Comment tient-on debout, malgré tout ? Dans Garçon Chiffon, Nicolas Maury raconte la dégringolade intime d’un alter ego de cinéma. Un premier film intime et aventurier qui croit encore que la fantaisie et la douceur peuvent nous sauver.
Un drôle de film pour un drôle de garçon. On l’attendait osé et burlesque comme on l’a aimé chez Yann Gonzalez (Les Rencontres d'après minuit), grandiloquent et méchant comme chez Riad Satouff (Les Beaux Gosses) ou même tendre et piquant dans la série Dix pour Cent. Pour son premier long métrage derrière la caméra, Nicolas Maury est tout ça à la fois.
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Voilà un premier film comme une envie de tout dire, ce qu’on est, ce qu’on n’est pas, un premier film qui prend la fuite pour tout raconter. Quelque part entre la confession, la pénitence et l’envie irrépressible de faire prendre dans les bras, Garçon Chiffon est une mise à nu fictive, au figuré comme au propre, un strip-tease émotionnel aussi drôle qu’émouvant.
Nicolas Maury déplace les codes de la masculinité
Dans la peau de Jérémy, comédien trentenaire colérique et jaloux, l’acteur-réalisateur se regarde perdre pied. Intime sans jamais être impudique, le film offre à son personnage un droit rare et pourtant nécessaire aujourd’hui : celui de ne pas aller, de se saboter consciemment, irrépressiblement, d’être un affreux bordel sur pattes, de ne pas se comprendre, de faire l’inverse de ce qu’on devrait faire, d’être l’inverse d’un héros. Le geste est osé. Tout est une question de charme. Car, on finirait bien par l’aimer ce Jérémy tant le film épouse ses erreurs, son ardeur à se faire du mal, tant il nous ressemble.
Récit d’un trop plein de sentiment, Garçon Chiffon a la tristesse douce, la mélancolie diffuse des "jours où ça va pas", l’élégance d’essayer de sourire de tout ça malgré tout. Une douceur jamais mièvre, jamais loin de la dureté ou de la cruauté du monde. Avec grâce, Maury déplace les codes du héros, de la masculinité toute puissante et laisse ce personnage chancelant prendre le film en charge, chancèle avec lui, remonte à la charge, zigzague entre les scènes, les tonalités (mémorable scène avec Laure Calamy, géniale complice de Dix Pour Cent, ici en réalisatrice épuisante, violent face à face avec Arnaud Valois, le cover boy du nouveau numéro de TÊTU, parfait contrepoint terrien) et donne la sensation d’un film vivant, vibrant qui prend les chocs, comme les caresses, de plein fouet.
Car, il y a en a de la tendresse au milieu de ce capharnaüm intime, beaucoup. Surmontant les coups et les blessures, Jérémy ne court qu’après la douceur, qu’après la fantaisie aussi. Des moments suspendus. Délicatement, le film s’apaise et Jérémy se décentre, apprend à regarder les autres (sa mère, Nathalie Baye, et un jeune "homme à tout faire", Théo Christine).
Avec cette même façon joueuse et lucide de raconter l’intime, de se mettre en scène sans détour, Garçon Chiffon pourrait bien être l’équivalent français du Fleabag de Phoebe Waller-Bridge. Un personnage attachiant, un anti-modèle qu’on finirait par aimer, malgré tout et qui nous ferait nous sentir moins seul, moins bizarre, moins mal foutu avec tous ces doutes, ces névroses, ce bordel que mettent les sentiments dans nos vies. Un film pour se sentir peut-être enfin compris.
>> Garçon Chiffon de Nicolas Maury, avec Nathalie Baye, Arnaud Valois et Theo Christine sort en salles mercredi 28 octobre.