penser à ceux qui affirment que les drag-queens surjouent un rôle, alors qu’elles sont davantage elles mêmes dans leurs tenues de scène que dans leurs vêtements du quotidien.
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Comment l’idée de te masquer t’est venue ?
Enfant, j’adorais les cowboys dans les westerns, Zorro, Indiana Jones, les bandits... Je voulais être du côté de ceux qui portaient un chapeau, des bottes et une arme, et qui chevauchaient un fidèle destrier. En grandissant et en jouant de la country, j’ai souhaité proposer un concept qui me ramène à cette admiration tout en me permet- tant de me réinventer régulièrement. J’ai réfléchi à la manière dont tous ceux qui m’avaient précédé avaient quelque chose d’unique, en plus de leurs chansons. Ceux que j’aime ont saisi ce qu’il y avait de plus brut et de plus sincère au fond d’eux pour le rendre visible à tous. David Bowie, Grace Jones, Dolly Parton... Je la cite encore, mais c’était une gamine sans espoir de réussite qui a produit une œuvre plus grande qu’elle. L’origine de mon masque se trouve là. Et ma mère m’a appris à coudre. Ça m’a beaucoup aidé : je les confectionne seul au gré de mes lubies !
Et tu peux y rajouter de la fantaisie explicite, comme ces franges qui rappellent les backrooms !
(Éclat de rire.) On ne peut nier le sex-appeal d’un masque, n’est-ce pas ?
Parmi les morceaux de ton nouvel EP, Show Pony, se trouve le mélancolique “No Glory in the West”. Jamais complètement heureux, donc ?
Si des titres comme “Summertime” sont nostalgiques mais témoignent de l’espoir et du droit d’attendre un meil- leur avenir, “No Glory in the West” offre un versant plus sombre de mon écriture. Il raconte la fatigue, la course permanente pour survivre, le manque de reconnaissance... Tout ça, je connais bien. Et je le garde en mémoire afin de ne pas perdre mon âme.
Crédit images : Carlos Santolalla